Qui
vivra verrat
Le saint patron
des charcutiers de l'Orléanais.
Il
était une fois, à moins que ce ne fût qu'un pâté de foie, un
brave charcutier qui,ayant fréquenté François Villon et les places
des martyrs, aimait à acheter les corps des pauvres condamnés non
réclamés par leur famille. Pour horrible et indigeste que soit
cette histoire à nos yeux d'homme moderne, elle n'en est pas moins
attestée par Jean Teulé en personne dans son remarquable ouvrage :
« Je. François Villon ».
Mon
ami Pierre Simon, navrant prosateur farceur et intrépide
illustrateur charcutier prétend que l'homme se nommait Jean de la
Rouelle et qu'il vint s'établir en notre belle région orléanaise.
Nous tiendrons donc pour vrai ce qui ne peut être contredit par un
historien ramenant sa fraise de veau. Il n'y a certes pas de quoi en
faire tout un plat !
Revenons
donc à nos cochons. Jean de la Rouelle s'était fait la main sur les
malfrats, il lui parut tout naturel de revenir au verrat, matière
plus noble et moins pervertie que le repris de justice, même si la
justice en question pouvait être aveugle et expéditive à cette
époque sombre et lointaine. Il s'installa donc Rue des Gras Souliers
en Orléans après avoir cédé son pas de porte au 45 rue de
Poliveau.
Jean
de la Rouelle, par modestie ou pour faire oublier les frasques
parisiennes, avait souhaité conserver le nom de son prédécesseur
en guise d'enseigne. Sa maison resta donc la charcuterie Ben Hure, un
honnête ouvrier réputé pour son roulé de porc et son travers à
l'origine, d'ailleurs, d'une petite fête locale. Originaire
d'Auvergne, le brave artisan avait rapporté un chaudron qui avait,
dit-on, permis de fabriquer une certaine potion magique en des temps
fort reculés.
Mais
laissons la rumeur se propager aussi certainement que la renommée de
Jean de La Rouelle. Son boudin lui tailla une réputation sans égale
sur la place et bien au-delà. Bien des ménagères auraient fait des
pieds et des mains pour en avoir un morceau et nombreuses étaient
celles qui faisaient le museau quand cette merveille était en
rupture de stock.
C'est
d'ailleurs ce qui conduisit notre brave charcutier à sa perte. Sa
réputation, ayant franchi nos frontières, bientôt le boudin de
Jean de la Rouelle devint aussi célèbre que l'andouille de Jargeau
ou la saucisse de Morteau. Il se dit que même les pèlerins qui
allaient vers Saint Jean Pied de Port sur la route de Compostelle,
exigeaient d'en avoir une part dans leur musette pour franchir les
Pyrénées.
Face
à cet afflux considérable de la demande, le pauvre Jean de la
Rouelle fut amené à se faire du mauvais sang. Il ne pouvait pas
tuer davantage de cochons dont les autres parties, inutiles pour le
boudin risquaient d'être gâchées . Il lui vint ainsi l'idée
lumineuse mais , ô combien contestable, de recueillir dans les
geôles du royaume, du sang pour, proclamait-il, venir en aide aux
nécessiteux et aux transfuges.
Fort
de cet apport de sang frais, il put sans problème répondre à la
demande et produire du boudin de sang humain. Ce n'était pas une
époque où la traçabilité du produit était aussi pointue que de
nos jours même si en ces années là, il eût été impossible de
faire passer du cheval pour du cochon. Mais revenons à notre conte
charcutier en nous moquant bien des vicissitudes du moment.
Jean
de la Rouelle connut une période dorée. Sa charcuterie prospéra,
il fut même coopté par l'échevin pour faire partie d'une
commission citoyenne qui déterminait les menus des cantines
scolaires. Il en profita d'ailleurs pour écouler ses excédents et
obtint même du bourgmestre le monopole de la vente du vin chaud pour
les fêtes de la nativité et les foires du pays. Quand on a le sens
des affaires, on fait souvent alliance avec aussi coquin que soi !
Tout
allait bien jusqu'au jour où un prisonnier à qui il avait soutiré
du sang plus que de raison s'étonna auprès d'un certain Jean
Baptiste Poquelin qu'on lui fît presque quotidiennement des saignées
sans qu'il fût malade. L'homme de l'art enquêta et trouva le pot
aux roses. Bien vite le rideau se baissa sur le commerce florissant
de la charcuterie.
Jean
de la Rouelle fut condamné à mort. Pour l'édification des masses
et pour satisfaire à la colère de la populace locale que la vilénie
de ce fourbe avait rendue anthropophage, la justice lui mitonna un
supplice aux petits oignons. Il fut brûlé vif dans sa marmite
devant sa boutique. C'est l'explication de cette illustration étrange
qui nous est parvenue.
Que
les âmes sensibles et les végétariens nous excusent. La vérité
n'est pas toujours bonne à dire. Je vous exonère du récit détaillé
des dernières minutes du pauvre homme. Il avait péri par là où il
avait fauté. On ne peut approuver pareille morale, fût-elle
simplement charcutière. Il est grand temps après ces jours gras et
de bombance de se mettre aux légumes et aux bonnes soupes. C'est
bien l'usage le plus raisonnable que l'on doit faire d'une marmite.
Quant
à la canonisation de ce truculent personnage, chacun a le droit de
s'interroger. Mais n'oubliez pas, braves gens que les voies du
saigneur sont impénétrables. Mon histoire tourne en eau de boudin,
j'en suis désolé !
Charcutièrement
vôtre.
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