lundi 23 avril 2018

La mélodie des quais de Gien

Un orchestre à mille cordes




Il était une fois un alignement de beaux et vénérables arbres qui servait de lisère à la plus belle des rivières. Ils avaient grandi aux chants mélodieux de la Loire, enregistrant au plus profond de leur écorce, les murmures des flots, les chants des oiseaux s’étaient gravés dans leur écorce et le bruissement du vent avait enchanté leurs feuilles. Ils s’étaient nourris des couleurs de la dame, se plaisant à en graver chaque année un cerne supplémentaire pour honorer le temps qui passe d’un délicat soupir.

Ils supportèrent les colères d’Éole, les caprices des hommes qui sont plus redoutables encore, les furies de la rivière qui coulait à leurs pieds. Ils avaient supporté les agressions venues du ciel, les bombardements qui rasèrent une partie de la cité. Ils avaient tenu tête, forts de leur courage et de leur volonté de ne jamais rien céder aux folies des uns et des autres. Ils ignoraient que le pire n’était pas encore advenu.

Ils étaient là depuis si longtemps qu’ils se pensaient désormais indestructibles en dépit de quelques maux sournois venant ronger certains spécimens. Ils avaient encore fière allure et n’imaginaient pas un seul instant que le coup de grâce leur viendrait d’un presque homonyme, un homme portant un patronyme arboricole dont jadis on faisait des balais. On est toujours trahi par les siens, c’est ce que devaient se murmurer les platanes de Gien attendant fébriles les morsures de la tronçonneuse.

Pourtant, en dépit de la férocité de l’échevin, les vieux arbres s’étaient mis à rêver. Une douce mélodie parcourait la cité, une rumeur comme seule la Loire sait les faire naître. Il y avait cette fois de quoi se réjouir et accepter sans broncher l’issue fatale. Il ne pouvait être plus beau sacrifice pour un platane que celui qui semblait leur être promis. Ils en avaient la sève à l’œil, sachant de cette manière très forestière, entrer dans la postérité.

Ils avaient écouté tant de légendes qu’ils se persuadèrent bien vite qu’il n’était pas, pour eux plus belle destinée que celle dont l’échevin au cœur de musicien, avait décidé de les gratifier. Homme de culture et amoureux du beau, l’homme dans un sursaut de lucidité, avait en effet décrété que le sacrifice des platanes ne serait pas vain. On se réjouissait dans la belle ville, tout espoir n’était donc pas perdu de sauver la face aux yeux du monde.

Il se murmurait de bouche à oreille, que chaque platane abattu serait confié aux meilleurs luthiers de la nation à charge pour eux de rivaliser en dextérité pour fabriquer le plus beau des violons. Les oiseaux qui depuis des lustres chantaient sur les branches de ces vénérables platanes, verraient leurs tendres perchoirs répercuter à leur tour les joyeux trilles dont ils les avaient nourris.

Nous étions fous de joie à cette merveilleuse nouvelle, acceptant désormais ce sacrifice qui prenait des allures de triomphe. Un orchestre aux mille cordes allait réjouir les cœurs de ceux qui ne pleureraient plus longtemps ces vieux arbres qui les avaient vus grandir. Quel bonheur, quelle belle idée !

On rêvait déjà de voir la création d’un corps de ballet à l’initiative de ce maire, acquis plus que tous les autres à la culture sous toutes ses formes. On en frémissait d’impatience dans la cité d’Anne de Beaujeu. Les parrains de ces arbres, venaient en délégation chanter, les louanges de cette archet du tendre qui avait songé à ce merveilleux retournement de situation. Qu’importe désormais l’abattage des platanes, leur remplacement par une essence exotique, le plus beau était à venir, il n’y avait qu’à s’en réjouir !

Hélas, tout ceci n’était que poudre aux yeux, invention dérisoire d’un faiseur d’histoires. Le maire droit dans ses bottes de bûcheron impitoyable, ignorait tout des légendes, se faisant fort d’être un homme pragmatique comme aiment à dire ceux qui n’ont aucune sensibilité ni même un peu de culture. Ce n’était qu’un songe, un pauvre répit illusoire avant que de ne vivre ce terrible cauchemar en bord de Loire.

Nous n’accorderons pas nos violons, nous resterons à jamais l’arme au poing, prêts à décocher nos traits, nous les archers de la révolte ligérienne. Monsieur le maire pourrait sauver la face en nous jouant une petite fugue, prenant la clef des chants pour préserver nos platanes. Nous lui en serions alors éternellement reconnaissants, chantant ses louanges pour le reste des temps.

Harmonieusement sien.


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