La
légende du débredinoire.
Menulphe
était un Breton et à ce titre un peu têtu. La chose ne peut
paraître extraordinaire même si notre homme, fier de ses racines,
n'en faisait qu'à sa tête. C'est sous le règne de Childebert (511
– 558) que notre Breton s'établit à Quimper, précédé d'une
fameuse réputation. On ne prête qu'aux riches et aux mauvaises
têtes ; Menulphe étant de cette dernière catégorie, refusa
tout net la charge d'évêque de la paroisse.
Ne
sachant que faire de son temps, il prit son baluchon pour suivre le
premier chemin venu. C'est par un heureux hasard qu'il se retrouva à
Rome et c'est sans doute à lui qu'on doit la fameuse expression que
tous les chemins y mènent inévitablement, d'autant que le bonhomme,
sur son trajet, ne semait pas des cailloux mais des miracles « en
veux-tu en voilà » ! Il faut dire que nous étions en une
époque où l'édification du bon peuple avait besoin de phénomènes
surnaturels.
Vivant
en anachorète, celui qui était déjà en odeur de sainteté, décida
de s'installer à Mailly sur Rose, un village de l'Allier en bord de
l'Ours. Sa réputation l'avait précédé et bientôt on se pressa
pour rencontrer l'homme- médecine qui avait des pouvoirs
merveilleux. Il aimait à soigner les maux de tête et avait dans sa
clientèle tous les bredins et simples d'esprit du pays bourbonnais.
Il faut avouer qu'il n'en manquait pas ; ce qui n'a guère
changé de nos jours.
Il
avait plus d'un tour dans son sac pour accréditer l'hypothèse d'un
pouvoir divin. C'est ainsi qu'un beau jour, un serpent, innocente
bête, vint se réfugier dans la fontaine du village. Les femmes du
pays, chargées de la corvée d'eau car les hommes, comme il se doit,
refusaient d'accomplir une tâche aussi pénible, se trouvèrent
effrayées à la vue du brave reptile. C'est naturellement vers
Menulphe qu'elle se tournèrent pour débarrasser la source de cet
envoyé du diable.
L'ascète,
ayant plus d'un tour dans sa besace, trempa dans la fontaine son
bâton de marche. Il était bien noueux, assez pour tromper le
reptile qui s'y enroula complaisamment. Notre bonhomme tira ce diable
par la queue et le lança bien loin de là. La légende prétend que
la couleuvre, qui sur ce coup-là ne fut pas fainéante, alla à plus
de dix lieues de l'endroit…
C'est,
dans ce contexte de grande naïveté et de peu de réflexion, que
notre homme se lia d'amitié avec un brave berlaudiaud, un homme
simple et de peu de méchanceté. Blaise lui avait donné son amitié
sans réserve, d'autant plus que l'anachorète l'avait pris sous sa
protection afin qu'il ne fût plus le souffre-douleur du village ;
les gens sont si méchants avec ceux qui sont différents.
L'un
ne quittait pas l'autre. Ils étaient inséparables et il se trouvait
forcément des médisants pour rapporter à ce sujet des propos qui
ne sont pas dignes d'être narrés. Toujours est-il que fut scellée
une belle et pure amitié que la mort de Menulphe vint brutalement
briser.
Le
pauvret en perdit le peu de raison qui lui restait. Il était
inconsolable et se refusait à quitter le corps de son ami et
bienfaiteur. Le village, reconnaissant des miracles dont Ménulphe
avait gratifié la communauté, lui fit une sépulture en son église.
Blaise, pour ne pas quitter son ami, perça le cercueil, un beau
sarcophage, et y glissa sa tête.
La
chose déplut fortement mais inspiré par l'esprit divin, Blaise
soudainement retrouva le sien. Le miracle fit le tour de tout le pays
et on s'empressa d'installer un dispositif pour tenter de renouveler
le prodige.
Le
sarcophage en grès qui contenait le Vénérable, devenu alors Saint
Menoux, fut surélevé et percé de quelques orifices bien assez
grands pour qu'un illuminé ou un gentil dérangé y glisse sa tête.
Le débredinoire de Saint Menoux était né. Il n'allait pas manquer
d'ouvrage au fil des siècles, tant les candidats au miracle étaient
nombreux.
Il
suffit d'y glisser sa tête pour retrouver ses esprits. Hélas, il y
a bien plus d'appelés que d'élus dans une région où les bredins,
les bazins, les berlauds ou les simplets courent aussi bien les rues
que la toile. Il se trouve même bien des lecteurs pour m'inciter à
faire ce pèlerinage. Je m'en garderai bien, ne voulant pas perdre ce
petit grain de folie qui me sied à merveille. Si je faisais ce
geste, j'aurais bien trop peur de retrouver la raison et de n'avoir,
par la suite, plus rien à vous raconter.
Mais
je sais grand nombre de personnages illustres et qui se jugent
importants et savants, qui auraient bel usage à faire ce voyage. Ne
voulant m'aliéner personne, je tairai leurs noms ; ils sauront
se reconnaître, je l'espère, et iront discrètement, à n'en point
douter, glisser leur tête dans l'orifice. Il se peut que le pays en
soit finalement mieux gouverné ….
Bredinement
vôtre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire