L'histoire
et ses secrets
Il
était une fois un artisan qui vivait en bord de Loire. Nous sommes
en des temps anciens, une époque reculée où le pays était
constitué d'une succession de tribus. La Gaule vivait en paix, les
Romains n'avaient pas encore leurs envies de conquêtes. Sucelos,
puisque tel était son surnom avait la réputation de taper dur sur
le marteau. L'homme pourtant était d'une adresse redoutable dès
qu'il s'agissait de créer un objet en bois.
Sucelos
avait un péché mignon. Il ne viendrait à l'esprit de personne de
le lui reprocher, c'est hélas notre lot commun. Le sien est depuis
partagé par beaucoup de ligériens qui ignorent sans doute que c'est
à lui qu'ils doivent ce petit penchant merveilleux. Mais n'allons
pas si vite en besogne, il n'est pas encore temps de porter la coupe
à nos lèvres …
Sur
les rives de la rivière passaient parfois de lointains voyageurs
venus de Mésopotamie. Ils allaient chercher l'étain en Cornouailles
et la Loire était l'une des voies qu'ils empruntaient. Sucelos était
si adroit que sa réputation avait franchi les frontières ;
les voyageurs savaient qu'ils avaient sur leur route un homme capable
de faire des prodiges avec ses mains sur le bois.
Pour
le remercier, un jour, l'un de ces aventuriers au long cours lui
offrit une amphore contenant un étrange breuvage. Il y eut un avant
et un après pour notre menuisier admirable. De ce jour béni où il
découvrit une boisson tirée du petit fruit d'une plante grimpante
nommée Lambrusque.
Sucelos
n'eut de cesse d'obtenir de chacun des commerçants de passage ce
petit flacon qui lui faisait tourner la tête. La rumeur se répandit
et tous ceux qui avaient besoin de ses services savaient désormais
de quelle manière obtenir ce qu'ils désiraient. Hélas, les
visiteurs étaient rares et les flacons bien petits.
Un
jour, notre menuisier s'en plaignit auprès d'un des marchands qui
avait une réparation à réaliser bien plus importante que les
autres. Le bonhomme s'en excusa et lui confia que faute de trouver un
contenant moins fragile, ce délicieux breuvage qui enivre si bien,
resterait confidentiel.
Sucelos
était ingénieux. Il ne tarda pas à réfléchir à cet épineux
problème : « Comment transporter un liquide dans un récipient
qui ne risque pas de se casser ? » Quand on est menuisier,
l'idée fait vite son chemin. Tape dur certes, mais si adroit que de
ses mains sortit le premier tonneau de l'histoire de l'humanité.
Sucelos
venait de couper un charme ; c'est de ce bois que fut réalisé
le premier fût. Il était fort joli et d'assez petite taille pour
que le marchand, parti jusqu'en Cornouailles, puisse le prendre à
son bord lorsqu'il repassa par là. Bien des mois plus tard, Sucelos
retrouva son tonneau, cette fois rempli d'un excellent vin.
Mais
le marchand n'était pas seul. Un dignitaire de Mésopotamie était
venu à la rencontre de celui qui avait fabriqué pareille merveille.
L'innovation de notre ligérien avait séduit sur les rives de la
Méditerranée. C'était un Nabum, un mage qui intercède entre les
Dieux et les hommes. Il voulait le secret du tonneau et était
disposé à y mettre le prix.
Cependant
Sucelos n'était pas vénal. Il ne voulait ni argent ni gloire.
C'est le vin qui était son unique préoccupation. Puisqu'il avait un
mage à sa disposition, il lui confia le secret du tonneau en bois de
charme en échange d'un miracle ou d'un tour de magie. Sucelos
désirait que ce fruit méditerranéen puisse s'acclimater sur les
rives de nos rivières.
Le
Nabum était un puissant magicien. Il usa de ses pouvoirs pour que
toutes les régions sur le trajet de la route de l'étain puissent
bénéficier de ce prodige. Le tonneau valait bien cette offrande.
Ainsi, petit à petit la vigne, puisque c'est d'elle qu'il s'agit,
poussa sur les rives du Rhône, de la Saône, de la Garonne et de
notre Loire.
Le
tonneau révolutionna le commerce du vin. Sucelos sous forme de
statuette , entra dans le panthéon celte et son petit fût de
charme ne le quitta plus jamais. Il y eut bien une période noire où,
pour des raisons obscures, la statuette et son petit fût
disparurent. C'était en 1863 et c'est à cette date précise qu'une
terrible maladie attaqua les vignobles de France. Le mal se répandit
bien vite et durant quelques années menaça l'offrande de Nabum à
Séculos. Heureusement, la statuette n'était pas rompue, Séculos
refit son apparition en 1875 et le vignoble français fut sauvé.
Voilà
la véritable histoire de l'implantation de la vigne en Gaule. La
seule chose qu'il faille retenir de cette fable c'est que merveille
est bien fragile et qu'il ne faut pas en briser le charme. Un mage
Mésopotamien et un Dieu celte en furent à l'origine. Pour que ce
beau miracle perdure, ne fâchons ni les dieux ni les cieux. Le vin
se respecte et il n'est nul besoin de lois scélérates pour en
encadrer le plaisir !
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