mercredi 19 février 2020

Coincer la bulle


Pas vraiment de tout repos



Qui n’a jamais traqué une bulle ignore à quel point coincer la bulle n’est pas de tout repos. On ne peut se fier aux expressions : elles se moquent du réel et aiment à nous conduire sur des fausses pistes. Ainsi celle-ci qui nous fait croire que garder une parfaite horizontalité serait une manière de ne rien faire. Il est temps de remettre les pendules à l’heure et le niveau là où il mérite de l’être : coincer la bulle c’est du travail.

Tout d’abord pour la coincer, la susdite bulle, il faut au préalable avoir mené longue et épuisante traque pour la faire sortir du bois. C’est qu’elle est sauvage et méfiante la diablesse, elle ne se laisse pas attraper facilement ! Elle vit dans les fourrées, les sous-bois, les terriers et les huttes. Elle aime à se terrer ou à prendre de l’altitude. La bulle se laisse porter par les circonstances ou bien le vent ; elle est imprévisible et pas toujours visible.

Une fois repérée, la bulle doit être circonscrite, cernée et mise hors d’état de s’évader. Ce n’est pas simple de la faire tomber. Quel crime lui imputer ? Quelle faute lui mettre sur le dos sans prendre le risque de la voir exploser sous le poids de la culpabilité ? La bulle est fragile, fugace, instable. Les experts ont tôt fait de lui accorder circonstances atténuantes ou, pire encore, de déclarer son irresponsabilité. La bulle est alors placée en lieu sûr, internée, loin de la mise en dépôt que vous espériez consigner en votre faveur.

La bulle s’éclate dans un asile. Elle y trouve plus fou qu’elle, elle se libère de l’apesanteur d’un monde trop raisonnable. La bulle vole de ses propres ailes et finit par s’évader de ce monde carcéral. La bulle, nous le savons, n’aime rien que sa liberté. Elle prend la poudre d’escampette, joue les filles de l’air, s’émancipe des lois de l'apesanteur. Aucune gravité chez la bulle, elle est joyeuse, futile, inconsciente.

Pour la coincer il faut décidément n’avoir aucune conscience, pas la plus petite parcelle de fantaisie. La bulle finira toujours par vous amadouer, vous convaincre de son innocence et de sa légèreté. Rien n’est grave avec elle ; elle va là où le vent la mène par le bout du nez. La bulle est libre comme l’air, elle est blanche comme neige, vierge et immaculée.

La bulle récuse votre désir de la coincer. Elle se moque de votre volonté de la plier sous votre joug. Elle n’accepte ni chaîne ni entrave, elle ne rentre pas dans une case, elle vit au jour le jour, loin des contraintes d’un temps qui vous est compté. La belle farce, la belle illusion que voilà, vouloir coincer la bulle est aussi dérisoire qu’inutile ! Tenez-vous le pour dit.

Rien n’est plus concis que la bulle. Il n’est pas besoin d’un long discours pour le reconnaître. Elle se libère des formes et des structures, elle vagabonde, s’émancipe, s’oppose à toute norme et à toute contrainte. La bulle est liberté et vérité. Vous pensez l’enfermer, quelle prétention ! Elle vous file entre les doigts, vous nargue et vous fait la nique. Pensez la coincer n’est que billevesées et pensées dérisoires.

Allez, un peu de courage, reconnaissez votre défaite. L’été pas plus que les autres saisons ne vous autorise pareille pensée. Laissez la bulle vivre sa vie : elle ne vous doit rien, n’a aucun compte à vous rendre. La bulle vous salue bien, elle prend la poudre d’escampette et vous laisse pantois et désarmé devant son incommensurable liberté.

Quand le temps sera venu pour vous de reprendre le collier, d’aller au chagrin, de prendre congé des vacances, la bulle à son tour vous trouvera coincé et morose, terne et contraint. Elle vous fera pied de nez et grandes grimaces. Vous n’étiez qu’un passager transitoire et peu convaincant du temps libre. Vous retournez à vos obligations : c’est bien la première chose qui fasse fuir la bulle ! Vous n’étiez décidément pas du même monde.

Librement sien.


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