Un
orchestre à mille cordes
Il
était une fois un alignement de beaux et vénérables arbres qui
servait de lisère à la plus belle des rivières. Ils avaient grandi
aux chants mélodieux de la Loire, enregistrant au plus profond de
leur écorce, les murmures des flots, les chants des oiseaux
s’étaient gravés dans leur écorce et le bruissement du vent
avait enchanté leurs feuilles. Ils s’étaient nourris des couleurs
de la dame, se plaisant à en graver chaque année un cerne
supplémentaire pour honorer le temps qui passe d’un délicat
soupir.
Ils
supportèrent les colères d’Éole, les caprices des hommes qui
sont plus redoutables encore, les furies de la rivière qui coulait à
leurs pieds. Ils avaient supporté les agressions venues du ciel, les
bombardements qui rasèrent une partie de la cité. Ils avaient tenu
tête, forts de leur courage et de leur volonté de ne jamais rien
céder aux folies des uns et des autres. Ils ignoraient que le pire
n’était pas encore advenu.
Ils
étaient là depuis si longtemps qu’ils se pensaient désormais
indestructibles en dépit de quelques maux sournois venant ronger
certains spécimens. Ils avaient encore fière allure et
n’imaginaient pas un seul instant que le coup de grâce leur
viendrait d’un presque homonyme, un homme portant un patronyme
arboricole dont jadis on faisait des balais. On est toujours trahi
par les siens, c’est ce que devaient se murmurer les platanes de
Gien attendant fébriles les morsures de la tronçonneuse.
Pourtant,
en dépit de la férocité de l’échevin, les vieux arbres
s’étaient mis à rêver. Une douce mélodie parcourait la cité,
une rumeur comme seule la Loire sait les faire naître. Il y avait
cette fois de quoi se réjouir et accepter sans broncher l’issue
fatale. Il ne pouvait être plus beau sacrifice pour un platane que
celui qui semblait leur être promis. Ils en avaient la sève à
l’œil, sachant de cette manière très forestière, entrer dans la
postérité.
Ils
avaient écouté tant de légendes qu’ils se persuadèrent bien
vite qu’il n’était pas, pour eux plus belle destinée que celle
dont l’échevin au cœur de musicien, avait décidé de les
gratifier. Homme de culture et amoureux du beau, l’homme dans un
sursaut de lucidité, avait en effet décrété que le sacrifice des
platanes ne serait pas vain. On se réjouissait dans la belle ville,
tout espoir n’était donc pas perdu de sauver la face aux yeux du
monde.
Il
se murmurait de bouche à oreille, que chaque platane abattu serait
confié aux meilleurs luthiers de la nation à charge pour eux de
rivaliser en dextérité pour fabriquer le plus beau des violons. Les
oiseaux qui depuis des lustres chantaient sur les branches de ces
vénérables platanes, verraient leurs tendres perchoirs répercuter
à leur tour les joyeux trilles dont ils les avaient nourris.
Nous
étions fous de joie à cette merveilleuse nouvelle, acceptant
désormais ce sacrifice qui prenait des allures de triomphe. Un
orchestre aux mille cordes allait réjouir les cœurs de ceux qui ne
pleureraient plus longtemps ces vieux arbres qui les avaient vus
grandir. Quel bonheur, quelle belle idée !
On
rêvait déjà de voir la création d’un corps de ballet à
l’initiative de ce maire, acquis plus que tous les autres à la
culture sous toutes ses formes. On en frémissait d’impatience dans
la cité d’Anne de Beaujeu. Les parrains de ces arbres, venaient en
délégation chanter, les louanges de cette archet du tendre qui
avait songé à ce merveilleux retournement de situation. Qu’importe
désormais l’abattage des platanes, leur remplacement par une
essence exotique, le plus beau était à venir, il n’y avait qu’à
s’en réjouir !
Hélas,
tout ceci n’était que poudre aux yeux, invention dérisoire d’un
faiseur d’histoires. Le maire droit dans ses bottes de bûcheron
impitoyable, ignorait tout des légendes, se faisant fort d’être
un homme pragmatique comme aiment à dire ceux qui n’ont aucune
sensibilité ni même un peu de culture. Ce n’était qu’un songe,
un pauvre répit illusoire avant que de ne vivre ce terrible
cauchemar en bord de Loire.
Nous
n’accorderons pas nos violons, nous resterons à jamais l’arme au
poing, prêts à décocher nos traits, nous les archers de la révolte
ligérienne. Monsieur le maire pourrait sauver la face en nous jouant
une petite fugue, prenant la clef des chants pour préserver nos
platanes. Nous lui en serions alors éternellement reconnaissants,
chantant ses louanges pour le reste des temps.
Harmonieusement
sien.
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