mardi 31 juillet 2018

Le coq et l'âne


 
Quelques digressions absurdes !
 

    Le brave gallinacé se sent parfaitement chez lui en ce doux pays de France. Il profite comme tous ses semblables de ce   détail oiseux : les Romains  ne disposaient que d'un seul mot : « gallus », pour désigner à la fois l'homme de Gaule et le coq. Ce manque de vocabulaire fut un prétexte sans doute à moquerie, même s'il faut lui reconnaître le mérite d'avoir placé sur le clocher de nos églises un emblème qui avait fière allure.

    Le coq aime la France et se noyait aisément dans un litre de vin rouge. Le coq au vin : existe-t-il un plat plus divin ? Bien sûr, il a perdu de sa superbe, il est jugé trop rustique, campagnard et quelque peu calorifique. Le citadin pince le bec devant autant de sincérité gustative. Il n'est guère enchanté de déguster pareil festin. Mais revenons à notre larron.

    Le coq se venge et joue l'emblème à deux pattes quand il vagabonde librement sur une pelouse lors d'une rencontre internationale. J'évoque encore au présent ce plaisant moment alors que la grippe aviaire et les fouilles au corps ont depuis quelque temps rendu caduque cette aimable manifestation patriotique. Vous risquez qu'on vous vole dans les plumes si vous souhaitez faire pénétrer dans l'enceinte le noble animal emplumé.

    Le coq s'empâte, il est soumis à des contraintes qui le poussent à rester au lit le matin. Le lever du jour est souvent trop précoce lors de la période estivale. Les voisins voient d'un mauvais œil et , plus encore, d'une oreille sourcilleuse, le chant claironnant du mâle en goguette. Le coq doit veiller à ne point se réveiller de bonne heure ; le monde est désormais procédurier, il doit se taire tout comme ses commères les cloches ….

    Le coq se sent châtré d'être ainsi réduit au silence. Plus de cocorico joyeux. Plus de tas de fumier non plus pour prendre de la hauteur et monter sur ses ergots. Il peut tout juste se satisfaire du composteur, espace clos qui lui ôte tout désir de s'égosiller la crête au vent. Les temps sont durs pour le bel animal ; sa fierté en prend un sacré coup ; le combat est inégal devant les mauvais coucheurs qui ont tous tendance à faire la grasse matinée.

    Le coq en a assez de faire la cour à ces pauvres femelles qui jouent les cocottes. Elles deviennent de plus en plus délicates, exigent des présents de valeur, se parfument et s'emplument. La poule se fait de luxe, aime à être entretenue : ce qui n'est pas du tout dans les moyens du garçon. Le coq a viré sa cuti : il a désormais les yeux de Chimène pour son compère l'âne. La théorie du genre a fait bien des dégâts : ici ou dans les basses-cours.

    Le coq se voit en danseuse pour séduire l'animal aux grandes oreilles. Il joue du pédalier, se raffermit le mollet pour lui taper dans l'œil. L'âne, pour bâté qu'il soit, aime à emprunter les circuits et les pistes aventureuses. À voir les jambes de coq se dandiner devant lui, il se sent pousser des ailes. Une bourrique, un peu jalouse, lui fait quelques remontrances. Devant les moqueries muletières, notre âne devient rouge comme un coq.

    Âne et coq s'en vont bras dessus, bras dessous. Ils laissent ainsi les convenances, se moquent de l'opinion publique. Le coq se fiche désormais de savoir s'il chante mieux que son compagnon ne braie. L'amour entre eux est bien plus fort que de si dérisoires considérations. Aux premières lueurs de jour, ils s'époumonent de concert pour déclarer la bienvenue à l'astre solaire.

    Les poules, totalement perturbées par ce revirement, sautent de l'un à l'autre sans plus de succès. Fort heureusement, les demoiselles n'ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier :  un jeune coq, sorti des bruyères, vient se proposer pour remplacer le vieux mâle qui se comporte désormais comme un chapon. La nature ayant horreur du vide, il est embauché immédiatement par les poulettes qui mettent toutes la main au pot pour s'offrir ses services.

    Le coq et l'âne s'en vont, indifférents. Ils s'aiment. Rien n'est plus important à leurs yeux. Il se moquent du qu'en-dira-t-on. Ils avancent fièrement vers un monde plus beau, un monde sans préjugés ni expressions douteuses. Les animaux ne sont pas toujours à la fête, surtout en période de fête. Une dinde se dit qu'il est grand temps pour elle, de partir avec eux. Noël approche, elle risque de se retrouver marron.
   
    Anthropomorphismement leur.

    https://www.youtube.com/watch?v=AQdbBiy-5XE&feature=youtu.be


lundi 30 juillet 2018

La Chavannée


Et si c’est de là que tout avait recommencé ?



Il est un lieu si particulier, si beau et chargé d’histoire que rien ne s’y déroule comme ailleurs. Quelque part au bord de l’Allier, il est une petite sente qui plonge vers la rivière. Quand on se trouve à son sommet, on y découvre un paysage d'une incomparable beauté . En cet endroit trois provinces françaises se rejoignent : le Berry, la Bourgogne, le Bourbonnais. On y ressent le souffle de l’histoire et le poids des légendes. Au loin les chats-huants ululent à vous glacer le sang, on devine qu’ici quelques drames se sont noués au fil du temps.

Le merveilleux site d’Embraud de l’association La Chavannée, à Château-sur-Allier, domine ce lieu unique d'une beauté à vous couper le souffle, à bouter son chapeau bien bas devant l’obstination et la persévérance de Jacques Paris et de ses compagnons à créer et faire vivre un espace consacré à la préservation des traditions : marinières, folkloriques, culturelles, historiques. Décrire toutes les activités serait fastidieux. Il convient de parcourir leur site pour en prendre conscience :


Le panorama, rien qu’à lui seul, vous permet de comprendre pourquoi, depuis plus de deux mille ans, les humains remontent la sente qui mène à la ferme située sur le sommet de la colline. Ils y ont porté le sel, le vin, les grains, les produits que les mariniers transportaient sur la rivière. Vous n’avez alors qu’à écouter le patriarche, évoquer avec du trémolo dans la voix, ce chemin fondateur d’une épopée qui reste encore la sienne.

Fondée en 1969, l’association « La Chavannée » a pratiqué le collectage, la musique, la batellerie avec, en tête de pont, l’instituteur Freinet qui menait à la ferme ses élèves et les plus anciens. Dix ans plus tard, la ferme était achetée et ne cesserait de grandir pour devenir salle de spectacle, dortoir, réfectoire, lieu d’exposition et atelier de construction navale. Retrouvez son histoire ici :


Jacques Paris est également un conteur, il aime à parler en bourbonnais, sa langue maternelle et évoque avec flamme cette formidable aventure humaine et culturelle. Nous nous sommes retrouvés autour de livres et d’auteurs qui nous touchent. Prenez la peine de l’écouter, c’est un bonheur.


Notre ami Pirate de Loire est un inconditionnel des Chavans. Il admire leurs folles expéditions à la rame tout autant que les spectacles proposés par le groupe. Il les a filmés à Langeais.


Les Chavans sont de véritables mariniers qui ont dompté l’Allier et s’autorisent parfois de folles descentes de Loire. À ce titre, ils sont uniques et méritaient cette page à leur honneur. Chapeau bas messieurs et mesdames de l’Allier. Vous êtes la gloire et le symbole du renouveau de la Marine de Loire tout autant que les grands précurseurs.


Un conte est né de notre rencontre. Il n’est pas possible de ne pas l’évoquer ici tant il a été inspiré par Jacques Paris. Merci à lui.





dimanche 29 juillet 2018

Un rat, une âne, 3 bateaux …



Et quelques humains !


Je laissai Hélène à ses bavardages, sa gentillesse et sa grande ferme pour descendre le canal latéral. Après examen du parcours sinueux de dame Loire, je n'avais guère d'autre possibilité. Je comptais retrouver un peu de monde sur mon chemin en espérant découvrir une chambre d'hôtes au détour d'un petit port.

Une pluie fine, un ciel bas, un air frisquet ; rien de tel pour décourager mes collègues touristes. Aucun cycliste sur le chemin de halage et pendant très longtemps pas la moindre pénichette. J'allais seul et durant la première heure, seul un rat, plus gros qu'un chat, me tint compagnie quelques instant.

C'est alors que les vicissitudes de la marche ou plutôt celles de mes viscères me poussèrent à demander asile à la première écluse venue. C'était celle que venait d'investir Jérémy. Il me permit d'user de ses tinettes, un bonheur rare pour une satisfaction immense. La vie est parfois simple quand on chemine …

Jérémy, le hasard se joue souvent de nous, venait de passer trois années à L'Institut d'Arts Visuels de Cenabum. Le diplôme en poche, il va rentrer à l'École Supérieur des Métiers de l'Animation pour une formation de trois années. Jérémy veut faire de l'animation 3D. Pour ses vacances, il est éclusier. Un travail qui lui laisse du temps pour travailler à des projets sur son Mac qui ne le quitte pas.

Si parfois ses longues journées : de 9 heures à 19 heures, sont agitées avec jusqu'à vingt-cinq passages de bateaux, d'autres sont d'un ennui mortel avec presque personne. Je laisse Jérémy à ce travail trop tranquille où il devra quatorze jours pour un salaire si modeste qui sera bien vite mangé à Toulouse.

Deux heures plus tard, un âne moins chargé que moi me fit un clin d'œil. Il avait l'air amusé de croiser un humain chargé comme un mulet. Entre bêtes, on se comprend avec peu de mots. Il me conseilla de ménager ma monture, je lui sus gré de se préoccuper de ma santé ! Pas très loin de là, trois personnes me regardèrent passer en feignant de ne pas me voir. Elles évitèrent ainsi de devoir saluer ce curieux personnage ! Je les plaignis de tout mon cœur, un bonjour ne coûte pas grand chose et un regard encore moins.

Marius, lui ne se fit pas prier. Il me tendit une main ferme pour saluer celui qui venait à sa rencontre. Soixante-seize ans, cultivateur à la retraite, il avait emmené pour une paire d'heures son petit fils Lucas à la pêche. Marius avait tendu trois lignes en batterie pour prendre quelques chats. L'homme avait ouvert à la va-vite une boîte de maïs Bonduel pour attirer le chaland aquatique. Je lui fis la réflexion de sa désinvolture halieutique …

À côté de nous, Lucas montrait de nombreux signes d'impatience. Il n'arrêtait pas de se « berdiller », il trempait une épuisette dans le canal mouvait l'eau et brassait l'air. Il m'expliqua qu'il allait rentrer en sixième et je lui donnai conseil de s'y tenir plus tranquille. Marius, la casquette vissée sur le crâne, le mégot collé aux lèvres, les bretelles et la veste de chasse voyait tout ça du regard bienveillant de celui qui ne s'en fait plus.

C'est moi qui me fit du mouron un peu plus tard lorsqu'au bout de six heures trente de marche, j'arrivai au terme de mon périple. J'avais pointé le petit port de Garnat comme étape possible. Il n'y avait d'ailleurs guère d'autres possibilités. Je trouvai un lieu parfaitement désert. Une pancarte annonçait fièrement un cimetière pour animaux mais pas de quoi loger le marcheur isolé.

Au pied de l'église, une boulangerie, bar, tabac, journaux loto était ouverte. J'y trouvai réconfort et présence humaine. Le patron, fort aimable me confirma qu'il n'y avait aucun espoir de logement ici. Après ma grosse marche d'hier, je n'étais pas de force à renouveler l'expérience deux jours de suite. J'appelai un taxi pour trouver de quoi me loger. Ce fut le Grand Hôtel de Bourbon Lancy ou Benjamin, Prune et Séverine me firent un accueil réconfortant.

J'étais dans une ville thermale, une voie verte me conduira demain jusqu'à Digoin. La Loire ne doit pas être loin. Il me faut, après vous avoir livré cette journée exaltante, voir si la dame ne s'ennuie pas de moi. Benjamin, à l'accueil m'a certifié qu'il y avait un club ligérien en la place. Il ne faut désespérer de rien dans un ville où un tel club est fondé …

Ligèriennement vôtre

samedi 28 juillet 2018

La brune et le malandrin


La brune et le malandrin



Au petit matin, c'est pas malin
Est partie sa brune, c'est son infortune
Le voilà chafouin, notre pauvre marin
Perché sur sa dune, pleure à la brume

Chaque soir explose son désespoir
Chaque matin impose le chagrin
Il broie du noir, se met à boire
Il est coquin pour cette catin

Sur son bateau, s'est fait falot
Pour ses chagrins, est devenu marin
Au fil de l'eau, il porte beau
À chaque matin, il rêve d'une autre main

Pour une fois, a fait son choix
Une belle blonde lui joue une ronde
Se brûle les doigts à ses émois
Un nouveau monde, femme féconde

Il ouvre son cœur, que des douceurs
Il aime la vie, plus de soucis
Pour ses langueurs, pour ses moiteurs
Sa bonne amie, il l'a chérie

Refrain

Jusqu'à demain, ça c'est certain
Le coup qui claque, la fin arnaque
Adieu d'une main, pour un vilain
Le cœur en vrac, l'amour ressac

Et tous les soirs, voilà la foire
Joue les pince-fesses, pour une déesse
La belle Loire, pour tout espoir
Quand sa tristesse, devient détresse

Sur un bateau, s'est fait matelot
Pour ses chagrins, est devenu marin
Au fil de l'eau, il porte beau
À chaque matin, il rêve d'un autre destin



vendredi 27 juillet 2018

Les chiens et le berger.


Les chiens et le berger.




Au bord de l'eau vivait un homme
Simple gardien de ses moutons
Un humble berger en somme
Loin de la ville et ses tensions

Sur la rive, du matin au soir
Il sculptait des personnages
Sur des bois flottés de Loire
Pour les enfants du voisinage

Ils aimaient à le regarder
Lui donnaient de tendres sourires
De tous, il était respecté
Gentil berger aimant à rire

Quand soudain l'orage éclata
Pour les adultes de ce bourg
Il ne fallait pas qu'on aimât
Celui qui vit à rebours

*
C'est la femme de l'échevin
Grande dame respectable
Qui distilla tout le venin
Dont on la savait capable

La mégère se fit sorcière
Proclamant à la cantonade
Par des paroles à manières
Un mensonge sans parade

Son mari lui avait mandé
De porter une affreuse rumeur
Pour que l'homme fut pourchassé
Par tous ces chiens sans honneur

À qui voulait bien l'écouter
Elle déclarait sans vergogne
Que non loin était un berger
Plus redoutable que charogne


*

Prétendant le berger porteur
De la si redoutée peste
La femme en son déshonneur
Avait la langue bien leste

Le berger en ce pays délétère
Fut soudainement mis au banc
Les enfants à coups de pierres
Les adultes bien plus méchants

Il se cacha plus loin encore
Seul maintenant avec ses moutons
Tandis que ses maudits pécores
Lui jetaient sans cesse des horions

Le temps passa ainsi longtemps
Le berger le cœur chagrin
Se souvenait des jours d'avant
Quand il n'était pas le vilain

*
Un jour un chaland s'arrêta
Un vieux marin s'en vint vers lui
Ce grand sage lui conseilla :
« N'accepte plus cette infamie ! »

« On te rejette par ignorance
C'est de cette arme qu'il faut user
Avec ton flutiau pour la danse
Tu les auras tous à tes pieds »

Ce que fit le brave berger
Par ses rondes mélodieuses
Envoûtant ceux qui l'avaient chassé
Y compris la dame odieuse

C'est la langue des oiseaux
Qui attrape par la douceur
Les menteurs, et tous les sots
Qui ignorent avoir un cœur

*

Texte merveilleusement chanté par Denis Raimbault 



jeudi 26 juillet 2018

La gazette de l’aigrette


La gazette de l’aigrette



Sur la Loire c’était calme plat
Les oiseaux n’en revenaient pas
Quand une adorable aigrette
Décida de tenir gazette

La chose émut fort un canard
Enchaîné dans une mare
Il se voyait dépossédé
D’un titre qu’il eut mérité

Une oie s’arracha une plume
Elle en attrapa un gros rhume
Elle voulait qu’ainsi on écrive
Sa gloire et toutes ses dérives

Un bateau passa sur les flots
Le marin bouta son chapeau
Avec cinq colombes sur sa hune
Il entrevoyait la fortune

Le balbuzard se prit de bec
Avec la rédactrice pète sec
Il voulait la première page
Pour la beauté du ramage

Le martin pêcheur sur la brèche
Demanda à la revêche
Qu’un modeste entre-filet
Évoque les horaires des marées

Quand soudain la rédaction
Tout à sa précipitation
Accepta de jeter l’ancre
De ce journal pour les cancres

L’aigrette tira sa révérence
À ceux de la conférence
Qui avaient dénigré celle
Qui s’envolait à tire d’ailes

Quand le journal tomba à l’eau
La garzette leur tourna le dos
Elle avait du plomb dans la tête
Pour avouer sa défaite


mercredi 25 juillet 2018

Monsieur Castor


Monsieur Castor



C'est monsieur Castor
Qui faisait le mort
Au pied de ce pont
Dans les tourbillons

C'est en notre port
De la rive Nord
Qu'il reposait là
Singeant le trépas
Car quelques fripons
De vilains garçons
Lui jetaient cailloux
En faisant les fous

Refrain

Castor agacé
Voulut les tancer
Pour son agonie
Ils seraient punis
Furent condamnés
À coups de fouet
Ça leur fit la nique
En place publique

Refrain

Castor renaissant
S'en vint réclamant
Afin d’les châtier
Devant l'assemblée
C'est à coups de queue
Qu'il punit ces gueux
Voilà ce qu'on fait
Aux affreux méfaits

C'est monsieur Castor
Qui faisait le mort
Au pied de ce pont
Dans les tourbillons


mardi 24 juillet 2018

Le vieux brochet


Le vieux brochet


Un vieux brochet aux aguets
Guettait sa future proie
C'est un goujon en tournée
Qui vint s'offrir à son choix

Il s'avança sous son nez
Innocent et fort placide
Le carnassier alléché
S'il s'était montré avide
N'en aurait fait qu'une bouchée
Sans la moindre distinction
Quand avant de l'avaler
Le gourmand eut un soupçon

Cette onde était si troublée
Il percevait quelques signes
Incitant à se méfier
De la friture sur la ligne
Brochet retenant son geste
Bouche bée lors se figea
Devant goujon qui du reste
Se refusait au trépas

« Je ne suis pas aussi frais
Que mon ami le gardon
Son œil rouge vous effraie
C'est tromperie de luron ! »
Brochet se dit dans l'instant
« Je me fais végétarien »
Et goujon reconnaissant
Lui octroya du vieux pain

Le croûton était si dur
Qu'il se brisa toutes les dents
Ainsi finit l'aventure
Du carnassier en pâture
Qui mange dans le courant
Se méfie des poissons blancs
Ils ne sont pas bon conseil
Eux et tous leurs pareils

Le vieux brochet aux aguets
Attendait son futur mets
C'est un mitron en tournée
Qui lui offrit sa fournée


dimanche 22 juillet 2018

L’écrevisse

L’écrevisse



J’en pince pour l’écrevisse
Voilà mon pauvre vice
Lui promets une danse
Et lui tends ma balance
Avance à reculons
Au bord d’un tourbillon
Elle se laisse entraîner
Se sait alors aimer
Il n’est pas meilleur plat
Que ce crustacé la

Soudain une cousine
Se fait bien plus lutine
Venue de l’Amérique
Avec toute sa clique
Elle envahit les flots
en faisant le gros dos
Supprimant l'autochtone
Devenue atone
Elle s’invente une histoire
Tout au fond de la Loire

Manque de manière
En notre rivière
S’octroyant la place
La vilaine garce
Venue de Louisiane
En fuyant la douane
Sans le moindre papier
À tout colonisé
Dans sa carapace
Elle manque de classe

Sa malheureuse consœur
En eut des hauts le cœur
A du se retirer
battue éliminée
Par cette envahissante
À la ponte galopante
Ce n’est pas la loutre
Qui lui mit des doutes
Sans aucun prédateur
elle fait notre malheur

Vous voulez la manger ?
Elle devra dégorger
Deux ou trois bonnes heures
Elle sera meilleure
Puis faudra la châtrer
Avant d’la cuisiner
La plongeant dans du vin
Pour un repas divin 

 

samedi 21 juillet 2018

Poussières d'étoiles


Poussières d'étoiles


J'allais le long de ce chemin
À la poursuite du destin
C'est alors qu'elle m'est apparue
Moi qui ne l'espérais plus

Une étoile brula dans le ciel
Annonçant que c'était elle
Ma douce dame brume
Surgit d'un rayon de Lune

Elle m'invita à danser
Me voulant pour fiancé
D'où me venait cet honneur
Qui bouleversa mon cœur ?

Sans chercher à comprendre
Il me fallait la prendre
La serrer fort dans mes bras
Pour partager ce moment là

Tout au long de cette nuit
Nos âmes furent unies
Quand arriva ce matin
Qui me plongea en chagrin

La dame s’est évanouie
Alors qu'elle m'avait promis
De ce si tendre partage
Bien plus qu'un mariage

Mes larmes coulaient à flot
Quand au milieu du halo
De ses poussières d'étoiles
Elle me tendit une voile

Je quittais cette terre
Pour aller vers l'éther
Ce merveilleux domaine
De celle qui sera ma reine

Nous dansons main dans la main
Sans nous soucier de demain
Nous nous aimons dans le ciel
Loin de ce monde artificiel


jeudi 19 juillet 2018

Quand Lucien faisait le joli cœur


Le grand saut du Perron



En 1705, il était une fois à Saint Raimbert un jeune homme bien fait de sa personne, un gars réputé pour sa bravoure et son amour des jolies demoiselles. Il courait le guilledou, allant d’un jupon à l’autre avec délectation. Jamais satisfait de sa conquête, il se remettait toujours en quête, espérant trouver le véritable amour, celui qui fait battre le cœur.

Lucien était bien né, non pas qu’il fut venu dans l’existence avec une cuillère en argent dans la bouche ou bien un Louis d’or à chaque anniversaire ; nous connaissons de tels personnages dont il n’est rien à attendre de bon. Lui, il était d’ humble extraction, de celle qui vous pousse à tenter le diable pour réussir sa vie.

Le hasard, la nécessité, qu’importe comment nomme-t-on la coïncidence, Lucien fut présent lors de la création de la grande aventure des rambertes. Le charbon de terre, extrait dans les mines du côté de Saint Étienne, était réclamé dans tout le pays et par le roi Louis XIV, qui avaiwwt en ce temps-là grand besoin d’énergie pour son industrie naissante.

Il fut suggéré de transporter le précieux minerai par voie d’eau, la Loire étant fréquentable quelques mois par an du côté de Roanne. Des hommes plus audacieux pensèrent qu’il était possible de gagner temps et argent en embarquant dès Saint Rambert. Le problème majeur résidant dans le redoutable passage du Perron, qui dressait là, au milieu de la rivière, une barrière rocheuse exigeant un saut périlleux.

Lucien fut parmi les premiers à se porter volontaire pour tenter le diable. Il connaissait par le cœur le cours d’eau, aimant depuis toujours à s’y promener, à pêcher malgré l’interdit qui pesait sur cette pratique relevant d’un privilège corporatiste. Il savait les rochers, les obstacles, les pièges qui parsemaient ce trajet. Il avait, dans son jeune âge, osé la construction d’une pirogue et affronté la rivière. Sa réputation avait ainsi fait le tour de la contrée et c’est vers lui que se tournèrent naturellement les promoteurs de cette aventure en devenir.

Lucien supervisa la construction de la toute première ramberte, une grande barge en sapin pour y charger vingt tonnes de charbon. Il avait donné des conseils avisés, fort de ses expériences avec sa pirogue. Il se porta volontaire pour être le premier à se lancer dans cette folie, en situation réelle, avec une embarcation chargée. Il eut d’ailleurs bien du mal à trouver un compère qui acceptât de l’accompagner dans l’aventure.

Il fut celui qui ouvrit la route, une route parsemée de pièges et d’écueils. Son succès provoqua une épopée qui dura deux siècles et demi. D’autres trompe-la-mort se mirent aussi sur le métier qui venait de naître, celui de navigateurs audacieux qui menaient les bateaux sur ce petit parcours semé de chausse-trappes avant de les confier à d’autres, pour de longs trajets plus paisibles.

Ces gars-là étaient des acrobates, des têtes brûlées ne craignant rien. Ils étaient pourtant si faibles dans ces flots furieux, avec leurs deux malheureuses pétoles, leur courage et la main de dieu tant qu’elle voulait bien les protéger. Ils étaient admirés de tous pour leur courage, surtout des jeunes femmes qui ont toujours aimé ceux qui défient le destin.

Lucien tout particulièrement avait remarqué une beauté qui guettait le passage des vaillants devant le saut du Perron. Elle était là, la robe et les cheveux flottant au vent, inquiète et fébrile devant le spectacle qu’elle admirait tout autant qu’elle redoutait. Il ne manquait jamais à chaque passage de jeter dans la rivière, à l’approche de la magnifique vigie, une rose en lui envoyant un baiser.

La demoiselle l’avait elle aussi remarqué et aurait eu les yeux de Chimène pour son kamikaze de galant si la donzelle avait connu l’histoire. Elle était énamourée pour celui qui, en dépit du danger qui sourdait, se permettait pareille galanterie et aimable révérence, à elle seule, destinée. Elle avait le cœur battant à chacun de ses passages, si fréquents du reste, qu’elle soupçonnait qu’il se mît ainsi en danger rien que pour elle.

Elle se décida à agir pour le préserver tout autant que le conquérir. Elle se rendit dans l’église de Saint Maurice, munie selon la légende, d’une épingle à cheveux. Elle essaya à plusieurs reprises de la lancer contre la queue du cheval sur lequel était juché le saint patron de la ville. On prétendait que si l’épingle s’y fichait, le mariage désiré serait exhaussé et fort heureux.

Hélas, elle n’y parvint pas et eut soudainement terrible pressentiment. Elle se précipita vers le seuil tant redouté, guettant l’arrivée de son amoureux. La Loire était ce jour-là plus haute et agitée qu’à l’habitude. Elle était folle d’inquiétude et eut un violent pincement au cœur quand elle vit apparaître celui qu’elle chérissait.

Ce ne pouvait être que lui, celui qui se tenait ainsi, si fier et élégant pour aborder le passage le plus redoutable de toute notre Loire. Elle pria Saint Nicolas, la bonne Vierge de Vernay et tous les autres saints de la création. Hélas, les cieux ce jour-là étaient inaccessibles à ses requêtes. Elle vit Lucien bouter son chapeau devant elle, lui envoyer un doux baiser, jeter la rose dans les flots en furie quand un immense craquement résonna dans la vallée. Lucien, désarçonné sombra sous les yeux de sa bien-aimée.

La pauvre, folle de douleur, se précipita à Vernay. C’est là, quelques jours plus tard, qu’on découvrit son corps, premier d’une longue série de malheureux qui perdirent en ce passage maudit l’existence. La fille pleura toutes les larmes de son corps et se fit curieuse promesse, le seigneur des cieux n’avait pas souhaité qu’elle se donnât à son beau marinier, elle décida de se faire fille de tristesse, pour accorder à tous les autres le peu de réconfort qu’elle pouvait leur accorder.

De ce jour, la fille du saut du Perron fut traitée de Péronnelle, terme qui alors fit flores. Les hommes méprisent ainsi celles qui pour des raisons qui échappent bien souvent à la compréhension, font ainsi commerce de leur corps alors qu’ils en jouissent sans honte ni remords. Elle n’en jouissait point mais se faisait un point d’honneur à adoucir une existence qu’elle savait si fragile pour ces malheureux garçons affrontant mille périls pour des boulets de charbon.

Que cette histoire résonne dans vos cœurs et vous ouvre à bien plus de compassion pour celles qui font ainsi boutique de leur corps. Elle fut écrite pour les dix ans du Liger Club de Roanne, c’est un curieux cadeau que voilà. Puissent son président et ses membres en faire bon usage pour qu’enfin, les gens de cette région, retrouvent le désir d’aimer la Loire, belle et éternelle en dépit de tous les tourments et les sacrifices qu’elle a imposés aux ligériens durant l’histoire.

Anniversairement leur.

mercredi 18 juillet 2018

La véritable route de l'étain



Une enquête du Bonimenteur.



Il était un temps d'avant notre ère où les hommes, contrairement à l'image archaïque et guerrière qu'on veut bien nous en donner, pratiquaient déjà le commerce à travers l'Europe. Au cœur de l'âge de bronze, la matière première était double, le cuivre et l'étain. Couler un bon bronze demandait donc un métal qui ne se trouvait pas en Méditerranée.

C'est en Cornouailles grande bretonne que l'essentiel du minerai était exploité. Le chemin était fort long pour aller jusqu'en Grèce, siège de la civilisation de l'époque. C'était à qui trouverait la voie la plus pratique pour acheminer le précieux minerai. Une course de l'airain fut ainsi organisée par nos ancêtres, il y a environ 4 500 ans.

Les plus fougueux Gaulois se mêlèrent aux Grands Bretons, aux Romains, Grecs, Phéniciens et quelques inévitables Barbares qui décidèrent de se lancer dans l'aventure. C'est un petit matin, jour d'équinoxe, environ deux mille ans avant notre ère que fut donné le départ de cette course qui allait décider du sort du commerce bronzé.

Les hommes de cette époque, comme ceux d'aujourd'hui, pensaient tous posséder la science infuse. L'équipe Phénicienne, composée d'excellents navigateurs opta pour le voyage au long cours. Ils longèrent les côtes gauloises, firent le tour de la péninsule ibérique et franchirent le détroit de Gibraltar avant que de se retrouver dans leur jardin, leur chère mer intérieure. Une belle ballade marine qu'ils firent en essuyant quelques grains et de grandes avaries.

Les Romains, toujours les plus malins, se lancèrent dans une toute autre direction. Rois de la ligne droite, ils se souciaient peu des difficultés. Aucun travail ne rebute l'enfant de Rome et rien ne doit entraver sa volonté. Ils traversèrent bien vite la Manche en se promettant d'y revenir bientôt. Puis, ils prirent la route à travers la campagne pour rejoindre Phocéa, le lieu d'arrivée. Il y avait sur leur route des régions bien inhospitalières et tout Romains qu'ils étaient, durent s'avouer vaincus devant les Arvernes.

Les Grecs, toujours rusés, pensèrent qu'il était possible de rejoindre la Seine. Les circonvolutions de ce fleuve ne les effrayaient pas. Ils connurent pourtant mille maux pour avancer sur ce fleuve, qui ne cessait de tourner, rendant la navigation à la voile impossible. Ils perdirent aussi beaucoup de temps en s'offrant une halte touristique à Lutèce. Puis il leur fallut regagner la Saône en coupant par Vix. Ils avaient présagé de leurs forces et durent s'avouer vaincus. D'autres étaient passés avant eux.

Les Barbares optèrent pour la voie terrestre. D'eux, malheureusement, nous perdîmes bien vite toute trace. Rester soudés en équipe était déjà une aventure pour eux. Accepter une traversée pacifique de contrées inconnues fut au-dessus de leurs forces. Quelques exactions, des conflits intestins, de belles ripailles les laissèrent en rade. Jamais on ne revit cette vaillante équipe. Il se murmure qu'ils élurent domicile en Armorique ce qui explique le caractère des gens de ce pays.

L'équipe Ibérique prit l'option grand sud. Elle plongea jusqu'à l'estuaire de la Garonne. Elle remonta le fleuve avant que de s'offrir une traversée complexe entre Toulouse et Narbonne avant que de reprendre la mer pour arriver au port. L'idée n'était pas mauvaise même si la partie terrestre fut bien rude. Ce n'était pas une hérésie de passer si bas mais eux aussi trouvèrent sur leur chemin un vent d'autan qui leur coûta la victoire.

Car voyez-vous, ceux qui sortirent vainqueurs de cette course de l'étain furent nos valeureux gaulois de la tribu Liger. Ils firent bien vite le tour de la Bretagne petite avant que de retrouver l'estuaire de la Loire. En ces temps heureux, le vent de Galerne soufflait avec vigueur. Il poussa l'embarcation de nos héros jusqu'aux confins du pays Carnute. Puis ils tirèrent leur bateau pour rejoindre le pays des Éduens. Ils eurent à franchir le seuil de Tarare par voie terrestre de Balbigny à Anse, 57 km pour rejoindre la Saône. De là ils prirent le Rhône et arrivèrent bons premiers à Phocéa. Comprenez que cette histoire resta secrète !

C'est la route qui à l'époque et pour longtemps encore fut choisie pour conduire le cuivre et l'étain vers la Méditerranée. Dans l'autre sens, les hommes qui n'aiment rien moins que de faire des voyages à vide, transportèrent des épices et des étoffes, bientôt des vins et parfois des soldats. La route de l'étain était ouverte et toutes les autres ne sont que des itinéraires perdants, des voies de seconde zone. Il n'est pas à en démordre, c'est la vérité vraie, vous pouvez m'en croire puisqu'elle passe par la Loire.

Étameurement vôtre.
Illustration
Le Trésor de Neuvy en Sullias

mardi 17 juillet 2018

Le chêne de la Rouline.



Un petit goût de silex



Il était une fois une jeune et belle servante qui s’était louée pour travailler chez des maîtres, vignerons opulents, installés entre Bué et Menetou Ratel, près de Sancerre, là sans doute où l’on fait le meilleur des vins blancs de Loire. La Rouline, tel était son sobriquet, était vaillante en diable pour les travaux des vignes comme pour ceux de la maison.

Mais c’est surtout dans le secret de l’alcôve qu’elle mettait le plus de cœur à l’ouvrage, en comblant de mille et une caresses, le fils du domaine, un solide galopin qui avait trouvé tout son contentement avec cette sacrée luronne. C'eût été le bonheur parfait si, par malheur, le ventre de la pauvrette ne s'était mis à gonfler.

Nous étions juste au sortir des effroyables événements de l’année de peu de grâce, 1572. À partir du 3 janvier, les habitants de Sancerre,ville perchée sur son piton rocheux qui domine la Loire, résistèrent vaillamment, à l'initiative de leur maire,au siège des troupes catholiques. Ce bastion huguenot était peuplé de Berrichons, gaillards réputés tout autant pour leur bravoure que leur obstination. « Plus têtu qu’un âne », dit-on des gens de ce beau pays ; et l’on a bien raison.

L’affaire pourtant tourna au drame en dépit de l'incontestable détermination des assiégés. On évoque encore, dans les livres d’histoire, la journée du 19 mars ; quand la troupe, sous les ordres du Comte de la Châtre, avait établi une brèche dans les remparts. C’était sans compter sur l’adresse diabolique des vignerons protestants, réfugiés derrière les remparts et qui, avec leurs frondes, taillèrent en pièce la soldatesque. Depuis ce jour, on évoque avec admiration les arquebuses de Sancerre qui n’étaient que frondes lançant des cailloux.

Hélas, le 19 août, la ville avait été réduite à la capitulation par les affres de la privation et de la famine. Le maire, instigateur de la résistance, Guillaume le Bailli-Johanneau, fut jeté vivant dans un puits. Il n’est pire trépas pour un Sancerrois. Il aurait sans aucun doute préféré périr noyé dans un foudre de vin de pays. Mais, revenons à notre histoire, qui, elle aussi, fit couler beaucoup de salive.

La grande ferme vigneronne faisait face au Carroy de Marloup. C’est là que, disait-on dans la contrée, à minuit, les soirs de pleine Lune, tous les sorciers et les birettes du Berry se réunissaient pour leur grand Sabbat. C’est sans aucun doute par une nuit de Sabbat que Jean, le fils de la maison, engrossa la pauvre Rouline ; il ne pouvait en être autrement.

La pauvrette cacha son forfait aussi longtemps qu’elle le put, travaillant en dépit des nausées et de la fatigue, jusqu’au jour où son état ne laissa aucun doute dans l’esprit du maître. L’homme, un catholique sévère, la chassa dans l’instant, sans même chercher à comprendre quel était l’auteur de la chose. Jean, pleutre, et redoutant surtout la colère paternelle, se garda bien d’avouer sa responsabilité.
La Rouline n’avait plus qu’à faire son baluchon et quitter dans l’instant cet emploi. Elle était déshonorée et portait son péché de manière si visible que tout le pays en était informé. Pour elle, l’avenir était bien sombre : elle serait fille-mère : la risée des bigotes et des notables. Personne ne l'emploierait dorénavant.

Elle en était à se lamenter quand elle fut rattrapée par le sort, lui qui ne l’avait jamais favorisée . Le vigneron constata la disparition de chandeliers d’argent qui trônaient habituellement sur la maie de la grande pièce de vie. Dans son esprit, comme dans celui des juges, ce larcin ne pouvait être que le fait de la pauvrette, pour se venger ou bien tenter de subvenir à ses futurs besoins.

L’enquête fut rondement menée. Le pouvoir royal, qui retrouvait sa légitimité en ce territoire, profita de l’aubaine pour démontrer son autorité et sa sévérité. Bien que les pièces à conviction ne fussent pas retrouvées et, en dépit des dénégations incessantes de la Rouline, la sentence tomba, impitoyable : la pendaison.

La justice cependant avait quelque humanité. La Rouline portait un enfant. Il lui fut accordé un délai avant son exécution pour aller jusqu’au terme de sa faute. Imaginez les tourments de la future mère : à l’inconfort de la geôle s’ajoutaient les cauchemars suscités par sa fin prochaine et le désespoir de ne jamais voir grandir son enfant. On ne peut imaginer parturiente plus en souffrance que cette pauvrette.

Quand les douleurs la prirent, elle savait que sa fin était proche. La justice de l’époque ne s’embarrassait pas de considérations humanitaires. La justice divine non plus, car l’enfant était mort- né. Voilà qui résolvait également le sort de ce pauvre petit ange. Sans lui laisser le temps de revenir de ses couches, le bourreau vint s’emparer de la Rouline pour faire un office qui n’avait que trop tardé.

On conduisit la malheureuse sous un énorme chêne. Celui-ci faisait l’admiration de tous, tant il était beau, haut, puissant. C’est sous cet arbre qu’une corde fut accrochée pour que la justice puisse passer. Devant une foule silencieuse, la Rouline rendit son dernier souffle. On se signa, certains crachèrent sur le sol et d’autres dirent d’étranges malédictions. La nuit qui approchait serait celle de la pleine Lune ; il y avait de quoi s’inquiéter dans ce coin du Berry où les superstitions font florès.

Est-ce le cri du loup cette nuit-là sur les hauteurs de Bué, la crainte du Sabbat ou bien le remords et la culpabilité qui poussèrent le responsable de ce drame à venir sous le chêne à la minuit ? Nul ne le saura jamais. Jean portait son fardeau, sa lourde conscience et le poids, à la fois du péché de chair, de sa lâcheté et de ses mensonges, car, abjection effroyable, c’est lui qui avait dérobé les chandeliers pour que la Rouline fût accusée. Il pensait ainsi se mettre à l’abri de tout aveu en ce qui concernait la rondeur du ventre de la servante de son père.

C’est un garçon totalement désemparé, détruit et plein de repentance qui s’agenouilla sous l’arbre pour demander pardon au maître des cieux. Une chouette s’envola du chêne ; il en fut effrayé. Mais pire encore, il sentit une présence derrière son dos : une main se posa sur son épaule, une main vieille, ridée, puissante aux ongles terrifiants.

Jean était incapable de se retourner. Il venait de faire sous lui ; il était totalement décomposé. La mystérieuse présence s’exprima une autre fois. De son autre main, elle tendit, devant les yeux du larron, une corde en chanvre. Un nœud coulant y avait été préparé. Jean n’eut pas besoin d’autres explications, il se leva et réalisa ce qu’on lui enjoignait de faire. Il rejoignit La Rouline, à l’heure où habituellement, il jouissait d’elle...

Quand ses pieds cessèrent de s’agiter, le bruit d’une cordelette qui fend l’air se fit entendre. Puis un sifflement le remplaça, bref et soudain. Un choc s’en suivit et la tête du pendu reçut une pierre. Au loin, une ombre s’enfuyait ; elle avait à la main une fronde. Elle disparut dans la nuit, s’envola ou bien se dissipa dans un rire sardonique.

Au loin, les douze coups de la minuit sonnèrent. Les sorciers et les birettes se regroupèrent alors et firent une folle farandole autour du chêne et de ce corps qui se balançait sous leurs yeux. De cette nuit-là, l’arbre cessa de croître. Il s’étiola au fil des années, se transformant progressivement un vieux tronc stérile et creux. Le souvenir de cette nuit de sinistre mémoire disparut dans la région et seul, l’étrange nom de Châgne à la Rouline persista jusqu’à nous.

Certains prétendront que ce récit est né d’un abus de vin blanc. Laissons parler les mauvaises langues ; c’est la jalousie ou l’ignorance qui les fait agir ainsi. Reconnaissons cependant que, si ce blanc d’ici est d'une telle délicatesse, il la doit à son terroir rempli de silex, ceux-là même qui étaient projetés dans les frondes de Sancerre.

Frondement vôtre.

Albert, une tête d'étourneau !

  Albert Père siffleur renommé Albert, oiseau étourdi Quoique ainsi prénommé N'avait rien d'un colibri  À...