Le
domaine des Dieux.
Il
fut un temps fort lointain- bien avant que Clovis ne confiât à
Euspice et à son neveu Mesmin, la pointe marécageuse entre Loire
et Loiret- un territoire, au sud de la Loire, désespéré d'être
privé de cours d'eau , à côté de la grande rivière qui attirait
tous les regards et d'innombrables dévotions. En ce temps jadis,
quand les hommes avaient besoin de miracles ou de prodiges, ils ne
faisaient appel ni à la prière ni à la politique mais aux êtres
doués de pouvoirs extraordinaires.
C'est
ainsi que, tout naturellement, les gens d'ici allèrent quérir le
bon géant débonnaire : Galifront. D'une taille démesurée et d'un
appétit sans pareil, Galifront accepta de prêter main forte à ces
pauvres moustiques qui vivaient sur cette terre, en harmonie alors
avec tous les autres habitants. Il n'avait pas de raison de leur
refuser un petit service pourvu qu'ils pourvoient en abondance à ses
multiples agapes et libations. Le géant n'est pas exempt de
défauts ; c'est bien ce qui en fait toute son humanité.
Galifront
étudia sérieusement la demande : ces gens qui vivaient au sud
de Cenabum réclamaient une rivière. Le géant n'était pas homme à
détourner un cours d'eau pour priver les uns de ce qu'il donnerait
aux autres. Par la suite, déplorons-le, ce genre de pratique sembla
ne pas troubler ceux qui abusèrent de leur pouvoir pour s'octroyer
le droit de réaliser pareil forfait. Qui ne se souvient des affreux
moines qui détournèrent l'Authion pour le seul profit de leur
moulin à eau ? Les gens de Bourgueil débaptisèrent la rivière
pour la nommer Changeon, en souvenir de ce larcin aqueux.
Notre
bon géant se creusa longuement la tête. Le mont des élus, placé
à quelque distance de là, en atteste encore. Il se dit que cet
étrange monticule n'est que le fruit de ce grattage capillaire.
Galifront n'était pas géant soucieux de son apparence, il y avait
entre ses cheveux, si grand désordre de terre, paille et divers
intrus de toutes natures tels
bracelets, fourreaux d’épée, armures et vase en bronze, même
deux épées en fer à double tranchant repliées sur elles-mêmes,
que tout cela tomba en formant une butte de taille respectable. Sur
près de 12 mètres de hauteur et plus de 70 mètres de diamètre,
les desquamations de Galifron sont encore bien visibles.
Reconnaissons,
en la circonstance, le peu de jugeote de ce brave géant. Tout
disposé à rendre service à ces braves Ligériens, il n'en avait
pas moins oublié d'observer la géographie de la région.
Mézière-les-Cléry se situe à l'ouest et il y aurait eu fort peu
de chance que sa rivière remonte la pente jusqu'à l'endroit où
l'on réclamait son office. À sa décharge, Galifront, vivant
habituellement dans les étangs de Brenne, n'entendait rien à ces
histoires de bassin versant.
Quelques
commanditaires osèrent glisser à l'oreille du colosse qu'il se
trompait lourdement. Les géants de l'époque n'étaient pas de
nature à s'offusquer ainsi et acceptaient encore de prendre conseil
auprès des braves gens. Si depuis, de telles pratiques paraissent
impossibles, cela ne doit nullement vous faire douter de la véracité
de cette fable.
Galifront
reprit alors sa réflexion en ayant jeté son dévolu sur la région
entre Bouteille et Jargeau pour alimenter son projet. Il y avait bien
là quelques ruisseaux susceptibles de servir ses desseins dont
laBergeresse, qui sort de terre à la Brosse à Sully sur Loire pour
devenir le Leu à Bouteille puis le Dhuy en arrivant à Saint Cyr.
Mais
rappelons-le : Galifront ne voulait nullement léser les uns aux
profits des autres et c'est alors qu'il eut une idée de génie.
Puisque de toute manière, cette rivière retournerait à la Loire,
pourquoi ne pas emprunter à celle-ci un peu de ses flots ? La
question méritait d'être creusée. Galifront fit alors appel au
terrifiant Égoutier, monstre souterrain, spécialiste des galeries
obscures et des cavités sous la terre.
Seul
Galifront était en mesure d'entrer en commerce avec ce terrible et
grossier personnage. L'Égoutier était affublé du terrible syndrome
de Tourette qui s'accompagne de propos d'une grossièreté sans nom
et de grimaces épouvantables. Le vilain, si infréquentable, passait
sa vie à errer dans les profondeurs du sous-sol. Voilà le mauvais
diable qui allait lui permettre de remplir sa mission …
Galifront
tapa du talon en maints endroits de la Loire. Ce géant pouvait
marcher au milieu de la rivière sans même se mouiller le haut du
jarret. Chaque coup de pied en fragilisait le lit, fait de calcaire.
En quelques impacts, des trous se firent et c'est là qu'entra en
fonction l'immonde Égoutier.
Il
perça sous la terre tant et tant de galeries que lui-même, entre
deux jurons, finissait par se perdre. Il avançait au jugé,
cherchant à couper vers l'Ouest tandis que la rivière achevait sa
lente montée vers le nord. Il établit un réseau si sinueux et
complexe, que les savants de notre époque mirent très longtemps à
découvrir l'origine des eaux du Loiret.
Galifront
riait dans sa barbe. Il avait réussi un si bel ouvrage que bientôt,
en trois points au Sud de Cenabum, des sources apparurent. L'une fut
appelée l'Abîme, une autre le Gouffre et la dernière le Bouillon.
Elles donnèrent vie à une belle rivière aux eaux étrangement
claires et toujours de température constante. La nouvelle venue
capta bien vite les eaux du Dhuy et tailla sa route dans le plus
merveilleux écrin qui soit.
Ce
qu'il avait réalisé là était un chef-d'œuvre d'harmonie et de
sérénité. Le Loiret était né. Il allait enchanter tous ceux qui
eurent, et auront encore, le bonheur d'habiter le long de ses rives.
Belles demeures et moulins, guinguettes et pontons, châteaux et
petites folies s'érigèrent au fil des époques.
Galifront
s'en retourna dans son pays de Brenne jouer longtemps encore de
vilains tours aux humains qui ne respectaient pas dame nature. Il
oublia, la chose est fort grave, le méchant Égoutier, toujours
affairé à faire du soul-sol de Loire un véritable gruyère. De
temps à autre, il manifeste son éternelle méchante humeur, son
incomparable mauvaise éducation en provoquant un effondrement que
les gens d'ici redoutent et désignent du vocable de bîme.
Bien
des maisons, des voitures parfois, des tracteurs et des hommes
disparurent dans ces trous béants et sans retour. Il fallait bien
payer un tribut à ce somptueux écrin, à cette rivière des
merveilles. La rivière elle-même connut quelques frayeurs, toujours
de la faute de l'Égoutier mal embouché. En 1672, une nouvelle
source : Le Bouillon jaillit dans le parc d'un Château qui devint,
bien plus tard, un splendide Parc Floral.
Plus
tard encore, en 1879 se combla mystérieusement le Gouffre, une des
deux premières sources. L'Égoutier avait encore frappé. Il n'est
pas exclu qu'il continue ainsi à nous faire trembler. Parfois même,
vous pouvez entendre au bord de l'eau d'étranges jurons, de vilaines
insultes. Ne cherchez pas plus loin, c'est notre monstre qui
s'énerve. Nul riverain de nos bords de Loiret et de Loire ne serait
en mesure de dire pareilles horreurs dans un paysage si beau !
Ignorez
le vilain mal embouché et laissez-vous bercer par la magnificence de
cette petite Loire. Une promenade le long de ses rives est un pur
bonheur, un privilège dont les gens d'ici ont tout loisir de
profiter. Le marcheur échappe au temps et aux soucis de l'époque,
il chemine, porté par la rivière, ses hôtes et la nature
environnante. La prochaine fois, ayez une pensée reconnaissante pour
Galifront, l'auteur de cette merveille : la rivière Loiret.
Géologiquement
sien.
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