dimanche 2 février 2020

Le pays des sobriquets


Chez les « Quarts de chopine ».




Il est une bien étrange commune en bord de Loire qui ne fait rien tout à fait comme les autres. Elle a le caractère trempé et l'indépendance fortement ancrée dans ses jeunes traditions. Tout s'explique à qui prend la peine d'observer attentivement l'histoire. Ici, on peut sans peine imaginer que c'est parce que ce village est fort récent que ses concitoyens se plaisent à donner des noms à toute chose, manière sans doute de s'inscrire définitivement dans le paysage local.

La Possonnière est une bien jeune commune qui a vu le jour lors de la révolution industrielle. Elle a obtenu de haute lutte son indépendance administrative en 1851. A cette date Louis Napoléon Bonaparte (alias Badinguet) en personne scellait du sceau de l'Etat une loi promulguée par l'assemblée nationale précisant que La Possonnière était « distraite » de Savennières, dont elle dépendait depuis 1790. Voilà le point de départ d'une aventure où pseudonymes, sobriquets et autres facéties langagières se jouèrent des patronymes classiques.

La Possonnière avait pourtant une histoire bien plus ancienne. Les braves bénédictins y avaient élu domicile au XIV siècle et pour marier l'utile à l'agréable, fût-il des plus douteux et des moins recommandables, les bons pères avaient installé juste en face de leur demeure une taverne louche, un bord d'eau comme on disait à l'époque, auquel les hommes pieux pouvaient accéder par un souterrain des plus discrets. Avaient-ils été influencé par « La Guillemette » cette petite rivière qui se donne à la Loire en ce lieu ? Nul ne le saura jamais, mais la faribole n'était pas loin !

La Taverne du Prieuré n'échappa pas à la folie lexicale des individus du coin. Elle changea de nom au fil du temps. D'abord « Auberge du Croissant Couronné » en l'honneur du Roi René, puis « Au bon Louis » pour honorer Louis XIV avant que d'être sous la révolution « L'Auberge de l'Ancre de Marine », elle finit par s'assagir en perdant ses hôtesses très spéciales.

Le nom du village lui-même n'allait pas dans la demi-mesure. La Posson était une unité de mesure ancienne pour les liquides. Sous l'ancien régime, la précision était de mise et sa valeur était de 11,9018 cl. Les gens du coin préfèrent se dire qu'il valait un quart de chopine, quantité qui n'a jamais suffi à abreuver un autochtone, loin s'en faut.

Les habitudes ne se perdent pas en cours de route. La bonne ville du maire dit « Célestin le bon échevin » se plait encore à renommer tout ce qui lui tombe sous la main. Ville mécréante, elle trouve sans doute dans cette pratique une petite consolation. L'eau bénite est plus souvent remplacée par un bon vin naturel d'Anjou pour officialiser le sobriquet qui fera référence au sein de la communauté villageoise. Nous fermerons les yeux sur cette coutume qui après tout ne fait de mal qu'au foie des plus vaillants baptiseurs.

La Loire fut la première source d'inspiration de nos facétieux Possonnéens. Depuis 1908, on y implanta des épis pour creuser un chenal. Ces avancées de pierre au milieu de la rivière furent ici repérées par un nom. Épi de JPP, épi de la colo, épi de Glorex et autre épi des pêcheurs, les gens de ce pays ont besoin de mettre une étiquette sur toute chose.

Naturellement, les humains n'échappèrent pas à ce délire de la désignation. Nos amis les pompiers furent les principales victimes de la chose. Ils ne sont d'ailleurs connu, par la plupart des villageois, que par leur seul sobriquet. « Goût de Fût » en tête, digne habitant d'une ville qui valait un quart de chopine est le premier d'une longue liste.

« Tête de genou » peut bien se faire des cheveux, il ne saura jamais pourquoi il a hérité d'une telle appellation. « Tête plate » a beau se la creuser, lui non plus n'en saura jamais plus. La caserne n'est fort heureusement pas la seule à se voir qualifier de quelques particularités secrètes. Nous trouvons encore un certain « Tatus » qui inaugure la liste des rimes en « us ». « Minus » n'est pas flatteur et « Laïus » guère élogieux. « Schluss » sent son exotisme quand « Boum-Boum » éclate au grand jour.

Certains héritent de sobriquets plus inscrits dans la mémoire commune. « Pompidou » est en bonne compagnie avec « Schadock ». « Mini-jupe » nous régale de ses charmes et « La Dorade » de ses formes. Je préfère en rester là, d'autres sobriquets pourraient contrarier ceux qui en sont affublés. Ce qu'il faut affirmer ici, c'est que ce ne sont pas des enfants qui usent de ces surnoms pour désigner leurs camarades. J'avais face à moi une belle flopée de dignes représentants du conseil municipal et ce sont eux qui usaient ainsi de la métaphore.

Je préférai ne pas rester trop longtemps en ce curieux village. Je ne veux pas me voir gratifié d'un titre peu glorieux, d'un particularisme physique ou pire d'un défaut inavouable. Il était plus sage de prendre la poudre d'escampette d'autant que depuis longtemps déjà, de nombreuses bouteilles avaient été vidées au pays des quarts de chopine …

Sobriquettement leur.



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