La
recette.
En
ce dimanche gris et froid, n’ayant d’autre perspective que de
passer la journée avec des amis autour d’une table, l’envie me
prit de préparer une poule au pot et d’honorer ainsi, du moins le
croyais-je naïvement notre bon roi Henri IV qui fut retiré
prématurément à notre affection par un sinistre coup de couteau
dans le dos. Rien qu’en évoquant cet épisode célèbre, moi le
natif de la cité adoptée par son bon ministre des finances,
l’austère Maximilien, j’en ai la chair de poule.
Il
me fallut naturellement plumer une volaille en fin de carrière
pondeuse. Je sais que l’aventure horrifiera les défenseurs de la
cause animale, ceux-là même qui dénient la longue histoire des
chasseurs cueilleurs. Ne soyons pas à couteaux tirés avec cette
nouvelle forme d’intégrisme alimentaire, ma poule en fin de vie,
depuis quelque temps, me faisait des yeux doux si suppliants que j’en
avais saisi le sens.
Avant
de ce faire, son sacrifice devait être sacralisé. Le sang devant
couler, autant en profiter pour préparer une sanquette. Cette fois,
c’est certain, je devine que les âmes sensibles vont me voler dans
les plumes, je n’en ai cure tant le plat est délicieux. Si par
hasard, des gens en ignoraient la recette et se faisaient du mauvais
sang à l’idée que je puisse leur jouer un tour de cochon, je vous
livre séance tenante la recette.
Réservez
le sang de la poule à qui vous avez coupé le cou. Hâchez une
gousse d’ail et un beau bouquet de persil pour honorer la mémoire
de la pauvre bête. Coupez ensuite des tranches fines d’une
baguette de pain rassis avant qu’il ne soit dur, la poule n’est
plus dans votre poulailler. Rien ne saurait être bon sans un petit
tour de cochon, faites donc revenir des lardons dans une poêle
jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés. Battez avec
respect le dernier œuf de celle qui n’est plus puis l’incorporer
à son sang. Dans un plat creux, étalez le pain avec les lardons,
l’ail et le persil.
Versez avec une pensée émue le sang pur afin de recouvrir votre
appareil. Assaisonnez généreusement en sel et en poivre avant que
de laisser reposer le tout une heure ou bien une nuit dans un ciboire
ou bien un réfrigérateur. Dans une poêle bien chaude, laissez
glisser ce qui est devenu une galette de sang coagulé. Laissez cuire
de 8 à 10 minutes sur chaque face jusqu’à ce la sanquette ait une
belle apparence grillée. Réajustez l’assaisonnement à votre
guise et servez ce plat chaud en prenant bien garde de ne pas avoir
de végétarien parmi vos hôtes sinon la chose risque de tourner en
eau de boudin.
Pour
le coup, l’entrée en matière risque de mettre en émoi bien des
convives. Une nouvelle guerre de religion menace à votre table. Vous
avez pourtant coupé le pain et partagé le sang, les rituels se
perdent dans notre beau pays de France. La poule vous sauvera
peut-être d’une mise en croix même si vous avez eu l’insigne
maladresse de glisser quelques clous de girofle dans votre brouillon.
La
poule en morceaux s’offre ainsi un dernier bouillon. Laissez lui le
plaisir d’en jouir longuement, à petit feu en lui adjoignant des
légumes de saison grossièrement coupés. Si vous n’avez pas peur
de l’insuccès, n’oubliez pas le navet blanc. Pour le reste,
chacun peut laisser libre cours à son imagination.
La
poule cette fois ne couve pas, elle mijote ! Elle vous prépare un
délicieux bouillon, ultime offrande d’une vie passée à vous
servir. Le jus servira entre autre à la préparation du riz, apport
à la recette que Henri IV a pu connaître puisque la céréale fut
introduite dans son Royaume au XVI ° siècle sans grand succès il
faut l’avouer. Le doute persiste sur son emploi dans la recette
initiale, conseillée par le souverain aux manants.
La
touche finale sera la préparation d’une sauce délicate à base de
beurre, farine et œufs, toujours issus de ces dernières pontes.
Quand la sauce est bien épaisse, la crème exprimera sans aucun
doute votre amour vache pour vos volailles puisque vous faites encore
partie de ces monstres qui mangent de la chair animale. Assumez, vous
vous inscrivez ainsi dans l’histoire de l’humanité.
Pour
honorer le bon roi, n’oubliez pas de servir quelques cruchons de
vin à votre convenance. Pour moi, ce sera un vin blanc de Loire tout
en dentelle : un porte dorée de Philippe Teissier, un délicat
Cour-Cheverny qu’il conviendra de trousser gaiement à la manière
galante de celui qui inspira la recette. Vous n’aurez plus alors
qu’à passer un excellent dimanche. Si vos convives partent assez
tôt, une sieste forcément graveleuse achèvera cette cérémonie
mémorielle en souvenir du Prince de Navarre.
Gastronomiquement
vôtre.
Préparation de la recette
Préparation du bouillon de poule
Déposer la poule dans un grand faitout, la couvrir d’eau froide. Porter à ébullition et retirer les premières écumes.Préparation et cuisson des légumes
Éplucher, laver et couper les légumes en gros morceaux.Une fois le bouillon de poule bien clair, plonger les carottes, les navets, le rutabaga, le céleri, l'oignon piqué de clous de girofle et le bouquet garni.
Saler légèrement au gros sel. Laisser cuire 30 à 35 minutes et ajouter les verts de poireaux ficelés. Poursuivre la cuisson 1 heure.
Verser une partie du bouillon de poule dans une casserole, porter à ébullition, y cuire le riz 20 minutes.
Préparation de la sauce blanche
Faire fondre le beurre, ajouter la farine. Mélanger et cuire à feu doux 2 minutes.Délayer petit à petit avec 50 cl de bouillon de poule jusqu’à ce que la sauce soit bien homogène.
Porter à ébullition. Mélanger le jaune d'œuf à la crème fraîche.
Hors du feu, verser ce mélange dans la sauce chaude, fouetter énergiquement. Ne pas reporter à ébullition. Vérifier l'assaisonnement.
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