Chez
les « Quarts de chopine ».
Il
est une bien étrange commune en bord de Loire qui ne fait rien tout
à fait comme les autres. Elle a le caractère trempé et
l'indépendance fortement ancrée dans ses jeunes traditions. Tout
s'explique à qui prend la peine d'observer attentivement l'histoire.
Ici, on peut sans peine imaginer que c'est parce que ce village est
fort récent que ses concitoyens se plaisent à donner des noms à
toute chose, manière sans doute de s'inscrire définitivement dans
le paysage local.
La
Possonnière est une bien jeune commune qui a vu le jour lors de la
révolution industrielle. Elle a obtenu de haute lutte son
indépendance administrative en 1851. A cette date Louis
Napoléon Bonaparte (alias Badinguet) en personne scellait du sceau
de l'Etat une loi promulguée par l'assemblée nationale précisant
que La Possonnière était « distraite » de Savennières,
dont elle dépendait depuis 1790. Voilà le point de départ d'une
aventure où pseudonymes, sobriquets et autres facéties langagières
se jouèrent des patronymes classiques.
La
Possonnière avait pourtant une histoire bien plus ancienne. Les
braves bénédictins y avaient élu domicile au XIV siècle et pour
marier l'utile à l'agréable, fût-il des plus douteux et des moins
recommandables, les bons pères avaient installé juste en face de
leur demeure une taverne louche, un bord d'eau comme on disait à
l'époque, auquel les hommes pieux pouvaient accéder par un
souterrain des plus discrets. Avaient-ils été influencé par « La
Guillemette » cette petite rivière qui se donne à la Loire en
ce lieu ? Nul ne le saura jamais, mais la faribole n'était pas loin
!
La
Taverne du Prieuré n'échappa pas à la folie lexicale des individus
du coin. Elle changea de nom au fil du temps. D'abord « Auberge
du Croissant Couronné » en l'honneur du Roi René, puis « Au
bon Louis » pour honorer Louis XIV avant que d'être sous la
révolution « L'Auberge de l'Ancre de Marine », elle
finit par s'assagir en perdant ses hôtesses très spéciales.
Le
nom du village lui-même n'allait pas dans la demi-mesure. La Posson
était une unité de mesure ancienne pour les liquides. Sous l'ancien
régime, la précision était de mise et sa valeur était de 11,9018
cl. Les gens du coin préfèrent se dire qu'il valait un quart de
chopine, quantité qui n'a jamais suffi à abreuver un autochtone,
loin s'en faut.
Les
habitudes ne se perdent pas en cours de route. La bonne ville du
maire dit « Célestin le bon échevin » se plait encore à
renommer tout ce qui lui tombe sous la main. Ville mécréante, elle
trouve sans doute dans cette pratique une petite consolation. L'eau
bénite est plus souvent remplacée par un bon vin naturel d'Anjou
pour officialiser le sobriquet qui fera référence au sein de la
communauté villageoise. Nous fermerons les yeux sur cette coutume
qui après tout ne fait de mal qu'au foie des plus vaillants
baptiseurs.
La
Loire fut la première source d'inspiration de nos facétieux
Possonnéens. Depuis 1908, on y implanta des épis pour creuser un
chenal. Ces avancées de pierre au milieu de la rivière furent ici
repérées par un nom. Épi de JPP, épi de la colo, épi de Glorex
et autre épi des pêcheurs, les gens de ce pays ont besoin de mettre
une étiquette sur toute chose.
Naturellement,
les humains n'échappèrent pas à ce délire de la désignation. Nos
amis les pompiers furent les principales victimes de la chose. Ils ne
sont d'ailleurs connu, par la plupart des villageois, que par leur
seul sobriquet. « Goût de Fût » en tête, digne
habitant d'une ville qui valait un quart de chopine est le premier
d'une longue liste.
« Tête
de genou » peut bien se faire des cheveux, il ne saura jamais
pourquoi il a hérité d'une telle appellation. « Tête plate »
a beau se la creuser, lui non plus n'en saura jamais plus. La caserne
n'est fort heureusement pas la seule à se voir qualifier de quelques
particularités secrètes. Nous trouvons encore un certain « Tatus »
qui inaugure la liste des rimes en « us ». « Minus »
n'est pas flatteur et « Laïus » guère élogieux.
« Schluss » sent son exotisme quand « Boum-Boum »
éclate au grand jour.
Certains
héritent de sobriquets plus inscrits dans la mémoire commune.
« Pompidou » est en bonne compagnie avec « Schadock ».
« Mini-jupe » nous régale de ses charmes et « La
Dorade » de ses formes. Je préfère en rester là, d'autres
sobriquets pourraient contrarier ceux qui en sont affublés. Ce qu'il
faut affirmer ici, c'est que ce ne sont pas des enfants qui usent de
ces surnoms pour désigner leurs camarades. J'avais face à moi une
belle flopée de dignes représentants du conseil municipal et ce
sont eux qui usaient ainsi de la métaphore.
Je
préférai ne pas rester trop longtemps en ce curieux village. Je ne
veux pas me voir gratifié d'un titre peu glorieux, d'un
particularisme physique ou pire d'un défaut inavouable. Il était
plus sage de prendre la poudre d'escampette d'autant que depuis
longtemps déjà, de nombreuses bouteilles avaient été vidées au
pays des quarts de chopine …
Sobriquettement leur.
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