En
marche.
Marcher
! La belle activité que voilà. Marcher sur l’eau pour fendre la
foule et sortir indemne des flots en furie. Marcher sur des œufs dès
qu’il s’agit d’aborder les chemins de traverse. Marcher le nez
au vent, se jouant des difficultés en comptant sur sa bonne mine et
en profitant de l’air du temps. Marcher en donnant une main
charitable ou bien une main protectrice ; penser qu’à deux,
tout est mieux et croire en sa bonne étoile.
Marcher
pour aller de l’avant sans se retourner. Avoir le regard au loin ;
rêver de nouveaux horizons ; croire que tout est possible !
Marcher sur les mains pour ne pas s’y prendre comme un pied ;
jouer les funambules et espérer ne pas tomber à la première
tempête. Marcher en suivant son propre chemin ; loin des
itinéraires tracés par les anciens.
Marcher
sur tous les autres ; leur passer sur le dos ; les écraser
par la puissance d’un mouvement qui ne connaît pas encore sa
force. Marcher, c’est encore ne pas oublier de mettre un pied après
l’autre, sans brûler les étapes ni sauter à pieds joints sur
quelques obstacles qui se dressent sur votre route. C’est éviter
d’aller à cloche-pied quand on prétend rester centré sur son
objectif.
Marcher,
c’est encore prendre soin de ses arpions. Enfiler de bonnes
godasses, choisir des chaussettes sans couture, soigner sa plante des
pieds avant que les blessures ne surgissent. L’ampoule est
redoutable ; l’œil de perdrix menace ; l’ongle
s’incarne et la corne se forme. Le marcheur doit conserver le pied
léger, la démarche souple et ample. Il convient de ne pas prendre
ces conseils par-dessus la jambe, fût-elle légère et tonique !
Marcher,
c’est surtout ne jamais reculer devant l’obstacle. C’est sauter
la barrière, gravir la montagne, garder le cap, filer sa route,
passer les nids de poule, effacer les dos d’âne. C’est maintenir
le rythme, aller d’un pas léger vers la prochaine destination.
C’est la marche en avant : celle qui ne se pratique pas au
pas.
Marcher
d’un bon pas, balancer les bras en rythme, conserver la tête
droite en toute circonstance. Marcher sans emprunter les traces de
ses devanciers qui se sont perdus en chemin. Creuser son sillon,
faire de son parcours une voie royale, aller toujours plus loin, d’un
pas qui ne sera jamais celui du sénateur.
Marcher,
la belle idée que voilà, quand on souhaite éviter l’immobilisme
ou pire encore, la régression, les reculades, les pas de côté ou
bien les emballements. Il ne convient pas de courir après la
gloire ; le marcheur avance, serein, vers son destin. Il
chemine, pérégrine, déambule, se promène, flâne parfois, mais
toujours, il progresse sans revenir en arrière.
Faut-il
une canne ou bien un bâton, un bras sur lequel s’appuyer, une
étoile à suivre ou bien horizon à dépasser ? Est-ce besoin de se
donner une carotte pour continuer à marcher ? Le marcheur est têtu,
obstiné, infatigable. Il ignore les douleurs, dépasse ses limites
pour décrocher la lune ou bien réaliser son rêve. Il se refuse aux
fausses pistes comme aux impasses ; du moins le pense-t-il.
Chaque
pas supplémentaire s’inscrit dans la volonté indéfectible de
faire bouger l’humanité tout entière. Le marcheur a beau avoir la
tête dans les étoiles, il n’est pas un rêveur : il se fait
un honneur de garder les pieds sur terre. Sa quête le conduit à
rejoindre l’autre, où qu’il soit, quel qu’il soit, pour faire
un petit bout de route avec lui. Le marcheur partage son chemin ;
il salue toujours ceux qu’il croise et prend le temps de discuter
avec ceux qui restent au bord de la route.
Le
marcheur n’est pas un homme pressé, ou bien il n’a rien compris,
et finira, tôt au tard, par se prendre les pieds dans le tapis, à
moins qu’il ne manque une marche et se retrouve le nez dans la
poussière. Voilà ce que doit savoir celui qui se met en marche ;
et point n’est besoin d’un bon coup de pied au cul pour se mettre
ainsi en mouvement, avec un peu de plomb dans la tête et les idées
claires. Quant à toi, marcheur suprême, sache qu’il conviendrait
de ne pas nous faire marcher : nous n’aimons pas qu’on nous
monte sur les pieds ou qu’on nous abandonne en chemin !
Pèlerinement
sien.
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