L'anachorète
de la toile
Voici
que se profile dans l'irréversible immédiat, une terrible épreuve
qui me glace d'effroi. Face à moi s'ouvre un gouffre insondable. Je
m'apprête à plonger dans le vide, dans cet inconnu sans fond que
constitue une retraite, un exil loin de la ville. Seul, face à
moi-même, je suis contraint de vous priver sans ménagement de cette
compagnie qui vous est devenue certainement indispensable.
L'impensable
n'est jamais certain. Pourtant, au bout d'un chemin toujours
incertain (que saint Christophe ait la bonté de veiller sur ma
personne ), la civilisation communicante, pour moi, l'espace d'une
semaine, va redevenir poussière. Tous les liens établis patiemment
depuis plus de six années, toutes les connexions qui ont illuminé
mon passage dans ce monde merveilleux et, n'ayant pas peur de
l'écrire, miraculeux, vont soudain, du jour au lendemain, s'éteindre
soudainement.
Allant
au bord de l'océan dans une maison de vacances qui a échappé à la
modernité vitale, je suis contraint de renoncer aux bontés de ce
monde. Au cœur de la tradition française du surf, au bord de ces
plages tumultueuses, de ces rouleaux propices, je serai totalement et
désespérément privé de mon évasion quotidienne et nul rets ne me
prendra au piège ! Je renonce à Satan et à ses œuvres, pour
souffler et pour vous mettre en paix avec moi-même !
J'aborde
cette terrible amputation avec une angoisse sourde et le sens du
sacrifice propre aux gens de mon ordre. Comment vivre sans mes nobles
lecteurs, mes admirables lectrices ? Comment supporter la disparition
de mes compagnons du réseau social à face de bouc ? Comment vous
priver du meilleur de moi-même : mes billets assassins ou mes
chroniques doucereuses ?
Entre
mimosas et arbousiers, mon monde fantasmagorique va tirer son
indifférence. C'est avec une anxiété non feinte que j'aborde cette
immersion volontaire dans le monde du silence. C'est Nabum va
disparaître des écrans radar, des moteurs de recherche et des
palmarès de l'éphémère. Vous l'oublierez bien plus vite que vous
n'avez fini par accepter son verbiage amphigourique.
Un
pauvre anachorète a fait vœu d'abstinence numérique pour renoncer
à sa logorrhée paradigmatique. Il prendra l'habit de bure pour
affronter les frimas des Landes et l'absence revendiquée de
connexion Internet. Le sacrifice paraît considérable pour le
pèlerin du calepin, le pitre du clavier, le lascar des fadaises,
mais il est nécessaire pour se défaire de cette assuétude
décadente tout autant que dévorante.
Aucun
portable, aucun réseau, aucune connexion n'accompagneront celui qui
s'octroiera une semaine durant, un silence coupable. Grand
soulagement dans les chaumières postières : le dictionnaire va
retrouver sa quiétude, les maux de tête seront vite oubliés.
L'équilibriste du vocabulaire va jouer les filles de l'air ;
bon vent et grand soulagement !
Un
ermite a pris sa place. Entre confit et foie gras, entre Madiran et
Tursan, entre océan et Landes, la pénitence sera rude, la
discipline rigoureuse. J'accepte volontiers ce sacrifice nécessaire
: vin midi et soir, gastronomie et balades interminables sur des
plages désertes. La rédemption doit être à la hauteur des
fautes, le pardon éternel est à ce prix. J'ai tant péché qu'il me
faut expier ! L'écran noir sera ma punition, ledit vin à portée de
verre à pied !
Un
nouvel internaute sortira peut-être de ce voyage silencieux. Je me
dépouille de mes phrases alambiquées, je me dévêts de mes chers
mots obsolètes, je me dénude de mes idiomes incertains qui me
donnent l'air patelin, je me prive de la polémique sombre, je
m'abstiens de ces fables insensées. Je vais à la recherche du
dépouillement, du dénuement absolu. Vade rétro internet !
Sous
le sable, je dépose en offrande à la marée salvatrice mes pavés
indigestes … Les querelles, les tracas, les incompréhensions
seront, je l'espère, balayés par le vent de l'indifférence. Le
Bonimenteur vous excède ; il se dissout dans l'eau de là. Le
creux de la vague m'est promis comme une purgation tout autant qu'un
purgatoire.
Tous
ces propos absurdes n'ont d'autre raison (moi qui depuis longtemps en
suis privé) que de vous signifier la vacance de ce lien mystérieux
pour une semaine qui ne manquera pas de vous paraître longue et
triste, à moins, hélas, qu'elle ne vous immunise à l'avenir de ma
fréquentation textuelle. Ce repos vous fera le plus grand bien et
limitera votre consommation d'aspirine, vos remarques offusquées,
vos agaceries journalières..
Bonnes
vacances à tous, je fais don de ma personne au silence de la toile…
Immodestement
vôtre
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