Nous
serons joyeusement éméchés …
Monseigneur
Dupanloup n'en croit pas ses oreilles, de la musique profane vient
briser sa quiétude en son jardin secret au cœur de la cité. Le
podium dressé devant la bâtisse s'ouvre sur un mer de transats
propices à la contemplation. Installés en arc de cercle, ils
délimitent la zone des initiés assis ! Sur le pourtour déambulent
les hédonistes notoires, amateurs forcenés de la convivialité.
Ceux-là
profitent de cette ouverture populaire d'un festival de jazz qui
autrefois s'enfermait ensuit dans sa tour d'ivoire : ce Campo Santo
réservé alors aux mélomanes éduqués, aux invités notoires, aux
personnalités et aux bourses rebondies. Les rigueurs budgétaires
ont eu raison de ce second volet dispendieux, seul le jardin fait de
la résistance culturelle.
Le peuple
orléanais se régale quelques soirs d'une ville qui s'ouvre enfin
aux plaisirs partagés. Derrière les grilles blanches et les vigiles
sombrement vêtus, le promenoir est dédié à des ventres affamés
qui s'offrent une oreille pour les sons libérés des artistes
invités. L'autre se réjouit de conversations multiples, de cette
approche fiévreuse des vacances prochaines.
Le rituel
s'installe et les habitudes se prennent. ABCD, fidèle au poste
reçoit dès midi ceux qui profitent de cette merveilleuse bulle
musicale pour se penser déjà en congés mérités. On mange et on
palabre, on se retrouve enfin, au sortir d'un hiver qui nous a privés
du bonheur simple d'occuper l'espace qu'on veut bien nous laisser.
La musique est
ici prétexte à rencontres, à retrouvailles victuailles ! Avec
l'abattoir, les conversations célèbrent le joli vin de Cléry, son
blanc élégant, son rouge un peu fripon et ce pétillant naturel qui
justifie pleinement la file d'attente aux tinettes discrètes.
La contrebasse
ronronne, la batterie souligne, le piano divague et les cuivres
rutilent. Le tempo souligne les pensées du moment, le vent se met de
la partie et le ciel assombri encourage les rythmes un peu plus
lents.
Au jardin de
l'évêché tu pourras plus sûrement trouver une âme sœur, un
compagnon d'insouciance, un groupe d'amis perdus et un joli débat
d'idées qu'une révélation musicale. Le jardin bruisse de
conversations multiples, de palabres éparses et d'éclats charmants.
On trinque et on boit à la santé de tous et chacun se fait larron
en foire.
Seuls les plus
sages s'isolent au milieu du jardin, l'écoute sérieuse leur
convient un peu mieux. Ils ont pourtant l'impression diffuse d'être
eux-aussi devant leurs écrans pour cette Coupe du Monde qui réduit
un peu la fréquentation du lieu. Un bourdonnement diffus provient de
leurs arrières, mais ici, il se sait discret et salutaire.
Durant quatre
jours, le jardin accueillera les esthètes et les jouisseurs, les
mélomanes et les bavards. On se donne rendez-vous, on se manque. On
trouve alors un autre compère. La nuit n'en finit pas en ces jours
merveilleux qui bordent la Saint Jean de ce parfum délicieux d'un
temps qui nous appartient vraiment.
Ailleurs
surgira brutalement, violemment la défaite de la musique. Les amplis
sauvages et la surenchère des décibels nerveux prendront le pas sur
la douce mélodie et le partage possible. Nous nous réfugierons
encore en des lieux écartés pour associer musique et convivialité.
La foule, quant à elle, docile et consommatrice, se pressera, dans
la certitude folle qu'il faut être des milliers pour vraiment
s'amuser.
Paisiblement
vôtre
Illustrations Orléans Métropole
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