vendredi 29 novembre 2019

Le Baptême d'un bateau




Fête de la saint Nicolas à Gien



Les grecs, excellents marins devant non pas l’éternel mais Neptune répandaient sur la proue de leurs bateaux le sang d’une victime sacrifiée afin de s’assurer la clémence des dieux en mer. Les anglais qui si souvent nous ont mis la pâtée à la bataille navale restent dans cette tradition avec ce dicton : « Un navire qui n’a pas goûté au vin goûtera au sang ».

Naturellement, à Gien, il n’est pas question de tordre le cou à un lapin, animal maléfique sur les navires pour sacrifier à la tradition. Pour nos joyeux lurons, le sang a été remplacé par du vin ou du champagne, pratique qui constitue à la fois une manière de conjurer le sort avant de prendre la Loire et s’assurer un bon voyage mais aussi s’il en était besoin une merveilleuse occasion de lever nos verres en bonne compagnie.

Habituellement, c’est à un prêtre que l’on fait appel pour mener à bien cette délicate opération. Les Fis d’Galarne, conscients tout à la fois de la crise des vocations dans la corporation et de leur fâcheuse propension à boire tout seul le vin, ont souhaité que je me charge de la cérémonie. Je peux les rassurer : avec un tel officient, point d’eau bénite, boisson prohibée dans la marine de Loire même si certains aiment à naviguer entre deux eaux avec du vent dans les voiles.

Cependant, faisant un crochet chez Nicolas, négociant en vin et spiritueux, je me permets de glisser en ce moment solennel, une petite prière de mon cru : 

 

Bon Nicolas, toi qui es notre saint patron
Accorde-nous le retour nous t'en conjurons
Même si nous ne sommes pas très respectables
Non, nous ne faisons pas commerce avec le diable

Au temps jadis où ils allaient sur la rivière
Les marins lui adressaient beaucoup de prières
Pour naviguer ils regardaient tous le grand ciel
Guettant le vent, un signe ou bien un pieux conseil
Et les femmes à la maison faisaient de même
Espérant ainsi retrouver ceux qu'elles aiment

Bon Nicolas, toi qui es leur très saint patron
Accorde le retour à nos joyeux lurons
Même s'ils ne paraissent pas très respectables
Ils ne font pas du tout commerce avec le diable


Tout en disant ce psaume peu orthodoxe, je m’aperçois avec effroi que je n’ai pas éclairé votre lanterne sur la nécessité absolue de pratiquer ce rituel. Pour votre gouverne, le Titanic entreprit son premier voyage sans sacrifier au baptême. Chacun sait ce qu’il advint de sa première expédition, un exemple qui jette un froid pour qui veut se lancer sur l’eau. Je sais cependant qu’avec nos amis Giennois, il n’est pas à redouter la présence d’un glaçon, surtout dans leurs verres. Le vin ici se boit chambré ou bien frais, sans adjonction d’un fragment de banquise.

Cependant, le vin ou le champagne n’est pas le seul élément incontournable du baptême. Pour que ce bateau soit bien né, il convient que ce fut sous le haut patronage d’une marraine aimante et bienveillante. Celle-ci sera tout à la fois l'effigie en tête de proue, la délicieuse briseuse de bouteille - ce qui la changera quelque peu - et surtout la gironde poupe du fûtreau.

Passons sous silence qu’elle soit née en bord de Seine, la faute n’est pas si grave que cela. Arrivée en 1989 à Briare, c’est par le truchement du regretté Jean Mauzac qu’elle fit la connaissance des Fis d’Galarne. Elle rejoint le groupe en 1994 et en devient rapidement l’égérie.

Sa fonction s’arrêtera là, nul besoin pour elle de donner le sein à son filleul quoiqu’elle a toujours adoré la chanson : »Petit garçon ». C’est donc en toute sérénité que Sophie peut s’avancer afin de libérer le cordon et lancer dans les fonds baptismaux ce merveilleux bateau. Nous n'évacuerons pas l’hypothèse que ces gredins lui réclament le biberon pour peu qu’il soit rempli d’eau de vie. La dame aime la Loire pour son côté sauvage et indomptable et les rencontres qu’elle provoque le long de ses rives.

Afin de couper le Macoui, l’hideux serpent de rivière, le monstre qui, tapi dans la Loire, peut parfois nous prendre le bras pour nous conduire par le fond, une dernière prière, toute aussi païenne s’impose avant que ne se brise le vin.



Comme le sort est conjuré
Nous allons pouvoir naviguer
Nous remontons sur notre pont
Ayant repoussé le démon
Au fil des canaux et rivières
Nous affrontons bien des galères
Avant de trouver réconfort
Lorsque nous accostons au port

St Nicolas
Protège-nous
St Nicolas
Apporte-nous,
La force de naviguer
À nous les bateliers


Dans les tavernes à matelots
Le vin chaud coulera à flot
Pour honorer Saint Nicolas
On mangera le cochon gras
Lui qui sauva d'un grand saloir
Trois petits gamins pour sa gloire
Nous célébrons à not'façon
Le miracle du saint patron



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