mercredi 13 novembre 2019

Poupou et mon Tour d’enfance …



Vas-y Poupou ! 



C’est naturellement comme beaucoup d’entre-nous qu’une grande vague de nostalgie accompagne la disparition du héros malheureux de notre enfance. Poupou a franchi la ligne d’arrivée sans lever les bras vers ce ciel qui est devenu son podium éternel. Les cycles Mercier n’étaient pas fabriqués à Sully mais qu’importe, c’est lui qui était premier dans nos cœur …

La grande boucle revient dans ma mémoire. En dépit de toutes les affaires et les suspicions qui ont entaché le cyclisme, le Tour de France demeure à jamais le symbole des vacances, du bonheur de vivre et d’une certaine idée d’un pays de cocagne. Le décès de Monsieur Poulidor font remonter les souvenirs qui éclosent à la surface d’une mémoire plus que sélective. Qu’il fait bon croire encore à cette illusion d’un temps qui n’a pas de prise sur l’épopée ! « Vas y Poupou ! »

Nous étions en culottes courtes ; nous n’avions pas l’âge de courir les routes sur des vélos encore trop grands pour nous. Nous ne devions pas non plus passer des heures devant la télévision en noir et blanc qui n’était pas dans toutes les maisons. Du tour, nous avions quelques images et du son surtout qui transitait par les postes de radio des parents. L’objet n’était pas multiplié à l’infini comme aujourd’hui.

C’est le journal qui portait la légende. Les journalistes sportifs faisaient alors assaut de superlatifs dans une langue de qualité, avec un souci de la syntaxe comme du vocabulaire. Les termes étaient choisis, toujours en bon français. Le Tour initiait à la belle langue ceux qui avaient le bonheur de lire Blondin ou quelques grandes plumes.

Je ne sais si je lisais déjà ces articles où si c’est mon père qui me les lisait à haute voix. Il y eut sans doute la première étape avant que d'aborder la seconde : manière de passer le relais et d’entrer en littérature par la petite reine. Je sais que la chose peut paraître curieuse, qu’elle ne fait pas très sérieux, mais qu’importe l’origine du virus pourvu que celui-ci fût de ce tonneau !

Nous vivions passionnément cette aventure. Sur la place du Champ de foire, alors en terre battue, nous creusions un circuit sur lequel chacun de nous disposait d’un petit coureur de couleur vive. Notre Tour de France se faisait à coups de billes et de sorties de route ; une épopée plus mentale que réelle, une place offerte à l’imaginaire et à la saga des vedettes d’alors. Il nous en fallait peu pour nous construire un jeu qui nous tienne ainsi en haleine des heures durant. Nous n’étions pas difficiles ; nous avions aussi une formidable capacité d’imagination.

Quelques années plus tard, les télévisions étaient passées en couleur chez certains d’entre nous. Elles ne tournaient pas en permanence, n’offrant le plus souvent qu’un résumé des péripéties du jour. Le direct ne nous concernait que les jours de pluie. Le journal du matin conservait sa verve et alimentait nos échappées de l’après-midi. Sur nos vélos aux guidons recourbés, nous étions des héros bigarrés, les rois de la pédale et du double plateau.

Nous refaisions l’étape de la veille sur les petites routes de Sologne. Nous n’étions pas aussi nombreux que le peloton que nous cherchions à singer. L’essentiel était ailleurs, dans les sprints débridés que nous faisions pour désigner le maillot vert, dans les pauvres petites bosses de notre région, si plate, qui devenaient des cols infranchissables. Nous étions des acharnés et avions la jambe leste et le mollet galbé. Il faut dire que la bicyclette était notre unique moyen de transport ; les parents nous laissaient libres d’aller où bon nous semblait. Je peux vous assurer que nous battions la campagne sur près de quatre-vingt kilomètres chaque jour.

Puis ce fut le temps des mobylettes. Le Tour passa au second plan, le vélo au rencard. Nous restions en bande ; nous allions traîner le guilledou mais personne n’oubliait de rentrer pour le résumé du soir. C’était notre limite acceptable : nous avions disparu de la circulation depuis le matin de bonne heure ; il était temps de rentrer pour nous mettre à table.

Le Tour faisait partie du décor estival. Il ponctuait notre imaginaire, il était repère incontournable, aventure magnifique. Nous n’étions pas déguisés avec des marques et des tenues comme nos idoles : ce n’était pas encore le temps de la copie conforme à prix rébarbatifs. Nous n’avions pas besoin de singer pour imiter.

Le Tour est ainsi resté dans nos mémoires, d’autant plus que je vivais dans une petite ville qui avait eu un temps une équipe cycliste aux couleurs de l’usine à vélos locale. Jacques Anquetil avait gagné la Grande boucle sous ses couleurs : ça façonne une fierté, une tradition, une affiliation qui ne s’oublient pas. C’était la marque Helyett : celle du vélo et du cyclomoteur de mon père. J’ai gardé très longtemps la plaque avec le nom de cette marque bien vite disparue qui fusionnerait avec Gitane ; ainsi notre histoire resterait-elle liée au Tour de France quelques années de plus.


Nostalgiquement vôtre.


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