Le
gel a eu raison de lui.
Mon
Dieu, que j’en ai eu de crainte et de peur à l’idée de
traverser ce pont ! Un jour, le 16 du mois de janvier à 7
heures 45, celui qui m’avait fait trembler, succombait à son tour
sous le froid sibérien qui s’était abattu sur la Loire. Je
n’habitais plus mon village d’en-France mais la nouvelle m’était
arrivée comme un coup de poignard. Étrangement, je regrettais déjà
celui que j’avais tant détesté.
Je
suis né au sud de la Loire, fierté qui m’a longtemps permis de me
considérer supérieur aux affreux, nés de l’autre côté. Il y
avait pour moi un parfum de liberté, de soleil, de vacances de ce
côté-là. Ne cherchez pas à comprendre les raisons de cette
volonté de me distinguer ainsi ; les enfants sont ainsi
constitués qu’ils se construisent une mythologie à trois sous
avec de tout petits riens.
De
l’autre côté donc, il y avait Saint Père-sur-Loire, petit
village qui, dans mon esprit, ne pouvait se passer de la grande ville
d’en face. Il est vrai qu’à part un café, il n’y avait aucun
commerce au nord. Quand j’étais vraiment petit, nous allions le
dimanche rendre visite à des amis en empruntant le pont à pied. Ce
fut sans doute là que je développai ma phobie pour cet ouvrage
d’art.
Et
puis, il y avait la Loire, en-dessous. Je la redoutais uniquement à
cette place. La rambarde était faite de barres métalliques ;
la rivière semblait toute proche, elle m’attirait, elle
m’envoûtait, elle m’aspirait. Autant de la rive, elle était
accueillante et docile, autant de ce pont et surtout en approchant de
l’autre rive, elle était sombre, forte, menaçante. Quand les eaux
forcissaient, la peur se décuplait plus encore ; le bruit des
flots venait se mêler aux grincements de l’armature métallique de
ce maudit ouvrage d’art.
Les
premiers pas sur l’autre rive était une libération. Nous passions
alors tout près de ces câbles qui venaient se figer dans deux gros
blocs de béton. Ce pont était beau ; il était plus encore
inquiétant ! Il me fallut le dompter, surmonter mes tourments de
piéton quand, cette fois, c’est à bicyclette que je le franchis,
J’étais sur mon vélo bleu : un Peugeot, fier routier qui se
prenait pour un coursier. Mais le jeune cycliste n’en menait pas
large quand il allait seul sur ce tablier instable.
Si
je n’en menais pas large pour franchir le pont, je n’avais par
contre aucune appréhension à jouer avec la mort en passant sous le
terrible câble de la drague quand,soudainement, il se tendait pour
ressortir du fleuve une pelle monstrueuse remplie de sable. Le danger
était présent et je l’ignorais souverainement. Je n’étais pas
seul à jouer ainsi le trompe-la-mort avec cet appareil du diable …
Le
bonheur était sans pareil quand nous nous glissions sous la grosse
pelle qui remontait son sable captif. Elle dégoulinait d’eau qui
se libérait de ce piège en nous offrant une douche qui nous
réjouissait. Après avoir eu notre compte d’émotion et d’eau de
Loire, nous faisions moins les farauds quand il fallait à nouveau
franchir le redoutable monstre métallique.
La
drague a cessé de creuser le lit de la rivière. Elle a bouleversé
la répartition des eaux en cet endroit. Le vieux port de Saint
Germain, sur la rive sud , s’est totalement ensablé ; le
chenal étant passé de l’autre côté, là où des années durant,
la grosse pelle avait creusé le lit de la Loire. L’enfance se
moque de ces détails ; elle avait trouvé son épopée dans la
méchante bête dévoreuse du fleuve. Ainsi allait la vie en mon
village d’enfance. Aujourd’hui l’eau continue de couler, mais
c’est sous un autre pont, un pont sans émotion aucune !
Traversement
sien.
J'aime bien votre texte. J'y ai retrouvé quelques sensations de mon enfance, ayant habité près du pont suspendu d'Ingrandes sur Loire, dont les planches disjointes m'effrayaient un peu. Mais dans mon souvenir la crainte était aussi un plaisir. Entre les planches ou les travées, regarder cette eau puissante avec ses tourbillons qui ressemblaient à des yeux énormes, j'éprouvais une émotion intense, une irrésistible attirance....
RépondreSupprimerInconnu(e)
SupprimerNous avons grandi en bord de Loire avec des craintes, des attirances, des plaisirs et des loisirs associés à la rivière. Nous étions ligériens sans même le savoir.
Merci à vous
Je ferai spectacle le dimanche 15 décembre à La Possonnière si ça vous chante