jeudi 5 avril 2018

Une maille à l’endroit et l’autre dans la rivière.

Marie-Madeleine.



Il était une fois une étrange dame qui s’était mis en tête de piloter son bateau. Si aujourd’hui, la chose peut paraître normale, il lui fallut cependant, en cette époque lointaine abattre bien des réticences, repousser plus encore obstacles et crocs en jambe pour devenir comme elle en rêvait Capitaine et seule maîtresse à bord. Pour mener à bien son incroyable dessein, elle dut imaginer son navire et faire des pieds et des mains pour aplanir toutes les difficultés qui se dressèrent sur sa route.

Même si la marine de Loire a montré l’exemple en matière de place accordée à la gente féminine, il n’en reste pas moins que la femme à la barre, a ici aussi, bien du mal à être acceptée. L’égalité entre les hommes et les femmes n’est souvent qu’une vue de l’esprit qui se fracasse aux mesquineries et au machisme, quelles que soient les époques et les castes.

Mais revenons sur la Loire car c’est du moins là le plus grand espoir de notre belle Marie-Madeleine, une femme opiniâtre qui savait faire chavirer ses détracteurs en les noyant dans la profondeur incomparable de ses yeux diaboliques. C’est de cette magie qu’elle usa pour parvenir à ses fins, ce que femme veut, elle finit toujours par le concrétiser pour peu qu’elle dispose de solides atouts dans son jeu d’alouette.

Elle avait d’ailleurs appris ce jeu de cartes ancestral avec son grand-père. C’est grâce à lui qu’elle maîtrisait l’art de la menterie, de la dissimulation ou bien du bluff. Autant de compétences nécessaires quand on veut mener sa barque sur un long fleuve in-tranquille. C’est ainsi qu’un beau jour, elle se retrouva aux commandes de son embarcation, rêve éveillé qui la comblait d’aise.

Mais pour Capitaine qu’elle était, elle n’en était pas moins femme avec ses innombrables qualités pour mener à bien son entreprise flottante et ses petits travers qui font tout le charme de celles qu’on aime. Chez elle, il y avait une nécessité impérieuse, un curieuse exigence, un caprice diraient ceux qui ne la connaissent pas bien ; la dame devait piloter son magnifique coursier de Loire en chaussettes, afin de ne point glisser ou plus prosaïquement parce qu’elle était frileuse..

Ne riez pas, certains s’affublent d’une longue cape satanique ou bien d’un grand chapeau de feutre, d’autres se travestissent en pirates ou en improbables flibustiers. Il se murmure même que certains se couvrent d’un béret pour raconter des sornettes. Elle n’avait besoin que de se sentir à l’aise sur le pont dans des petites chaussettes blanches qu’elle comptait bien tricoter elle-même. Quoi de plus naturel quand on se prénomme Marie-Madeleine ?

Mais voilà que diablerie s’était glissée dans ce désir. La dame toute marinière qu’elle était n’en était pas moins diablesse, fée ou bien intrigante. Elle en avait envoûté plus d’un et tous ceux-là pourront accréditer ce fait. Elle voulait une laine spéciale, un fil plus inaccessible encore que celui d’Ariane. Elle qui avait les yeux couleur de rivière, c’est vers le ciel qu’elle portait ses regards.

L’enchanteresse s’était mis en tête que s’il y avait des moutons dans le ciel de cette magnifique Vallée de la Loire, c’est qu’il devait bien y avoir dans la nue quelques bergères pour filer sur un rouet, la laine de ses vœux. Je ne sais par quel prodige elle obtint sa laine magique mais toujours est-il qu’un joli soir de pleine Lune, la dame pouvait enfiler ses chaussettes venues des nuées et filer sur l’onde céleste de notre magnifique rivière.

Le suite est délectable pour peu que vous donniez foi aux légendes et aux mystères sacrés. Lors de son premier voyage, la Capitaine Marie-Madeleine se prit les pieds dans la chaîne d’une ancre qui traînait négligemment sur le pont avant. Elle trébucha, perdit l’équilibre et tomba dans les flots obscurs d’une Loire qui était en furie.

Ceux qui assistèrent à ce drame pensèrent ne jamais la revoir. Pourtant lors de sa chute, les chaussettes célestes s’accrochèrent à une maillon de chaîne et se défirent tout au long de la lente et inexorable chute de leur propriétaire. Ces deux fils fragiles allaient-ils pouvoir la retenir à la vie et permettre qu’on la sortit de ce très mauvais pas ? Beaucoup en doutaient quand un inconnu, un raconteur d’histoires se présenta avec deux aiguilles d’or. Il se nommait Phil’Dart, un curieux sobriquet hérité de sa tribu de tisserand.

Phil se mit en demeure de tricoter sans relâche les deux fils de laine. Il fit, à la surprise de tous les témoins, non pas des chaussettes mais une sorte de grand bonnet de laine. Plus ses aiguilles tricotaient plus le mystère pesait sur ce navire ou la stupéfaction avait remplacé l’angoisse. Chacun voyait bien qu’il se passait là quelque chose qui échappait au naturel, à la norme et aux raisons de la logique humaine.

Quand son bonnet eut pris forme, qu’il était à quelques mailles d’être enfin achevé, une forme sortit des eaux accrochée par les deux autres extrémités de ce que tricotait Phil Dard. Marie-Madeleine ressortait des flots, ou du moins celle que nous pensions être encore notre gentille Capitaine. Cependant, elle n’était pas tout à fait la même, elle semblait couverte d’écailles et à la place de ses deux jambes, arborait désormais une magnifique queue de poisson.

La dame s’était faite sirène le temps de ce plongeon magique. Elle cacha sa queue de poisson sous le bonnet de laine qui l’avait ramené à la surface et depuis elle pilote son bateau, faisant croire à ses passagers qu’il lui faut des chaussettes à ses petits petons pour conduire une si belle embarcation. Les moutons ne sont plus au ciel, ils font désormais cortège à la dame en hérissant la rivière de délicats clapots.

Si vous avez perdu le fil de mon histoire, n’en soyez pas contrarié. Il vous suffit de chercher quelque part sur la Loire, la belle capitaine aux yeux de lumière, d’embarquer avec elle et d’attendre que la Lune éclaire les flots pour découvrir l’étrange et sublime métamorphose de Marie-Madeleine, sirène et Dame Liger.

Laineusement sien.


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