La
corniche fiscale
Il
était une fois un chemin qui menait d’Orléans à Tours en
empruntant la rive gauche, dite Berry pour échapper aux difficultés
que le maigre relief de la région imposait sur l’autre côté.
Cette voie était prisée des pèlerins comme des voyageurs, des
cochons comme des bœufs qui eux aussi, avaient leur chemin attitré
pour se rendre aux abattoirs des grandes villes. Est-ce là, une
raison pour que l’histoire joue ici un tour de cochon comme elle
aime souvent le faire à ceux qui détiennent l’autorité ? Ceci
reste naturellement enfoui dans les arcanes de la mémoire.
Or
donc, pour aller par cette rive, au sortir d’Orléans, se
dressaient sur la route des marcheurs à deux ou quatre pattes, deux
obstacles qu’il convenait d’enjamber. La rivière Loiret qui
méritait un pont que l’on dédia à Saint Nicolas, et son petit
affluent : la Pie qui au sortir du bourg offrait un pas de moins
d’importance.
C’est
sur la Pie que l’on jeta négligemment sans doute, un pont à une
seule arche pour franchir à pied sec ce ruisseau appelé un temps le
Bouillon et dont le murmure mélodieux lui valut d’hériter d’un
nom d’oiseau. Les maîtres des finances jugèrent pourtant
l’obstacle assez conséquent pour y installer un péage, un octroi,
une barre comme fut alors nommé ce prélèvement imposé à ses
utilisateurs.
Bien
vite, les percepteurs de la Pie déchantèrent. Comme chacun avait pu
le constater, une seule arche supposait qu’en dessous, coule un
cours d’eau qui à bien des endroits pouvait aisément se franchir
sans bourse déliée. Le fameux péage ne rapportait guère, les deux
maîtres gouverneurs et proviseurs de la barre de l’Archer, élus
pour trois ans par les habitants de Saint Hilaire, ne pouvaient
satisfaire avec les sommes perçues aux travaux d’entretien de la
voie.
Le
roi vit qu’il y avait là une manigance collective, une entourloupe
générale qui méritait sanction collective. Devant ce pont, jamais
on n’entendait crier « Poussez pas on n’est pas des bœufs
! ». Humains comme animaux préféraient prendre le travers.
Récupérer la barre de la rivière Pie relevait de la quadrature du
cercle. La somme perçue parvenait tout juste à 20 livres l’année.
C’est ainsi que le roi imposa aux 12 paroisses voisines une taxe de
300 livres dont la moitié à la seule charge de Saint Hilaire. La
corniche fiscale du pont de l’Archer se retournait contre les
fraudeurs du coin.
Mais
les mauvaises habitudes demeurèrent et un détour devint le passage
de tous ceux qui se refusaient obstinément à cracher au bassinet de
l’Archer (nouveau nom donné à la rivière Pie). Ce détour hérita
alors d’un sobriquet qui curieusement fut adopté tout de go bien
que naturellement nous pouvons penser qu’une majorité des sujets
du coin payaient rubis sur l’ongle le péage. Le passage fut ainsi
qualifié de « Mauvais Payeus » et fut baptisé à l’eau
du gué.
Le
temps passa, le passage se fit étroit au gré de la progression des
maisons. Il devint venelle des Mauvais Payeurs, le péage tomba aux
oubliettes de l’histoire, du moins pour passer d’une rive à
l’autre tandis qu’il retrouvait une nouvelle jeunesse sur les
autoroutes en attendant mieux. La venelle située à la périphérie
du bourg devint le détour de tous ceux qui avaient ardoises dans
l’une des nombreuses tavernes de l’endroit.
Le
vin de l’Orléanais avait dans ce secteur entre Olivet et Cléry
ses derniers producteurs tandis que les consommateurs ne manquaient
pas y compris parmi ceux qui avaient opté pour les pommes, les
poires ou les cerises. Les « licheurs » invétérés et
désargentés revisitaient l’histoire locale sans même le savoir.
Certains
prétendront que je pousse le bouchon trop loin dans cette narration.
Ils ont tort, il convient de prendre ce récit au pied du verre, tout
ceci n’est que la stricte vérité.
Péagement
leur.
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