mercredi 31 juillet 2024

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

 

Partir





À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

Ces éternels prisonniers de leurs entraves

Ils ont pour seules visions devant leur étrave

Des anneaux rouillés et cette maudite jetée


Ils aimeraient partir à l'aventure

Demeurent figés ici pour l'éternité

Pauvres coques immobiles et délaissées

Un pied à terre en villégiature !


Ils se voyaient en intrépides coursiers

Toujours en action à travers la planète

Ils se retrouvent pendus à des cordelettes

Condamnés à ne voir passer que des pieds


Ils espèrent ne serait-ce qu'un passage

Maigre considération que puisse accorder

Qui se croit armateur sans même naviguer

Préférant le ponton au grand vent du large


Ces bateaux ne sont que de belles façades

De riches jouets qu'on expose pour affirmer

Une réussite qui permet de parader

En se prenant pour l'amiral de la rade


Ils s'imaginent affrontant de gros rouleaux

Résistant aux assauts d'une mer démontée

Goûtant à cette merveilleuse liberté

D'être intrépide, luttant contre les flots


Un jour, ils ont été un simple caprice

Une envie qui sera hélas sans lendemain

Un acquéreur, qui bien que novice

Se pensait le plus prestigieux des marins


Depuis ils demeurent à jamais entravés

Abandonnés à ce roulis impavide

Sans autre espoir que de délicats clichés

Que leur accorderont des regards trop vides

•••



mardi 30 juillet 2024

Ici est le pays de mon enfance

 


Mon pays d'en France





C'est mon pays d'en France

Petit coin de bonheur

Berceau de mon enfance

À jamais dans mon cœur

C'est au creux de son château

Monument de l’histoire

Que se reflète en ses eaux

Notre divine Loire


De ses tours majestueuses

On découvre le Val

Lumières somptueuses

Pour écrin médiéval

Ce gardien précieux

Pour Sologne voisine

Et Berry mystérieux

Au delà des collines


Un très grand du Royaume

A illustré son nom

Après qu'un enfant des chaumes

Lui octroya son renom

Notre Duc Maximilien

Aménagea les levées

Maurice le bon chrétien

En sera la fierté


Dans le creux de ses douves

Se lovent les amants

Entre chien et louve

Admirent ce diamant

Forteresse éternelle

Conserve leurs secrets

Caché dans ses tunnels

Tel un trésor discret


Ciel aux mille couleurs

L'inonde de ces nuances

Qu’un soleil enchanteur

Lui octroya en créance

Alors ses pierres blanches

Se font ainsi reflet

En une douce revanche

Pour un somptueux ballet


Ici est un château

Le joyau de Sully

Au milieu de l'eau

Perle de mon beau pays

Dans mon village d'en France

Un petit coin de bonheur

Berceau de mon enfance

À jamais dans mon cœur


dimanche 28 juillet 2024

Au détour d'un beau songe

 

Ma vie par procuration





Lorsqu'ils se sont invités

Au détour d'un beau songe

Ils firent preuve d'assiduité

Pour peupler mes mensonges


Passagers sans bagages

Pour des voyages au long cour

Devinrent mes personnages

Sans réclamer mon concours


Ils pimentèrent leurs récits

D'aventures mirifiques.

Évanescence de la nuit

Aux vapeurs de barriques


Depuis ils n'ont de cesse

Venant à l'improviste

De m'offrir leurs largesses

À chaque entrée en piste


Suivant alors leurs conseils

Au fil d'un écritoire

Je vous glisse à l'oreille

Des aventures de Loire


C'est par procuration

Que ma vie se déroule

De pérégrinations

En mouvements de foule


De contes en fariboles

C'est désormais par écrit

Que lutins, fées et trolls

Prennent place dans mes récits


D'une existence imagée

Transmise par les rêves

Des aventures inspirées

Par des songes sans trêve


On m'accorde des mérites

Qui ne sont qu'illusion

Un auteur émérite

Crée ses propres fictions


Mes écrits sont susurrés

Par des muses oniriques

Sans que je puisse assurer

Leur rôle authentique


Ma vie bien plus que rêvée

N'est que l'émanation

D'étranges esprits éthérés

Dictant mes rédactions

•••


samedi 27 juillet 2024

Il était une oie …

Fonder une famille sur la Loire




Il était une fois une oie sauvage qui se mit à aimer la Loire tant et si bien qu'elle renonça à faire le grand chemin. La dame se posa sur notre fleuve sauvage et refusa bec et ongles de continuer la grande migration de ses congénères. L'histoire eut pu en rester là si cette oie n'avait décidé, bravant les lois de la nature, non seulement d'élire domicile, ce qui peut aisément se comprendre, tant le fleuve est beau en notre région hospitalière, mais aussi de fonder une famille avec un autochtone. L'exigence est saugrenue, elle défie les lois de la génétique et fut l'occasion de bien des surprises.


Je vais tenter l'aventure de vous narrer par le menu, les vicissitudes de notre oie volage ! Étrangement, notre oie blanche n'était pas née de la dernière averse. Quand on voyage jusqu'en Alaska, les désordres météorologiques ne doivent pas contrarier la dame des neiges. Mais notre demoiselle en avait assez des ces longs périples au-delà du noroit. C'est en eau douce de Loire qu'elle voulait vivre le reste de son âge, quitte à montrer patte blanche pour se faire accepter des espèces résidentes !


Elle eut été Bernache que le risque eut été plus grand. Les hommes de ce pays, buveurs devant l'éternel, lui auraient fait son affaire, ne lui laissant pas passer le mois d'octobre, servie comme il se doit pour accompagner ce petit vin nouveau, avec ces marrons grillés qui vont si bien quand on farcit ses pareils. La demoiselle ignorait ces pratiques locales, elle se serait sauvée à tire d'ailes si elle avait mieux écouté les leçons des anciens ! La dame ne se poussait pas du bec, elle jeta son dévolu sur le maître de ces lieux.


C'est au Balbuzard, ce beau et grand rapace pêcheur qu'elle fit les yeux doux. Quand on mesure 65 cm, on rêve d'une descendance de belle taille. Hélas, notre ami ne vit pas d'un bon œil cette éventuelle compagne. « Je crains madame, de ne pas faire la maille, si nos envergures sont analogues, je vous rends plus d'un kilogramme sur la balance. » Voilà bien des considérations de mâle prétentieux se dit-elle, en s'en allant plus loin !


Elle retint la leçon du poids et de la taille et se précipita dans les ailes d'un cygne. « Veux-tu devenir mon mari ? » lui demanda-t-elle sans préliminaire. L'animal majestueux examina la demande avant que de la rejeter catégoriquement. « Non, ma chère, notre union ne serait pas prudente ! Les hommes d'ici ont oublié que nous étions autrefois des plats de fête. Mêler ma destinée à une oie pourrait réveiller ces vilaines manières culinaires. Allez voir d'autres prétendants qui n'ont pas peur des fourneaux ! » Elle s'en alla déconfite, l'argument lui ayant provoqué des sueurs froides !


Elle fit alors la cour à un étrange oiseau qui faisait le pied de grue, immobile près de la berge. « Noble pêcheur aux aguets, si ton bec est aussi long que ton aiguillette, je devine en toi un reproducteur puissant qui pourrait, si l'envie t'en prenait, me donner bien des poussins à l'allure altière ! » Le héron, puisque c'est de lui qu'il s'agit, rejeta la proposition qu'il trouva fort cavalière. « Madame, l'habit ni le bec ne font le moine ! Que feriez-vous dans une héronnière ? En voilà des manières, passez votre chemin, je crois bien que j'ai une touche au fil de l'eau! » Non vraiment se dit-elle, les oiseaux de ce fleuve-là ne savent pas cacarder aux dames !


Elle se mit à broyer du noir, l'aventure tournait au fiasco. Elle se dit alors qu'il fallait tenter l'impossible, ne pas se fier aux apparences. Elle se précipita vers un oiseau en tous points différent d'elle. « Mon bel ami, voulez-vous être mon concubin ?» La demande était franche, la réponse le fut tout autant. « Ma belle dame au plumage si blanc, je suis fort honoré que ma parure noire ne vous ait pas effrayée. J'accepterais volontiers la demande si un petit détail ne venait à me contrarier. Les hommes ont perdu l'habitude de gober mes œufs, c'est désormais pourquoi, nous, les cormorans, sommes si nombreux sur les bancs de sable. Notre union pourrait réveiller bien des envies. On ne fait pas d'omelettes sans briser nos vœux ! ».


Cette fois, l'oie reconnut que la remarque était judicieuse, elle alla chercher sa bonne fortune en un autre endroit ! Ce bon accueil lui redonna du cœur à l'ouvrage. Elle se mit en quête d'un nouveau compagnon. C'est vrai que les oiseaux ne manquent pas en cette Loire. On pourrait même penser que c'est un paradis pour eux. Dans le lot hélas, il y en avait qui ne faisaient pas la taille quoiqu'ils furent d'excellente compagnie. Si la mouette se rit d'elle et la Sterne fut consternante, les autres se montrèrent très charmants. Le gravelot eut la délicatesse de ne lui tenir aucun propos graveleux, elle lui en sut gré. La guifette fut particulièrement aimable, si le grèbe se montra castagneux, le chevalier fut servant. Le vanneau lui parut fatiguant et la bécassine un peu sotte quant à l'aigrette, bavarde infatigable, elle lui servit de gazette du fleuve !


Pourtant pas de compagnon en vue ! Le temps passa, la saison des amours la laissa célibataire. Pourtant la demoiselle ne changea pas sa détermination première. Au printemps suivant, elle en est certaine, elle trouvera oiseau à marier. En attendant ces jours meilleurs, voilà qu'il fit sur la région un froid de canard. Les eaux de tous les étangs, les fosses et les petites rivières n'étaient maintenant que des étendues gelées. Même la Loire était prise en de nombreux endroits par les glaces. Heureusement, le courant du fleuve permettait en certains endroits de garder de minces filets d'eau.


C'est là que tous les oiseaux du pays se serraient les ailes pour se tenir au chaud. Arrivèrent sur la Loire des oiseaux peu habitués à y séjourner. Des barbaries, des cols verts et surprise pour notre oie, un magnifique jars domestique sur lequel elle jeta son dévolu. Ils se plurent immédiatement, l'animal de ferme lui trouvant caractère plus trempé que les femelles de sa cour. Ils décidèrent d'unir leurs destins. Quand la débâcle suivit l'embâcle et que tous les visiteurs s'en retournèrent chez eux, le jars élut domicile sur les rives d'une petite île boisée avec sa douce dulcinée.


Vinrent bien vite les beaux jours et leurs amours réjouirent ceux qui eurent le bonheur d'assister à leur parade nuptiale. Jamais on ne vit spectacle plus charmant ! Des beaux enfants furent les fruits qu'on croyait bénis de cette union ligérienne. Mais les hommes viennent parfois se mêler de ce qui ne les regarde pas. De doctes spécialistes pensèrent qu'il y avait là union contre nature, risque d'abâtardir l'espèce. La première portée fut occise sans ménagement par ces méchants gardiens de l'ordre normal.


L'amour étant plus fort que le dictat des hommes, le jars et notre oie sauvage allèrent se réfugier loin de ces vilains hommes. Ils ne désarmèrent pas et leur union donna de nouveaux rejetons. Maintenant sur la Loire, vous pourrez admirer une nouvelle espèce, fruit d'un croisement que les hommes, dans leur prétention folle, refusaient de voir grandir sur le fleuve. Cette histoire n'est pas une menterie, prenez la peine de regarder autour de vous. On n'entrave pas les amours, nulle barrière, fut-elle dressée par les hommes, ne peut s'opposer à la puissance des cœurs qui battent l'un pour l'autre. Retenez la leçon, elle vaut pour les oies comme pour les hommes.


 

Il était une oie


Une oie migratrice posa ses bagages

Dans un petit coin discret de nos rivages

Refusant de poursuivre son grand voyage

Pour vivre en Loire le reste de son âge


La belle de se mettre en quête d'un compagnon

Un oiseau ligérien pourvu qu'il soit mignon

Songea sans ambages que dans la région

Le balbuzard ferait une fort belle union


L'aigle pêcheur, flatté de cette démarche

Se voyait déjà en heureux patriarche

Mais l'animal, quel odieux misogyne

Ferait la moitié de la sauvagine


Retenant la leçon de la corpulence

Imagina le cygne à sa convenance

Mais le magnifique voilier par prudence

Craignit l'embuche de Noël : évidence !


Le cormoran, bien que tout noir, la séduit

Voilà un époux qui avait sa sympathie

Promesse de 51 nuances de gris

Pour des rejetons nés de ce curieux lit


Mais depuis qu'on ne se nourrit plus de ses œufs

Cet insatiable pêcheur présomptueux

N'envisageait pas de faire tapisserie

Avec celle qui d'un coup de dé menait sa vie


La pauvrette jeta alors son dévolu

Sur ce curieux échassier tout mal fichu

Le héron cendré en eut soudain la berlue

Voilà demande tout à fait inattendue


Fort de cette invite le prétendant malgré lui

Se haussa du col afin d'observer son nid

Il conviendrait d'y ajouter des pilotis

Pour y recevoir son éventuelle amie


Il repoussa l'offre de sa quémandeuse

La pauvrette n'avait pas eu la main heureuse

Elle se résolut à confier au hasard

L'éventuelle rencontre d'un improbable jard


L'hiver lui offrit cette opportunité

Par un froid de canard la glace fut brisée

Leur amour fit naître des oisons hybrides

En dépit d'eugénistes et leurs séides 

 


 

vendredi 26 juillet 2024

Pauvre batelier !

Quand le bât baisse






Il était une fois un fier et vaillant batelier de Loire qui n'avait de plus grand bonheur que d'être à la manœuvre. Il se faisait un plaisir physique à hisser la voile, à déployer cette belle toile, ce drap de volupté qui se gonflait des assauts du vent. Il n'avait pas son pareil pour abattre, relever, affaler, hisser en des mouvements incessants de va-et-vient. Il était passé maître à ce poste qui requiert dextérité, doigté et force des reins pour l'homme d'équipage.


Bien sûr, il devait parfois se résoudre à baisser pavillon, à avaler son orgueil pour démâter au passage des ponts. Il avait à chaque fois un pincement au cœur, un je ne sais quoi d'impression sournoise, un pressentiment qu'il ne parvenait pas à décrypter. Heureusement pour lui, le malaise n'était que de courte durée, l'obstacle franchi, il se réjouissait de redresser l'objet de sa fierté marinière.


Ce genre d'activité ne laissait pas insensible les dames qui du bord, admiraient les gaillards qui défiaient les flots et le courant. Elles avaient toutes des yeux énamourés pour celui qui déployait dans le ciel ce drap de coton, toile blanche qui demandait tant de peine à nos lavandières. Partout dans notre pays ligérien, ce colosse était surnommé le Bât …


Sa réputation lui valait bien des agréments. Les rendez-vous ne manquaient pas à l'ombre d'un buisson, au derrière d'un lavoir, au creux du chemin de halage. Il ne faiblissait jamais, à cette manœuvre là, il était tout aussi actif que sur ses glorieux esquifs. Il enjamba bien plus d'arches féminines qu'il ne peut y avoir de pont sur notre Loire.


Mais les belles histoires ont toujours une fin piteuse, le temps de la marine à voile tirait à sa fin. Sur le fleuve, des cheminées crachant le feu remplaçaient progressivement nos gréements magnifiques. Dans la tête de Bât, cette révolution technologique fit grand tracas. Il se voyait ne plus jamais mettre le collier à la vergue, il s'imaginait ne plus trouver passe sur le fleuve, les filles allaient se gausser de lui…


Puis une nuit, il fit grand cauchemar, rêve prémonitoire. Le bât était sur un bateau sur un fleuve en colère. Il y avait grand vague à l'âme sur la Loire ce jour-là. Les eaux étaient jaunes et grosses. La manœuvre au pont ne se passa pas bien, la Galante démâta (C'était le joli nom de la gabare sur laquelle il avait été embauché). Quand l'incident se produisit, un vapeur passa juste à bâbord et son sifflement strident sonna le réveil du pauvre homme et la fin de ses turgescences glorieuses.


Depuis ce rêve affreux, avec sa peine secrète, ce malaise qui ne se dit pas dans le milieu des marins, il allait la tête basse sur les quais de notre fleuve. Son aiguillette, celle qui fit sa gloire avait cessé de se dresser fièrement vers le ciel. Il avait le mât en berne, la marine de Loire à la voile était bien morte. Il ne s'imaginait pas une seule seconde passer à la vapeur, il avait sa dignité et ne se pensait pas capable de virer de bord, de renier ainsi sa réputation de graveleux luron .


Il usa alors de tous les remèdes de bonne-femme qui lui passaient sous la main. Il broya des becs de héron pour se faire poudre de Patachon. Il avala cette potion sans qu'il retrouve sa vigueur d'antan. Il fit appel aux marins de la mer, ceux qui venaient des terres lointaines. Il mâcha l'écorce du fameux Richeria grandis, le revigorant bois bandé, sans plus de succès. Il en venait à regretter le temps de la bricole …


Les filles désormais riaient sous des capes qu'ils ne détroussaient plus à son passage, depuis quelque temps, elles avaient trouvé que les cheminots, malgré leurs gueules noires, étaient les nouveaux aventuriers de l'intérieur. La vie de notre Bât déraillait. Il avait échoué sur un cul de grève comme un âme en peine, il avait perdu l'envie de se battre.


Il était au bord du précipice, il se voyait plonger dans une bîme, faire ce dernier saut à défaut de tous ceux qui se dérobaient désormais à lui. C'est à ce moment qu'une chasse aquatique, un grand mouvement de fureur vint du fond de notre fleuve. Un brochet affamé voulait faire son affaire à une ablette qui ne voulait pas s'en laisser compter.


Quel âne se dit de par devers lui ce pauvre Bât ! Que n'ai-je pas pensé plus tôt à cette reconversion ? Je continuerai à me faire pêcheur en restant au bord de notre Loire. Une gaule à la main, un bâton de bambou, je déploierai mes lignes pour taquiner les brèmes, les carpes et les aloses. Et si un brochet, un chevesne ou tout autre gros poisson vient à moi, je ne ferai pas le difficile.


C'est ainsi que remettant la main à la pâte, sa malédiction put tomber. Bât comme par magie, retrouva sa vigueur légendaire. S'il pousse toujours le bouchon trop loin, c'est sur la berge, sur le sable ou bien à l'embouchure d'un ruisseau qu'il renoue avec la tradition batelière. Et si quelques poissons assistent aux curieux ébats ligériens de l'ami Bât, ils s'en amusent plus qu'ils s'en offusquent. De voir de charmantes demoiselles tomber, elles aussi, dans ses filets, semblent leur faire oublier le sort qu'il leur promet.


Il ne faut jamais désespérer de la Loire, elle a toujours un tour dans son sac pour que le marin redresse la tête ! De cette histoire à ne pas mettre entre toutes les oreilles, c'est bien la seule morale qui vous soit permise d'ouïr ici.


jeudi 25 juillet 2024

Ode à la Loire ...

Dans un berceau de joncs !





C'est la Loire païenne qui nous baptisa puis nous servi de nourrice, les forêts avoisinantes qui nous élevèrent au-dessus des contingences. Nous, les enfants du Val, de Sologne et de la forêt d'Orléans ! Nous avons grandi sous la houlette bienveillante d'une nature radieuse et généreuse qui surveillait nos escapades bucoliques sans le risque des véhicules automobiles ou des craintes parentales.


Nous nous sommes nourris de la friture de goujons et des écrevisses d'alors, des pêches des étangs et des gibiers d'une Sologne qui n'était pas encore enfermée dans un labyrinthe de barbelés hostiles. Nous ramassions les champignons au Nord comme au Sud de cette frontière bleue. La lépiote s'élevait bien droite le long des rives, le cèpe abondait dans les chênaies et les girolles préféraient la lande. Nous arpentions ces espaces sans limite, n'ayant alors jamais la crainte de nous retrouver face au fusil d'un garde irascible.


Nous nous sommes réunis en joyeuses bandes insouciantes autour de feux de bois que nul ne pensait alors interdire. Nous pouvions chanter sans déplacer un véhicule bleu, nous nous regroupions sans déclencher le regard suspicieux des plus grands. Nous plumions une volaille élevée en plein air et rôtie de la même manière. Nous l'accompagnions de châtaignes ou bien de mûres qui donnaient à ces pique-niques des airs de festins.


Nous découvrîmes les promesses et les premiers émois dans la discrétion d'une garrigue, sous le couvert d'un taillis ou dans le secret d'une île. Nous avions le temps devant nous et tout cet espace sauvage pour le dévorer. Quand l'insuccès était au rendez-vous, nous offrions à la Loire consolatrice les premiers chagrins, en errant en solitaire sur une levée réparatrice, auprès d'une rive consolatrice au fil d'une onde salvatrice.


Nous avons dormi sur le sable d'une plage isolée. Des guitares incertaines accompagnaient de quelques accords, les succès de Graeme Allwrigt ou de Maxime Le Forestier que nous chantions jusqu'à ce que le sommeil nous emporte vers la magnificence d'un soleil levant. Nous étions enfants du rêve d'un Mai qui était passé en nous laissant cette farouche volonté de liberté sans entrave.


Nous avons grandi et perdu de vue notre Dame Liger pour quelques infidélités qui nous éparpillèrent dans tout le pays et bien plus loin encore. Pourtant, indéfectiblement, nous étions de la tribu Liger et jamais ce lien ne se rompra. Les semelles de vent de nos 'pataugas' nous ont conduit en bien des endroits. Beaucoup sont devenus moniteurs, éducateurs, instituteurs ou animateurs pour transmettre le goût de la pleine nature aux générations futures.


Nous avons échoué dans ce passage de témoin parce que l'étrange lucarne qui grandissait devenait plus distrayante que nos balades champêtres. Nous avons également baissé pavillon dans la lutte que nous menâmes face aux hideuses centrales qui vinrent défigurer notre Loire. Le combat était inégal et il n'est pas raisonnable d'avoir raison trop tôt ! Nous avions pourtant lutté bec et ongles contre ces monstres indomptables qui un jour nous dévoreront au nom d'un égoïsme absurde.


Beaucoup ont fait leur vie d'adulte loin de la douceur du Val. L'ascenseur social fonctionnait encore et chacun prenait une direction que de bonnes études avaient définie. Ils n'en gardèrent pas moins une douce nostalgie au cœur, une rivière qui ne cessait de les rappeler à l'ordre, de les convoquer de temps à autre pour qu'ils se ressourcent comme on dit maintenant avec cet étrange vocable fluvial.


Ceux qui sont restés ont longtemps survécu au matérialisme envahissant. Ils s'en allaient, solitaires et incompris, goûter aux charmes oubliés de la levée ou de la forêt. Puis, ils se sont retrouvés, quelques uns d'abord puis un peu plus nombreux au fil du temps, autour de la mémoire d'une marine de Loire qui avait été totalement effacée par leurs pères et les pères de ceux-ci.


Ils se sont raconté l'amour du fleuve, de ses hôtes et des alentours. Ils se sont retrouvés autour de bonnes bouteilles du pays, d'une ripaille qui n'était pas honteuse, de la fête et des danses qui font tourner les têtes et les jupons. Ils ont retrouvé les vieux écrits oubliés de Louis Martin, historien illustre de la Marine avant que d'autres ne reprennent le flambeau.


Les plus adroits ont retrouvé ou bien inventé l'art d'assembler les planches de sapin, de chêne, de sélectionner un mât sur pied et de tresser la corde de chanvre. Ils ont donné naissance à des bateaux de bois qui, gonflés d'orgueil sous le vent de galerne, remontent le courant d'une société qui file à sa perte en entraînant les générations futures et tout notre environnement vers une catastrophe probable.


Ils se sont dressés une nouvelle fois devant cette appropriation effrénée de ce qui ne devrait que se partager et se transmettre. Ils ont réveillé les ligériens, ils leur ont décillé les yeux pour qu'à nouveau ils regardent cette rivière magnifique qui est leur plus beau bien commun. Certains se sont fait charpentiers de marine, d'autres capitaines aventureux. Beaucoup se firent photographes pour la mettre en valeur tandis que d'autres prirent le pinceau . Il en est encore qui se sont rêvés chanteurs de Loire et quelques-uns ont eu la prétention d'écrire des histoires. Ils n'ont d'autre but que de vous faire aimer la rivière qui les a nourris dans son berceau de joncs. Puissiez-vous les rejoindre à votre tour au cœur, cette merveilleuse passion Loire !


 


mercredi 24 juillet 2024

Le phare

 

Phare





Promontoire dans le noir

Vigie au cœur de la nuit

Pour un mince filet d'espoir

Et promesse de survie


Toutes ses nuits se passent en insomnies

Gardien immuable des rivages

Soucieux d'épargner des avanies

À qui s'égare durant son voyage


Un œil toujours braqué sur l'océan

Tel un dolmen dressé sur les rochers

Nous accompagne alors, bienveillant

Afin que nul ne vienne s'y déchirer


Bien plus puissant qu'un rayon de Lune

Son faisceau déchire les ténèbres

Fanal de notre bonne fortune

Pour une mission qu'on célèbre

*

Étoile terrestre du matelot

Gentil berger de tous les navires

Lorsque le Phare surplombe les flots

Il nous épargne bien des soupirs


Mais le jour il indique le chemin

À des terriens en quête de fraîcheur

Désirant se réjouir d'un bon bain

Sans se rendre compte de leur erreur


Malgré tous ces redoutables dangers

La mer se confond avec un terrain de jeu

Pour des baigneurs à leur tour naufragés

Dans les remous de ce coin piégeux

*

Au pied de ce phallus ancestral

Des sauveteurs viendront alors quérir

Ceux qui n'ont pas respecté le signal

Et sans ceux-là, condamnés à mourir


Toutes ses nuits se passent en insomnies

Gardien immuable des rivages

Afin de sauver tant et tant de vies

Dans le péril au cours d'leur voyage


Ainsi, le phare sans le moindre fard

Affronte les vagues pour qui divague

D'un puissant éclair il nous éclaire

Lanterne magique quand on lanterne

*


mardi 23 juillet 2024

Cycles Helyett

 

Cycles Helyett, une histoire ligérienne.




Alphonse Picard, un garagiste de Sully-sur-Loire, vendait des cycles Peugeot quand il lui prend l’envie de voler de ses propres ailes. L’homme aimait sortir du cadre et n’était pas de ceux qui restent les deux mains sur le guidon. Il construit sa première bicyclette vers 1900  l’
Arcatène  et se lance également dans l’organisation de courses régionales. C’est le plein essor du sport avec notamment beaucoup de canotage sur les bord de Loire.


En 1910, notre entrepreneur sullylois achète un bâtiment dans le faubourg Saint-Germain pour installer des ateliers mécaniques. Avec ses deux fils Gabriel et Raymond, il fabrique ses premiers modèles auxquels il convient de donner un nom. C’est parce que la femme de Raymond apprécie une opérette de Boucheron et Audran du nom de « Miss Helyett » que la firme prend ce nom ! "Helyett" devient ainsi la raison sociale de l’entreprise et une marque déposée en 1919. La Manufacture des Cycles Helyett-Picard frères est née.


Après la grande guerre, la bicyclette a le vent en poupe. Le succès commercial favorise le développement des ateliers d’Alphonse. Suivant le modèle d’Auguste Poulain, c’est par la publicité que la marque se fait connaître surtout en s’appuyant sur les succès des sportifs avec les vélos de course maison.


En 1933, Raymond Picard finance une équipe professionnelle avec les vedettes de l’époque. Nous pouvons citer René Vietto un grimpeur d’exception. Des succursales sont ouvertes à Caen en 1924, Tours en 1930 et Orléans en 1935. Les cycles Helyett sont vendus dans le monde entier. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, 12 000 vélos sortent des usines des bords de Loire chaque année.


Les Allemands, mauvais joueurs, les réquisitionnent. Après la guerre, le champion José Beyaert remporte la « médaille d'or Course en Ligne » aux Jeux olympiques de Londres en 1948 et en 1952. À Helsinki, le jeune Jacques Anquetil remporte une médaille de bronze sur un vélo Helyett. Il passera professionnel et sera fidèle à la marque de ses débuts.


Raymond Picard meurt en 1940, suivi par son épouse Gabrielle en 1945. Leurs fils reprennent la production qui atteint alors 1 200 vélos par mois. L’usine de Sully donne du travail à plus de 100 ouvriers. Malgré les succès de Darrigade et d’Anquetil sur le Tour de France sous le maillot Helyett, le succès massif des vélos à moteur et la démocratisation de l’automobile mettent à mal ce fleuron local. L’usine Helyett est contrainte de fermer en 1962.


L’usine a connu ses heures de gloire dans les années 1950 et 1960 en remportant notamment trois Tours de France avec Jacques Anquetil sous le fameux maillot vert flanqué du nom de la chicorée Leroux. Estimée des connaisseurs et de ceux qui ont vécu l'âge d'or des courses cyclistes, Helyett est longtemps restée méconnue du grand public après la disparition des Établissements Picard en 1962, malgré une notoriété auprès des spécialistes et un palmarès qui la place parmi les plus grands noms avec Alcyon, Bianchi, Gitane ou Peugeot.


Le nom est tombé dans l’oubli durant de longues années, seuls quelques sullylois et des nostalgiques de la petite reine se rappelaient ce nom. La marque renaît au début des années 2000, d'abord par l'édition en 2009 de maillots de cyclisme inspirés des fameux designs vert et blanc, puis avec la parution en juin 2017 de « Dans le progrès, toujours en tête », le livre hommage qui retrace son histoire. En 2017, un entrepreneur s’est lancé dans la construction de cadres de vélo de course fabriqués en France sous cette marque. 



Acatène, tout un art





« En vert » et contre tous, telle devait être la devise d'Alphonse Picard un virtuose de la mécanique. En 1900, il construit son premier vélo qu'il baptise « L'Arcatène ». À en croire la légende, c'est un vélo sans chaîne et c'est la première flèche qu'il va décocher d'où cet Arc qui vient créer le trouble chez les étymologistes.


Je constate que dès le départ, certains perdent les pédales. Il est donc nécessaire de pratiquer le rétropédalage pour s'arrêter un peu sur ce terme d'Acatène. Du latin « catena » qui signifie chaîne et flanqué du privatif « a », ce mot renvoie à l'absence de chaîne pour assurer la transmission du mouvement. Le cardan était alors sur les dents pour prendre le relais de la chaîne dans l'esprit des gens alors qu'il existe d'autres procédés pour assurer la transmission du mouvement : la courroie crantée, le galet, le pignon.


Remarquez qu'au cours de leur formidable histoire industrielle, les ateliers de l'usine que fonda Auguste Picard explorèrent tous les possibles, allant jusqu'à motoriser des bicyclettes qui quoique désormais des vieux clous, n'en sont pas moins les ancêtres du vélo à assistance électrique. C'est donc en bord de Loire que s'établit alors le laboratoire du vélo de demain.


Notre père Auguste et ses fils avaient des fourmis dans les jambes et une ambition qui ne se satisfaisait pas d'être seulement prophètes en leur pays. Il est vrai qu'à Sully-sur-Loire, nombreux étaient les usagers de leur production et je repense encore avec nostalgie au vélo et à la mobylette Helyett de mon père. C'est d'ailleurs juché sur ce fier destrier que je fis mes premiers pas d'instituteur.


Les ateliers produisent des engins roulants de toute nature, de toute forme, de toute transmission. Ils font feu de tout bois dans une effervescence incroyable. La petite reine a trouvé son palais. Mais si l’innovation est la clef de voûte de la boîte, le pragmatisme n'en demeure pas moins le souci économique. Helyett se lance dans la compétition avec un succès qui ne se démentira pas jusqu'en 1962.


Les vélos sullylois vont gagner sur tous les fronts avec des titres olympiques, des courses sur route et la plus grande de toutes : « Le tour de France ». C'est d'ailleurs sur un vélo Helyett que monsieur Jacques Anquetil remportera sa première grande boucle. Le vert bouteille était la couleur de ce maillot en laine au merveilleux charme « vintage » comme on le dit en « haut solognot ».


Ainsi survient le second mystère qui tracasse Bruno Herpin, l'initiateur, créateur et animateur du musée Helyett à l'emplacement même de l'usine d'autrefois. Cette couleur verte à laquelle n'ont jamais dérogé les frères Picard, d'où vient-elle ? Si des personnes peuvent lui apporter la clef de ce mystère, il en sera très heureux. Ne nous engageons pas dans des supputations aussi incertaines que oiseuses pour revenir à cette grande aventure.


En 1910, notre entrepreneur sullylois achète un bâtiment dans le faubourg Saint-Germain pour installer des ateliers mécaniques. Avec ses deux fils Gabriel et Raymond, il fabrique ses premiers modèles auxquels il convient de donner un nom. C’est parce que la femme de Raymond apprécie une opérette de Boucheron et Audran du nom de « Miss Helyett » que la firme prend ce nom ! "Helyett" devient ainsi la raison sociale de l’entreprise et une marque déposée en 1919. La Manufacture des Cycles Helyett-Picard frères est née.

Un musée est né pour assurer la transmission de ce patrimoine qui fit la fierté des sullylois. « L'Arcatène » ne veut pas s'arrêter en si bon chemin. Le vélo ayant le vent en poupe, notre entreprenant créateur entend faire de ce lieu un point de rencontre et de service au-delà de la visite de sa formidable collection. Une buvette, une terrasse, des locations de vélo, des services et bientôt peut-être la mise à contribution d'une Loire qui coule juste devant.


Des projets plein la tête, Bruno Herpin se consacre totalement à sa petite entreprise. Il envisage des animations et vous vous doutez bien que votre serviteur sera du nombre mais encore des créations qui pour l'heure doivent rester secrètes. Il ne reste plus qu'à convaincre les gens du coin de rejoindre tous les touristes de passage qui ont déjà donné vie à ce petit musée au grand cœur.


Comme un petit vélo me trotte dans la tête, le fils du sellier ne pouvait que venir jouer les facteurs pour porter l'ambition de Bruno Herpin au-delà du sullias. Vous n'avez pas fini de lire des histoires de vélos qui se déchaînent en mon beau pays d'en-France.


 


lundi 22 juillet 2024

Les Jeux Olympitres

 

Jeux Olympitres





Il avait placé la barre trop haut

Espérant qu'on lui tende une perche

Découvrant qu'il n'est jamais pire sot

Que celui qui nous met dans la dèche


Puis, en bousculant tous les obstacles

Se trouva face à la rivière

Il se rêvait déjà au pinacle

Plongeant ses sujets dans la misère


Quand un terrible retour de flamme

Mis a sec finances et Seine

À ce pauvre banquier infâme

Sa vieille épouse fit une scène


Tant de coups de marteaux lui asséna

Qu'il dut se réfugier sous une haie

Tandis que sa mégère exigea

Que de sa personne enfin il paie


Dut accepter de changer de disque

Prenant alors le pays à témoin

Il s'enhardit à tenter le risque

De satisfaire aussi à nos besoins


C'était pour lui un saut dans l'inconnu

Le péril de tomber dans le sable

Quoique sur la paille c'est bien connu

Nous nous débattions : misérables


Ce virage lui fit quitter la piste

Adieu les promesses de podium

Et même pour tous ceux de sa liste

Ce perchoir devint un triste pensum


Or donc, dépourvu du moindre argent

Se contenta de couler un bronze

Oubliés ainsi ses désirs ardents

Quand les lauriers devinrent des ronces


Avec ses jeux nous étions tous refaits

Y compris ceux qui tinrent la torche

Plus personne pour prendre son relais

C'est la République qu'on écorche

Les dieux de l'Olympe se gaussèrent

Du fiasco d'un pitoyable mortel

Illusionniste et piètre faussaire

Manquant sa farce sacramentelle

•••


 

dimanche 21 juillet 2024

Curieuse métamorphose.

 

Chemin faisant





Au tout début de cette histoire, Archimède allait le nez au vent de par les chemins communaux, libre comme l'air, insouciant et sans entrave. Les gens, le sourire aux lèvres disait : « Tiens v'la chemineux qui passe ! » Nulle agressivité dans la remarque, parfois même un peu d'envie de partager avec lui cette vie d'errance entre Beauce, Sologne et Val de Loire. Archimède vivait de l'air du temps, allant de ferme en ferme pour gagner sa pitance par quelques menus travaux.


Il y avait toujours de l'ouvrage. Après être entré dans la cour de la ferme, il toquait à la porte entrouverte de la maison d'habitation. Il y avait toujours une voix pour lui répondre : « Finissez de rentrer mon brave ! » La suite était du même tonneau : « Vous tombez bien l'ami, il y a de quoi vous occuper. Vous allez curer l'étable et l'écurie, nourrir les cochons et les moutons, rentrer les poules, les canards, les oies, puis vous viendrez partager notre table ! »


Archimède se retroussait les manches, besognait toute l'après-midi et le soir venu, à la table des maîtres, il avait son bol de soupe, son morceau de lard, une miche de pain, du fromage, le tout arrosé de ce vin qui accroche un peu le palais qu'il allait tirer à la cannelle. Puis, il saluait la compagnie et allait partager sa couche, dans le foin, en compagnie des chevaux de la place. Au petit matin, il avait repris la route, ses chaussures ailées le conduisant vers un ailleurs identique.


Le temps passa, Archimède ne changea en rien ses habitudes qui lui assuraient le gîte et le couvert. Pourtant, il lui sembla que le monde autour de lui avait évolué. Il en voulait pour preuve qu'à son approche, les gens de rencontre avait un peu plus de réserve à son encontre. La manière de le présenter avait elle aussi un peu changé : « Tiens v'la vagabond qui vient ! » Un simple changement de vocabulaire auquel il ne prêta pas attention immédiatement.


Il entrait toujours dans la grande cour des fermes même si, au milieu de la carrée, trônait un curieux engin : de grosses roues à l'arrière, de plus petites à l'avant, un tuyau qui crachait une noire fumée et une curieuse signature d'un nom qui n'était pas de chez nous : un certain Mac quelque chose…


Après avoir toqué, on lui répondait : « Vous arrivez à point. On ne peut fournir à l'ouvrage, vous allez nous aider ». Il y avait encore de quoi faire. Vous devez curer l'étable et brosser les vaches, nourrir le cochon, graisser le tracteur, nettoyer la herse et la charrue. Ensuite vous aurez un panier que vous irez manger dans l'étable ! »


Après avoir gagné son pain et plus rarement son vin, les vignes avaient depuis belle lurette disparu du paysage, Archimède se trouvait à partager sa couche avec les vaches. Dans l'écurie, tout le matériel agricole acheté à grands coups d'emprunts avait remplacé les chevaux. Dormir dans l'étable ce n'est pas tout à fait pareil, les laitières vous laissent une curieuse odeur sur les vêtements. Notre homme ne s'en rendit pas compte de suite mais à la longue, les femmes pinçaient le nez à son approche. Il en était fini des rencontres galantes au détour d'un bosquet.


Le monde bascula dans une nouvelle ère. Archimède battait toujours ce qu'il était convenu d'appeler encore la campagne. À son arrivée, les passants s'écartaient, certains changeaient même de trottoir ou lui tournaient le dos. Il entendait : « Attention, v'la clochard qui vient encore quémander  ! » Une triste réalité hélas le poussait à vivre de la charité. Les fermes désormais étaient encloses, les bêtes avaient disparu après le grand remembrement. Si les haies et les enclos avaient été rasés, des grilles fermaient l'entrée de la cour et parfois une caméra surveillait les visiteurs.


Il n'y avait plus besoin de main d'œuvre dans les fermes. L'exploitant suréquipé et largement endetté parvenait à tout faire seul. Archimède dut se résoudre à tendre son béret à la sortie des offices. Par chance, il y avait encore de la religiosité dans le pays, la générosité des fidèles lui assurant le couvert. Pour le gîte, la belle étoile et parfois un porche dans les villages faisaient l'affaire. Archimède se satisfaisait de sa nouvelle existence.


Pourtant, il n'était pas encore au bout de ses misères. Une à une les églises se fermèrent, la crise de la vocation avait fait son œuvre et quand par hasard, il y avait un prêtre, il venait de pays lointains avec un accent qui énervait les dernières grenouilles de bénitiers, bien peu enclines à la charité.


Le béret demeurait vide tandis qu'à sa vue, dans le bourg chacun fermait sa porte tandis que l'on le qualifiait étrangement. Les gens avaient si honte sans doute qu'ils n'étaient plus capables de proposer un nom pour qualifier son état. Ils avaient trouvé un sigle, trois lettres qui sifflent dans ces langues de vipère et qui discréditent celui qui en est la cible : S.D. F !


Repoussé de tous, affamé et mal en point, ce jour-là Archimède au bout du désespoir s'assit dans le magnifique caquetoir de ce charmant petit village. Il avait posé son béret au sol, plus par habitude que dans l'espoir de ramasser quelques piécettes en cuivre que ces bons chrétiens réservaient à la femme du président, indignité supplémentaire.


Il tentait de reprendre un peu de force avant que d'aller courir sa chance dans la grande ville où des associations caritatives pouvaient lui venir en aide quand une tchiote gamine vint à lui, timidement. Elle l'appela « Monsieur », il y avait une éternité qu'on ne lui avait pas servi pareil cadeau. La gamine continua :


« Monsieur, je n'ai pas de sous mais j'ai ce vieux livre que je vous offre bien volontiers. Vous êtes seul, avec lui, vous aurez au moins un compagnon pour la route ! » La petite fila bien vite de peur sans doute d'être réprimandée par les siens.


Archimède se baissa pour prendre l'offrande. Après avoir feuilleté ce recueil d'un certain Maurice Hallé, il s'exclama à haute voix : « Oh là faut-ti! mais ce gars-là écrit comme nous parlions autrefois dans le pays. C'est ti ben beau que c'te parlure. ! » Il lui prit alors l'idée de déclamer un texte de cet homme né en 1888 à Oucques la joyeuse, dans la Beauce.



J’veux pas qu’tu t’marrises




Quo don que c’est qu’j’ai appris dans l’bourg ?

Qu’tu veux faire comme ta cousin’ Rose ?

Ça t’démang don tant qu’ça l’amour ?

J’en ai assez que tout l’monde en cause

Voui ! … Si c’était un biau parti

J’en foutrais, moué, qu’tu soeys’s promise

Avec ça ! … On est bien loti !

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises !


À ton âge, on sait pas qu’on fait

On s’amourâch’ de Paul ou d’Pierre

Su l’moment, ça vous fait d’l’effet !

Un mois après, on n’y pens’ guère !

Quand l’divertissoèr’ est calmé

On vouet qu’on a fait des bêtises.

Il est be temps de l’rattraper !

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises !


Et pis, s’marier ? Avec un fou !

Il est quadiment fou c’t’i qu’t’aime

L’pir « de tout c’est qu’il a pas l’sou !

On n’a pas idé’ d’ça tout d’même;

D’prendre un feignant, un propre à rien !

Pour entret’ni sa feignantise

I faudrait p’têt que j’vend’ mon bien ?

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises !


Ia pas un gâs pus mal foutu !

Il a les patt’s tout’s tortillées

Comme l’âne à Firmin, qu’iest fourbu.

Et pis, i’t foutrait des brûlées

(pac’ qu’il est méchant à c’qu’on dit)

Et c’est toé c’tte bell’ marchandise

Que j’foutrais à c’t’affauberdit ?

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises


Un gâs qu’ia été à Paris

Et qu’a vécu des tas d’fredaines :

Douet ien rester queuqu’s petits souv’nirs !

Met avis qu’c’est point d’la viand’ saine !

Mais ça s’rait un crim’ d’t’donner,

Toué d’la prâlin’, d’la fériandise,

Et pour te faire empoésonner !

J’veux pas et j’veux pas qu’tu t’marises


Quo qu’tu dis ? … qu’i vient d’hériter ?

D’hériter d’sa tante Honorine ?

C’est ça qu’j’entendais chuchoter ?

Alle est don quervée la coquine ?

Et l’gâs i s’rait riche à présent ? …

C’est drôl’ comme on fait des méprises …

C’est qu’ça d’mand’ du réfléchiss’ment …

C’est tell’ment grav’, pour qu’tu t’marises !


Cent arpents ? … Eun’ farme et des bois ?

Et d’l’attirail ? … Eun’ chouette affaire !

Mais c’est pas un si mauvais choix …

Et si c’gâs-là vit à n’en rien r’en faire

C’est qu’ça doit être un gâs malin.

Annui, i n’faut point trop d’franchise

Pour arriver au bout d’son ch’min.

J’dis pas que j’veux pas qu’tu t’marises !


Il a ben fait fait, va, d’s’amuser ;

Quand on est jeun’ faut j’ter sa gourme ;

Et si faut point en abuser

Faut pas rester son gard’-chiourme

Quiens ! … V’là ta mèr’, j’vons i d’mander

Tu comprends, i faut qu’on avise

Avant tout à fait d’t’accorder

P’têt’ben qu’faudrait ben qu’tu t’marises !


Un gâs bâti, intelligent

Un travailleux, jamais malade

Qu’ia des terr’s et pis qu’ia d’l’argent,

Un bon gâs, gai, doux, point maussade,

Cours vit’ le qu’ri, t’as ben raison

Et qu’ton amour, fumell’ t’attise

Pour l’ram’ner à la maison !

C’est tout d’suit’ qu’i faut qu’tu t’marises !


Tandis qu'il lisait, emporté par les mots, un attroupement se fit autour de lui, quelques pièces et même des billets tombèrent dans son béret. C’était bien la première fois qu’il recevait de l’argent sans tendre la main. Il continua à dire ce poème qui le réjouissait, retrouvant dans cette histoire, le caractère de ceux qui ne partageaient pas son existence, lui fermaient la porte au nez ou bien tournaient les talons à son approche à moins que des plus furieux ne sortent le fusil.


Plus il lisait, plus il retrouvait l’accent des siens, les intonations qu’il croyait avoir à jamais perdues. Son accoutrement, son aspect, sa face marquée par son intarissable appétence vineuse jouaient cette fois en sa faveur. Il avait pour la première fois de sa vie la tête de l’emploi et comme il avait aussi l’accent de sincérité, ce fut un triomphe.


Il fut applaudi, on le pria de se lever et d’aller dans l’auberge du coin pour réjouir les clients d’un autre texte. On l’invita à manger et on lui proposa même de se laver, ce qui, avouons-le, n’était pas du luxe. Archimède de ce jour-là, cessa de dépérir. Il avait trouvé dans ce recueil de poèmes : « Par la grand’route et les chemins creux », son passeport pour la respectabilité et la survie.


Il cessa de tendre la main pour se contenter de lire, ce qu’il fit du reste de mieux en mieux, finissant même par connaître par le cœur les textes les plus courus par le public. Il découvrit d'autres compagnons de misère, dont un certain Gaston Couté qui donnait dans le même style.


Archimède devint le clochard céleste, lecteur puis diseur, il avait trouvé sa voie. Il fut demandé sur les grandes scènes, il passa à la télévision. Sa renommée fit bientôt le tour du pays. Il gagna tant et tant que bien conseillé, il mit son argent tout d'abord en Suisse puis bien plus loin par la suite.


Il n'avait jusqu'alors jamais payé d'impôts, il n'y avait pas de raison que ça change d'autant que ceux qui s'occupaient de sa carrière lui fournirent d'excellentes combines. Il vécut le reste de son existence riche à millions et exilé fiscal, une autre manière de vivre en marge de la communauté des braves gens.


Quand Archimède quitta cette vallée de larmes, ce fut la consternation. Les radios et les télévisions lui consacrèrent des émissions spéciales, on ne tarit pas d'éloges sur son parcours et son inimitable talent. Le président en personne assista à ses obsèques, déployant des trésors d'éloquence pour rendre hommage à celui qui n'avait jamais participé à l'effort national. Une habitude pour ce petit monsieur qui se prétend en marche sans avoir jamais connu la route...


 


À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...