jeudi 26 avril 2018

Les fruits de l’imaginaire


L’arbre à contes


Il était une fois, quelque part on ne sait plus où, un arbre majestueux qui imposait sa masse au milieu d’une plaine. Il était puissant et massif même s’il était totalement décharné. De mémoire d’humain, nulle feuille n’y avait jamais poussé. On l’aurait cru mort et pourtant il semblait vigoureux et inaltérable, indestructible malgré les années. Quelle était donc cette force mystérieuse qui le tenait en vie de façon toute improbable ?

L’arbre inquiétait, non seulement il résistait en dépit de son apparence sans vie mais pire que tout, les animaux le fuyaient. Jamais un oiseau ne s’y posait pas plus qu’un rongeur ou bien un insecte. Il repoussait les êtres vivants, tous l’évitaient, le pensant porteur d’une étrange malédiction. Même les enfants se refusaient à grimper à ses branches qui pourtant auraient constitué un formidable terrain d’aventure.

Les humains évitaient jusqu’à son ombre . La méfiance et l’incompréhension finissent toujours par engendrer la peur. On le prétendait envoûté et pire encore, on lui attribuait bien des vertus maléfiques. Toutes sortes de légendes se murmuraient à son propos, pourvu qu’elles fussent prononcées loin de lui tant il était craint.

L’arbre s’en moquait. Il résistait au temps tout autant qu’à la médisance et aux lois de la botanique. Il savait qu’un jour, il viendrait s’asseoir contre son tronc, qu’il défierait les superstitions et qu’alors, sa longue peine serait achevée. Qui donc l’arbre attendait-il ainsi ? Un palabreur, un raconteur d’histoires à moins que ce ne fut une diseuse de bonne aventure. Qu’importe, il pressentait la venue sur/sous ? sa ramure d’une femme ou bien d’un homme transformant alors radicalement sa destinée.

Il avait la patience de ceux qui ne redoutent rien pas même les bûcherons ou bien la foudre. Il se savait protégé par la peur qu’il inspirait, par sa réputation et par la destinée qui commande aux éléments. Et le jour qu’il espérait de toutes ses forces arriva. Ce fut un enfant qu’il vit arriver, un gamin malingre, ni garçon ni fille, un être incertain porteur de toutes les malformations que la nature s’amuse parfois à distribuer.

Il était albinos, boitait de son pied bot, avait une bosse et une moitié du crâne sans cheveux. Il avait les traits caractéristiques d’une aberration génétique, ce sourire perpétuel qui appartient seul aux âmes simples. Il était porteur des traces de coups que les gens ordinaires ne manquaient jamais de lui offrir pour prix de sa différence.

L’enfant de la misère était maigre, pâle, fatigué par une existence qui ne l’avait jamais laissé en paix. Orphelin, rejeté des autres, il allait son chemin, à la recherche lui aussi de celui qui le comprendrait, lui tendrait enfin une main secourable. Quand il vit au loin l’arbre dénudé, il eut un choc, une révélation, il sut que c’était là que s’achevait son voyage, son errance sans fin. En dépit de sa faiblesse, malgré la grande distance qui le séparait de lui, sous un soleil de plomb, dans cette plaine inhospitalière, il avança, obstinément vers celui qui l’attirait comme un aimant.

Bien des heures plus tard, la nuit se couchait alors, l’enfant s’assit sous l’arbre qui repoussait la vie. Soudain tout fut différent, l’enfant sentit ses forces revenir, il se régénérait au contact du grand végétal. L’arbre frémissait, il était parcouru de mouvements imperceptibles que l’enfant éprouvait au plus profond de son être.

Sept nuits et sept jours, il ne se passa rien que ces ondes vibratoires qui passaient de l’un à l’autre. L’enfant n’avait plus besoin ni de manger ni de boire. Il était nourri mystérieusement par l’arbre. De loin en loin, des curieux s’approchèrent, essayant de comprendre ce qui se passait ici. Par quel miracle, l’arbre maléfique pouvait ainsi donner la vie à cet enfant du malheur ? Personne n’en savait rien. Le nombre des curieux ne cessait de croître, à distance respectable cependant, la crainte étant toujours là.

Puis le huitième soir, la Lune se fit pleine dans le ciel étoilé. L’enfant qui jusque là était resté silencieux se mit à parler, à psalmodier plus exactement. Celui dont personne jusqu’à présent n’avait entendu le son de la voix se mit à raconter des histoires qui venaient d’ailleurs, belles et envoûtantes. Sa voix caverneuse accentuait encore l’impression de saisissement dont furent victimes les témoins de la scène.

Ils n’étaient pas au bout de leurs surprises. La première histoire achevée, eux qui étaient encore sous le charme de cette aventure incroyable qui les avait tenus en haleine un temps indéfinissable tant toute contingence était abolie par la magie de l’enfant qui racontait, ils virent tous dans l’arbre apparaître une feuille sur laquelle semblaient être inscrits des signes mystérieux.

Cette nuit là, la première nuit de l’histoire des contes, l’arbre se para de douze feuilles, douze parchemins plus exactement couverts d’une écriture faite de triangles et de traits. Ceux qui s’approchèrent un peu plus jurèrent que ces feuilles étaient semblables à celles d’un papyrus. L’enfant jouait avec un roseau dans sa main, c’est lui qui dans la danse de ses mouvements transmettait les signes qui s’inscrivaient sur la nouvelle feuille de l’arbre.

La foule devint considérable. Les gens écoutaient, découvrant la saga de l’espèce humaine, comprenant les énigmes de la création, accédant à des sentiments qui jusqu’alors leur étaient inconnus. Beaucoup voyaient des larmes couler de leur paupière tandis qu’un sourire bienheureux se mêlait à cette douce tristesse. Ils ne voulaient pas bouger.

Cela dura longtemps, très longtemps. Sans interruption, jours et nuits jusqu’à ce que l’arbre fut couvert de feuilles. Tous les contes du monde étaient nés en cet endroit. La multitude présente avait compris que maintenant l’enfant se tairait. Les humains qui avaient assisté à ce spectacle unique comprirent quelle était leur mission. Ils se répandent de par la Terre ronde pour transmettre les récits qu’ils avaient retenus.

Mais juste avant qu’ils ne se dispersent tous, qu’ils s’en aillent vers leur nouvelle destinée, le ciel se couvrit de nuages et se chargea d’électricité. De la nuée on vit surgir une tornade qui avança jusqu’à l’arbre et l’enfant. Toutes les feuilles furent arrachées et répandues entre le Tibre et l’Euphrate. La civilisation allait naître de ces petits papyrus porteurs de la grande épopée de l’humanité.

Quand la tornade fut dissipée, il ne resta plus rien de l’enfant et de l’arbre. Ils avaient tous deux envolés, partis sans doute pour un autre monde. Ils n’ont pas disparu tout à fait puisqu’ils vivent à jamais au travers de la voix de ceux qui à leur tour se chargent de raconter ce que l’enfant différent avait créé il y a bien longtemps.

La parole avait pris son envol, l’écriture avait tenté de manière fugace de saisir l’essence du récit. Chaque fois qu’un humain s’empare d’une histoire de l’enfant, il lui donne une couleur et un ton différent. Chaque fois qu’un scripte déchiffre un parchemin, lui aussi l’interprète à sa manière, lui compose une nouvelle mélodie. Les contes sont nés ici mais jamais ô grand jamais ils ne se graveront dans le marbre. Ils vivent et se modifient toujours et sont à jamais portés par le vent et les souffleurs de rêve.

Épiquement vôtre.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...