dimanche 12 février 2023

Sans Même Savoir

 

Écourtons la langue.





La langue a été donnée en pâture à la technologie, la célérité et la facilité. Les moyens de communication ont poussé la lettre au rang des obsolescences archaïques, le bien écrire n'a plus de raison d'être. Désormais l'efficacité se satisfait d'une langue sibylline, de signes presque cabalistiques et le vieux grognon que je suis y perd son latin. Ma langue se meurt pour le triomphe de l'abréviation et du règne de la phonétique. SMS priez pour nous …


Je ne vais pas m'extasier à l'imitation de Michel Serre des prouesses dont serait capable Petite Poucette. La demoiselle a bien de la chance d'appartenir à une élite capable de tirer la quintessence des technologies nouvelles et de leur cortège de simplifications sémantiques et orthographiques. Les élites sont toujours capables de tirer partie d'un changement sans perdre les savoirs antérieurs. Monsieur le philosophe en fait la démonstration pour lui-même.


C'est pour les autres que tout se complique bien amèrement. Accéder à la communication par le langage SMS sans avoir maîtrisé la langue de nos pères est fort compliqué et souvent provoque des dégâts irrémédiables. Passons tout d'abord sur l'incapacité pathologique à distinguer les niveaux de langue. Tout fait désormais magma informe : argot, verlan, anglicisme, néologisme et autres barbarismes viennent bouter la forme académique hors de leur bouche.

C'est ainsi qu'ils ne distinguent plus rien et que tous les mots sont bons à écrire sans que ça les dérange autre mesure. Est-ce un bien, est-ce un handicap ? La langue est une phénomène vivant en perpétuelle évolution. Mais si notre compréhension peut se satisfaire de ce cocktail indigeste, nos pauvres locuteurs sont bien souvent pris au dépourvu quand face à eux se dresse un pouvoir maniant une langue châtiée et souvent ampoulée.


À l'anarchie du lexique plus qu'à sa pauvreté il leur faut hélas ajouter une méconnaissance grammaticale qui ne fait que s'accentuer avec le SMS. Ce langage lapidaire réduit la phrase à sa plus simple expression : un sujet, un verbe, un complément. La disparation des connecteurs logiques, des introducteurs de complexité que sont les conjonctions et les pronoms relatifs, réduit la longueur de la phrase et la subtilité de l'expression. La négation doit se contenter d'une forme unique pour aller plus vite.



Pire encore, des concepts entiers s'effritent, perdent consistance pour eux. Cause ou conséquence ou but, manière, accompagnement ou moyen deviennent ainsi des idées parfaitement abstraites qu'ils ne peuvent ni formuler, ni exprimer par écrit. Ce qu'ils prennent pour de l'efficacité est un appauvrissement dramatique de la pensée. La réduction à peau de chagrin de la grammaire structurale est le cheval de Troie dans lequel s'engouffrent les manipulations les plus sordides.


Dans un mouvement concomitant, le passage aux raccourcis phonétiques s'accompagne de plus en plus d'une incapacité à segmenter les mots. Le compactage qu'ils font pour écrire au plus vite, pour remarquable qu'il soit en inventivité et célérité n'a de raison d'être que si le mouvement inverse peut être réalisé. Quand ils passent à l'écrit, dans les normes qui sont encore pour quelques temps celles de l'école, on constate qu'ils ne peuvent plus effectuer le chemin inverse. Bien souvent, le sens se perd pareillement et la bouillie devient la norme.



C'est bien sûr l'orthographe la principale victime de ce phénomène. Les puristes s'arracheraient les cheveux s'ils en avaient encore. Rien n'est plus futile que cette convention absurde qui a, depuis quelques générations, cherché à distinguer une élite, contraindre au silence ceux qui ne possédaient pas cette science absconse du bien écrire. Je ne serais pas peiné de cette discipline qui fut mon chemin de croix, s'il y avait la conservation du sens, de la grammaire et des autres formes de l'élaboration de la pensée.


C'est ailleurs que les dégâts sont les plus conséquents. La conjugaison est à ce titre la cible la plus porteuse de désastres futurs. Ne plus distinguer les modes, ne plus se repérer dans le temps, ignorer tout des personnes entraînera bien des dysfonctionnements. Nous avons pu admirer à loisir durant cinq années le comportement d'un chef d'état qui ignorait tout du conditionnel, qui ne savait manier qu'une première personne fort singulière. Sa compréhension de la complexité en fut durablement affectée.


Le subjonctif est quant à lui en voie totale de disparition. Les poètes et les rêveurs n'auront plus que leurs yeux pour pleurer la fin des supputations, l'extinction des souhaits, l'effacement des hypothèses, l'anéantissement des conjectures. Le réel seul imposera sa dictature indistincte ou le présent règnera en maître. Les verbes sont aussi victimes du rouleau compresseur de la simplification et tous se rangent de gré ou de force sous la bannière du premier groupe. La diversité ici aussi, n'est pas de mise. Le troisième groupe subissant des saignées de plus en plus dramatiques.


Il me faut abandonner ce combat d'arrière garde. La volonté d'élaguer la langue va de paire avec celle d'appauvrir les masses. Moins les générations à venir enrichiront leurs formes d'expression, plus ils seront de simples sujets avant que de n'être plus que des valets. Je sais que beaucoup riront de ce billet, qu'il est de bon ton de se déclarer moderne en toute chose. C'est parce que j'aperçois de ma place les premières lézardes que je lance une mise ne garde. Puisse-t-elle ne pas rester lettre morte !




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Albert, une tête d'étourneau !

  Albert Père siffleur renommé Albert, oiseau étourdi Quoique ainsi prénommé N'avait rien d'un colibri  À...