Je
déclare forfait …
Il
est le symbole d’une époque, l’incontournable outil, le
malappris en société, celui qui est sourd aux recommandations et
aux règles de prudence ; il fait tout et remplace votre
mémoire, votre télévision, votre carte bleue et votre GPS ;
il en fait bien plus encore et s’applique avec soin à devenir
indispensable en toutes occasions.
Dans
cette société où plus personne n'a véritablement d'attaches
solides, où tous les cordons ont été coupés avec ce qui pouvait
nous arrimer à une histoire tangible, un nouveau réseau de liens
éparpillés donne l'impression d'être encore dans une civilisation
de la communication réelle alors que nous sombrons dans une illusion
absolue qui fait de nos vies un vaste champ d’aventures virtuelles.
Dans
la rue, comme au volant, avec une complicité manifeste des forces de
l’ordre, à l’école ou bien au travail, au restaurant ou bien au
spectacle, dans une salle d’attente ou bien dans les transports en
commun, un petit boîtier magique - mais ô combien diabolique - a
pris le pas sur tout ce qui pouvait relier les hommes entre eux, à
condition qu’ils soient proches, et finira par ne rendre
intéressants et audibles que ceux qui sont loin de vous.
Il
s'insinue dans le cartable ou bien le sac à main. Il fait grosseur
indélicate dans la poche de derrière, il peut même être greffé à
l’oreille et vous accompagner en toutes circonstances. Il est de
plus en plus volumineux, au gré des usages multiples qu’il prend
en charge. Il est appareil photographique, agenda, caméra, guide,
calculateur, banquier, encyclopédie, discothèque, livre de poche,
bon de commande et que sais-je encore ? Il est votre complément,
votre alter ego, votre mémoire, votre mouchard, votre double et la
prunelle de vos yeux.
Il
est celui à qui l'on accorde le dernier regard avant d’entrer
quelque part ou bien d’en ressortir quand vous avez la délicatesse
rare de le couper dans l’entre-deux. Il est souvent en veille, en
mode avion, vibreur pour les plus sensuels, ou bien discret, mais
toujours là pour les plus assujettis à son usage. Il est tout près
de vous, jamais bien loin de votre main car vous ne pouvez vous en
passer.
Il
est le premier vers lequel vous vous tournez quand il vous arrive
quelque chose d'extraordinaire, de terrible, de surprenant,
d'étonnant ou de simplement banal. Il vous permet d’en avertir la
terre entière, car désormais, vous êtes un héros qui informe ses
semblables de ses moindres faits et gestes. Vous lui confiez de vive
voix ou bien par écrit, vos sentiments, vos impressions et vos
anecdotes, vos déplacements et vos conquêtes, vos échecs et vos
satisfactions. Il a remplacé le confesseur, l’ami , le confident,
la famille et le journal intime.
Systématiquement,
il vous éloigne des discussions réelles qui se tiennent encore
parfois quand plusieurs individus ont coupé le contact avec le monde
lointain. Vous ne pouvez y participer : votre fil à la patte
vous rappelle à l’ordre, exige votre attention en continu, sans
partage, sans un seul instant loin de lui.
Il
vous isole dans une bulle intime et étanche aux autres. Il fait de
vous un malotru, un goujat, un impoli, un gougnafier, un désobligeant
qui se moque de ceux qui sont tout proches. Vous avez le monde entier
à votre portée et, curieusement, vous effacez de vos préoccupations
votre environnement immédiat, à moins qu’il ne devienne la toile
de fond d’une photographie où vous serez le premier plan en toute
immodestie.
Il
vous informe de tout à n'importe quel moment. Maintenant il fait de
vous un grand reporter, un accro de l’information, un tintin
reporter qui filme et envoie des nouvelles de ce qui est le plus
sordide, le plus anodin, le plus futile ou bien le plus personnel et
intime qui soit. Mais qu’importe, puisque c’est vous qui avez
informé la cohorte innombrable de vos amis, réels ou bien supposés,
autoproclamés ou bien achetés par lots entiers.
À
mes yeux de dinosaure avéré, d’horrible misanthrope , de
refuznik de l’immonde objet, il est l'insupportable ! Celui qui a
fait basculer cette merveilleuse société humaine dans les bas
-fonds absurdes et mortifères de l'individualisme acharné et de
l'incommunicabilité paradoxale. Par bonheur, quelques forfaits
finissent parfois par déclarer leurs limites, à moins que ce ne
soit plus sûrement une batterie qui rende l’âme. Les uns ou bien
l’autre, quand épuisés et à bout de souffle, ils s’avouent
enfin vaincus, condamnent leur propriétaire au silence téléportable.
Il m'est alors envisageable de profiter de l'aubaine pour trouver un
interlocuteur réel avec lequel, chose incroyable, il me sera
possible d'échanger de vive voix !
Incommunicablement
vôtre.
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