vendredi 14 février 2020

L’échevin et le tailleur chinois.

Taille Patron




    Un échevin à l’étroit dans le costume de son prédécesseur se prit l’envie de voir du pays pour aller quérir dans la lointaine Chine, un tailleur digne de lui. On lui avait vanté la qualité du tissus, la délicatesse des points, la finesse des fils tout autant que du bas coût d’une main d’œuvre locale toujours souriante. L’homme se sentait pousser des ailes, il avait le vent en coupe, le dé était jeté, il posa son dévolu sur un tailleur de Yangzhou.

    Il fit grand voyage aux frais de la princesse pour réduire les dépenses, qui pourrait le lui reprocher. Il eut besoin d’un interprète afin de parvenir à expliquer à l’homme de l’art sa demande toute particulière : une veste amovible qui puisse aisément se retourner. Grande fut la surprise du maître drapier, voilà bien une fantaisie d’occidental, là-bas, point n’est besoin de jouer les girouettes, le parti unique est la règle.

    Plus délicat encore fut la seconde exigence de ce curieux client. Il exigeait un vêtement sans étiquette, la chose contraria grandement le tailleur qui eut aimé laisser sa griffe sur un si bel ouvrage. Mais même dans l’Empire du Milieu (sans que l’on sache vraiment de quel milieu il s’agit), le client est roi, le couturier se plia à cette fantaisie dont il ne percevait pas le sens.

    De retour au pays, l’échevin brilla en société avec son bel habit tout neuf. Seul son vieil ami trouvait à redire. Gagner ainsi quelques tailles, prendre du volume et dans le même temps sa place ne signifie nullement prendre de l’envergure. Certains jugèrent la remarque insidieuse, d’autres la qualifièrent de mesquine. Mais de fil en aiguille, leurs relations qui jusqu’alors étaient au beau fixe, prirent une toute autre tournure. L’un se froissa quand l’autre fit étalage de toute sa classe.

    Le nouvel échevin il est vrai se vouait corps et âme à sa fonction, allant jusqu’à dormir au service de la ville. Les notes de frais s’envolèrent, rien n’est trop beau pour représenter dignement la cité. Pour l’heure cependant, rien de bien sérieux entre l’ancien et le nouveau, juste des querelles vestimentaires en somme et quelques scènes de ménage.

    Mais tout vira au drame quand le prédécesseur voulut renvoyer se rhabiller le nouveau. L’éternelle querelle des anciens et des « Modem » prenait une toute autre tournure dans la cité. Il y aurait bataille à couteau tiré, il fallait abandonner l’élégant costume chinois au profit des armures qui ne manquent d’ailleurs pas dans la ville de Jehanne d’Arc.

    Nouveau problème cependant, pour l’échevin, se mettre en ordre de bataille demandait des moyens colossaux, lui qui entendait écraser une concurrence pléthorique y compris dans ses rangs. Quoiqu’il demeurât sans étiquette, il convia la marraine du Panda, l’épouse légitime du Maire du Palais, à venir quérir auprès de la populace des pièces jaunes pour remplir son escarcelle.

    Pour complaire encore plus à ce gentil Freluquet si cher à son cœur en dépit d’une curieuse réticence à porter ses couleurs, l’échevin se mit à fréquenter assidument le marché en y venant à pied alors que les rares fois où il y apparaissait auparavant, il le faisait en bateau. Le costume chinois fut mis au rencart, il convenait de se montrer en habits ordinaires pour ne pas risquer les quolibets.

    La chose fit un effet boule de neige. Le marché devint la nouvelle Agora de tous les prétendants. Les grosses légumes ou ceux et celles qui aspiraient à se retrouver au-dessus du panier s’y donnaient désormais rendez-vous. Il n’était plus question de chinoiser mais bel et bien de parler des sujets qui intéressent la ménagère de plus de cinquante ans, cœur de cible de nos lurons. La Nature et la Culture, deux sujets qui jusqu’alors n’étaient guère dans l’esprit de ces beaux messieurs.

    Surpris de découvrir qu’en ce lieu, les marchandises ne disposaient pas elles non plus d’étiquette, l’échevin s'enquit de savoir comment l’on pouvait en ce lieu connaître la valeur des choses. C’est alors qu’un vendeur à moins que ce ne soit le grand argentier de la ville, lui présenta l’ardoise ! Quelques témoins trouvèrent que ce geste était prémonitoire.

    J’avoue quant à moi en douter fortement. L’électeur n’aime rien tant que de donner sa confiance à celui qui se montre le plus roublard. Il n’ira jamais tailler un costard à celui qui traîne des casseroles. Quand on fait campagne au marché, il n’est pas ustensile plus utile que celui-là. La saison est venue des navets et des choux pommelés. La nature elle-même semble avoir fait son choix. N’en disons pas d’avantage !

    Légumineusement leur.

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