Seigneurs
sur l'eau
Il
était un temps où nos mariniers avaient si mauvaise réputation
qu'ils cherchèrent à redorer leur blason. La chose n'est pas simple
quand on prétendait un peu partout dans le pays que ces grands
gaillards n'étaient que des gueux dès qu'ils mettaient le pied à
terre. Il faut admettre que la remarque était assez juste tant ils
aimaient les excès de toutes sortes.
Mais
nul ne pouvait leur retirer leur esprit chevaleresque quand ils
étaient sur la rivière. Et tous se plaisaient alors à dire qu'ils
étaient seigneurs sur l'eau. C'est ainsi que l'idée trotta dans
bien des têtes pour que ce titre de noblesse soit illustré de la
plus belle des manières. C'est avec leur si modeste personne que nos
bonshommes cherchèrent à marquer leurs quartiers de noblesse
ligérienne.
Il
fut une époque où chacun fit sur les bateaux de bois assaut
d'élégance et d'originalité en portant le grand chapeau de feutre.
Les uns les faisaient monter vers le ciel, d'autres les paraient de
plumes ou de galons, de fleurs ou de cocardes. Certains les faisaient
tricornes quand d'autres les effilaient à n'en plus finir. Il y
avait bien de la fantaisie dans cette mode du couvre-chef et beaucoup
de tracas quand le vent venait à souffler.
Ce
fut alors une période où il y eu tant de chapeaux dérivant sur la
Loire qu'il fallut mettre un terme à cette folie absurde. Les
pêcheurs en vinrent à manger leur chapeau, ce qui, avouons-le est
des plus indigeste.
Nos
grandes goules se tournèrent alors vers leurs cordages pour se
différencier des cul-terreux restés à terre. Les étendards
vinrent décorer chaque embarcation. Les plus belles étoffes
volaient au vent, il y avait là toutes les merveilles de la
confection. Chacun y allait de ses couleurs et de toutes les
longueurs. Bientôt les embarcations devinrent des étalages de
rubans. Et quand venait le passage des ponts, qu'il fallait affaler
le mât, il y avait grand embrouillamini entre cordages et chiffons.
Une fois encore, l'idée avait tourné court.
C'est
un plus malin qui pensa mettre une girouette au bout du mat, un joli
travail ouvragé en fer forgé qui non seulement était joli mais
vous montrait le sens du vent. Tous les capitaines louèrent cette
initiative et chacun s'empressa de commander au forgeron de chez lui
belle sculpture pour montrer à tous sa magnificence. Il y eu sur la
Loire des girouettes à vous faire perdre le nord jusqu'à ce qu'une
fois encore, on découvre la faille.
La
girouette pesait tous les diables et la folie de nos hommes en
exagérait considérablement la taille. C'était à qui aurait la
plus grande, la plus belle, la mieux ouvragée et bien des mâts
souffrirent de ce surcroît de poids. Il était grand temps que nos
mariniers revinssent à plus de raison. C'est un charpentier de
marine qui souffla à l'oreille d'un capitaine déboussolé qu'il
était possible de faire des deux modes précédentes une seule et
belle idée.
Pour
indiquer le sens du vent, un girouet de bois sculpté fera
parfaitement l'usage tout en étant bien moins lourd. Il peut aussi
se parer d'oriflammes pour retrouver le plaisir de la fanfreluche.
Aussitôt dit, presque aussitôt fait. Le premier girouet fut dressé
sur le premier bateau et bientôt tous les autres voulurent avoir
leur trésor.
Les
capitaines se souvinrent alors de la science héraldique. Chaque
girouet portait des symboles et des chimères, des signes distinctifs
pour raconter une histoire, revendiquer une origine ou se démarquer
de la masse commune. L'imagination ligérienne fit des merveilles et
sur le mât, trônaient fièrement salamandres et épées, licornes
et fleurs de lys, cœurs et dragons, poissons et figures
géométriques.
A
cette époque glorieuse de la marine de Loire, le girouet constituait
à la fois un instrument de navigation et un élément
d’identification décoratif. Le batelier, tributaire du vent, était
fier de sa girouette de bois, fixée au sommet du mât de son bateau.
Peinte, taillée au couteau dans une planche de bois à la veillée,
elle était soulignée d’une longue bannière de couleur vive
propre à chaque maître d’équipage.
Depuis,
chaque bateau porte fièrement ce signe distinctif qui est devenu le
symbole de notre Loire et de sa marine. Aujourd'hui, toutes nos
communes au sein de la zone délimitée par l'Unesco au titre du
patrimoine mondial de l'humanité ont adopté ce magnifique symbole.
Venez voir nos girouets et écoutez nos histoires de Loire.
Nous
sommes restés gueux sur terre mais sommes désormais vrais seigneurs
sur l'eau. Nos armoiries sont sur nos bateaux. Si la Loire est la
vallée des rois, chaque marinier est roi en son royaume, son
magnifique bateau de bois, orné d'un girouet ouvragé qui flotte
fièrement au vent.
Héraldiquement
vôtre.
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