dimanche 24 juin 2018

Martyre de Saint-Jean-de la-Rouelle,


Qui vivra verrat

Le saint patron des charcutiers de l'Orléanais.



Il était une fois, à moins que ce ne fût qu'un pâté de foie, un brave charcutier qui,ayant fréquenté François Villon et les places des martyrs, aimait à acheter les corps des pauvres condamnés non réclamés par leur famille. Pour horrible et indigeste que soit cette histoire à nos yeux d'homme moderne, elle n'en est pas moins attestée par Jean Teulé en personne dans son remarquable ouvrage : « Je. François Villon ».
Mon ami Pierre Simon, navrant prosateur farceur et intrépide illustrateur charcutier prétend que l'homme se nommait Jean de la Rouelle et qu'il vint s'établir en notre belle région orléanaise. Nous tiendrons donc pour vrai ce qui ne peut être contredit par un historien ramenant sa fraise de veau. Il n'y a certes pas de quoi en faire tout un plat !
Revenons donc à nos cochons. Jean de la Rouelle s'était fait la main sur les malfrats, il lui parut tout naturel de revenir au verrat, matière plus noble et moins pervertie que le repris de justice, même si la justice en question pouvait être aveugle et expéditive à cette époque sombre et lointaine. Il s'installa donc Rue des Gras Souliers en Orléans après avoir cédé son pas de porte au 45 rue de Poliveau.
Jean de la Rouelle, par modestie ou pour faire oublier les frasques parisiennes, avait souhaité conserver le nom de son prédécesseur en guise d'enseigne. Sa maison resta donc la charcuterie Ben Hure, un honnête ouvrier réputé pour son roulé de porc et son travers à l'origine, d'ailleurs, d'une petite fête locale. Originaire d'Auvergne, le brave artisan avait rapporté un chaudron qui avait, dit-on, permis de fabriquer une certaine potion magique en des temps fort reculés.
Mais laissons la rumeur se propager aussi certainement que la renommée de Jean de La Rouelle. Son boudin lui tailla une réputation sans égale sur la place et bien au-delà. Bien des ménagères auraient fait des pieds et des mains pour en avoir un morceau et nombreuses étaient celles qui faisaient le museau quand cette merveille était en rupture de stock.
C'est d'ailleurs ce qui conduisit notre brave charcutier à sa perte. Sa réputation, ayant franchi nos frontières, bientôt le boudin de Jean de la Rouelle devint aussi célèbre que l'andouille de Jargeau ou la saucisse de Morteau. Il se dit que même les pèlerins qui allaient vers Saint Jean Pied de Port sur la route de Compostelle, exigeaient d'en avoir une part dans leur musette pour franchir les Pyrénées.
Face à cet afflux considérable de la demande, le pauvre Jean de la Rouelle fut amené à se faire du mauvais sang. Il ne pouvait pas tuer davantage de cochons dont les autres parties, inutiles pour le boudin risquaient d'être gâchées . Il lui vint ainsi l'idée lumineuse mais , ô combien contestable, de recueillir dans les geôles du royaume, du sang pour, proclamait-il, venir en aide aux nécessiteux et aux transfuges.
Fort de cet apport de sang frais, il put sans problème répondre à la demande et produire du boudin de sang humain. Ce n'était pas une époque où la traçabilité du produit était aussi pointue que de nos jours même si en ces années là, il eût été impossible de faire passer du cheval pour du cochon. Mais revenons à notre conte charcutier en nous moquant bien des vicissitudes du moment.
Jean de la Rouelle connut une période dorée. Sa charcuterie prospéra, il fut même coopté par l'échevin pour faire partie d'une commission citoyenne qui déterminait les menus des cantines scolaires. Il en profita d'ailleurs pour écouler ses excédents et obtint même du bourgmestre le monopole de la vente du vin chaud pour les fêtes de la nativité et les foires du pays. Quand on a le sens des affaires, on fait souvent alliance avec aussi coquin que soi !
Tout allait bien jusqu'au jour où un prisonnier à qui il avait soutiré du sang plus que de raison s'étonna auprès d'un certain Jean Baptiste Poquelin qu'on lui fît presque quotidiennement des saignées sans qu'il fût malade. L'homme de l'art enquêta et trouva le pot aux roses. Bien vite le rideau se baissa sur le commerce florissant de la charcuterie.
Jean de la Rouelle fut condamné à mort. Pour l'édification des masses et pour satisfaire à la colère de la populace locale que la vilénie de ce fourbe avait rendue anthropophage, la justice lui mitonna un supplice aux petits oignons. Il fut brûlé vif dans sa marmite devant sa boutique. C'est l'explication de cette illustration étrange qui nous est parvenue.
Que les âmes sensibles et les végétariens nous excusent. La vérité n'est pas toujours bonne à dire. Je vous exonère du récit détaillé des dernières minutes du pauvre homme. Il avait péri par là où il avait fauté. On ne peut approuver pareille morale, fût-elle simplement charcutière. Il est grand temps après ces jours gras et de bombance de se mettre aux légumes et aux bonnes soupes. C'est bien l'usage le plus raisonnable que l'on doit faire d'une marmite.
Quant à la canonisation de ce truculent personnage, chacun a le droit de s'interroger. Mais n'oubliez pas, braves gens que les voies du saigneur sont impénétrables. Mon histoire tourne en eau de boudin, j'en suis désolé !
Charcutièrement vôtre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...