mardi 18 février 2020

Une scène Océane

Avec les Fous de Bassan du Pouliguen




    Chaque été, le groupe de chants marins « Les Fous de Bassan » se produit sur le port du Pouliguen pour les nombreux touristes qui se pressent dans cette charmante cité balnéaire. Leurs fervents fidèles sont les premiers installés, ils sont venus avec leurs chaises pliantes pour être aux premières loges. Le podium est dos à l’Océan, installé au bord du chenal, le long de la grande artère, fermée à la circulation.

    L’année passée, j’étais du lot des spectateurs. J’avais eu le plaisir d’entendre l’un de mes textes : « Les Paludiers » mis en musique et interprété par la joyeuse troupe. À l’évocation de ma présence, j’avais repoussé l’invitation de monter sur scène, je n’avais pas alors le sentiment de cette nécessité. Après le tour de chant, je fus convié à la redoutable troisième mi-temps de la bande.

    Ce fut l’occasion de faire plus ample connaissance, de leur offrir deux contes et de reprendre avec eux des refrains que je finis par connaître par cœur. Nous nous étions séparés en nous promettant de nous retrouver pour un spectacle commun. Il eut lieu le 31 mars, pour un concert caritatif au profit de la formidable association « Matelots de la Vie ». Une chanson était née à l’occasion d’une collaboration entre le groupe et votre serviteur. Il est inutile de revenir sur le succès de cette opération, l’émotion des spectateurs avait été à la hauteur de la finalité si particulière de ce spectacle.

    Cette fois, c’est donc devant le public le plus difficile qui soit, le touriste en goguette, que je me mêlais aux chants de marins de mes amis. Comment les nombreux spectateurs, sans doute beaucoup plus de cinq cents ce soir-là, allaient réagir à mes présentations agrémentées de pitreries, de bonimenteries et de contes ? Je n’oubliais pas que dans ma cité, des esprits avisés, prétendent que je ne peux intéresser une foule de badauds.

    La veille, j’avais assisté à la répétition, ce fameux filage qui permet de repérer les petits défauts, les reprendre afin de les corriger tout en s’évertuant à parfaire les débuts et les fins de chansons, qui sont toujours des moments délicats. J’en profitais pour rectifier, modifier, annoter la présentation que j’avais préparée lorsque le président m’avait envoyé le programme de la soirée.

    Ce soir-là, des anniversaires étaient célébrés autour de quelques coupes et pâtisseries. Naturellement, les choristes me demandèrent un conte. Fort de la présence des trois musiciens je leur demandai de jouer en alternance avec mon récit, la musique d’Amsterdam de Jacques Brel. L’attention avait été si palpable que je décidai d’incorporer ce conte pourtant chargé d’émotion et de sérieux au programme, prenant le risque de la gravité devant un public venu pour faire la fête.

    La soirée débutait. J’ouvrais le bal avec une farce, une parodie du Petit Navire qui donna le ton au tour de chant. Plus les chansons défilaient, plus je me libérais de mon texte, alternant explications et espiègleries, provocations et clins d'œil. Le public, débonnaire, marchait dans le système et surtout, accompagnait les chanteurs à mon invite en chaloupant et en frappant dans les mains. C'était la fête !

    En fin de programme, j'osai le conte sérieux, grave même. Dès les premières mesures d'Amsterdam, un murmure gagna la foule. Nombreux étaient ceux qui accompagnèrent cet air si connu de respectueux "Lala-lala". C'est alors que dans un silence de cathédrale je pris la parole. À chaque fois que je redonnais la main aux musiciens, la foule à nouveau fredonnait. L'alternance d'une racontée dans le silence le plus total et de cette rengaine entêtante avait quelque chose de magique, sans doute accentuée par un changement de temps, porteur d'une curieuse électricité dans l'air.

    L'histoire arriva à son terme, les musiciens conclurent la racontée et ce fut alors un tonnerre d'applaudissements, de ceux que je n'avais jamais jusqu'alors connus. Le pari était gagné, j'avais invité une foule bigarrée, venue simplement pour s'amuser, à me suivre quelques minutes dans l'univers plus exigeant du conte. Mon bonheur était à son comble car c’est ce que je m'évertue à faire à chacune de mes sorties : "Conduire par le cœur et par surprise des gens ordinaires vers le conte".

    La fin de programme fut et c'est bien dommage, mouillé par une soudaine averse. Malgré cela nombreux furent ceux qui restèrent jusqu'au bout, marquant ainsi le plaisir qu'ils avaient pris à ce spectacle. Mes amis Les Fous de Bassan avaient eu raison, je n'avais pas gâché leur prestation. J'avais trouvé place sur une scène Océane et qu'importe si cette place m'est déniée sur le Festival de Loire. Tout le monde ne peut se montrer perspicace et audacieux à l'instar du président de ce groupe de chants marins.

    Émotionnellement leur.




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