Faire
son trou
Un
éclair brun dans les airs avec un gazouillis roulé lancé à toute
vitesse, c’est un petit oiseau au vol saccadé qui arrive en bord
de Loire. Nous sommes au mois de mars, notre petite hirondelle avec
sa bande pectorale d'un brun cendré qui contraste avec sa gorge et
son dessous blancs, a élu domicile chez nous. Voilà l’éclaireuse
de la bande, elle est la première des hirondelles, celle qui
annonce, avant toutes les autres, le retour du printemps.
Son
chant, constitué de gazouillis rapides et sonnants m’enchante
tandis que son cri d’alarme, plus bref me rappelle le sifflet des
arbitres. Quel acrobate quand elle vole au ras de la rivière, à la
recherche des insectes dont elle se régale. Mais avant de songer à
sa nourriture, elle doit faire son trou.
Toute
petite, elle n’en est pas moins sacrément gaillarde. Avec ses
douze centimètres de longueur, elle va se mettre à l’ouvrage
comme un vrai terrassier. Ses ancêtres devaient être les amis des
tailleurs de Tuffeau et de Faluns de nos régions, elle creuse au
milieu d’une berge abrupte le long de la rivière. Elle a choisi un
terrain sableux, mêlé d’argile pour se préparer un palais
somptueux.
Sans
se prendre de bec avec son compagnon, la demoiselle a besoin d’une
petite chambre douillette pour ses amours secrets et pour y donner la
vie. Craignant par-dessus tout les importuns, elle a choisi une berge
qui ne peut s’atteindre par la rive. La Loire a creusé là une
petite falaise de quelques mètres de hauteur. L’hirondelle en
quinze jours va percer un tunnel de 50 à 70 cm de long qui
débouchera sur la chambre nuptiale.
Un
travail de romain pour elle qui vient des lointains rivages du
Pakistan. Venue ici sans passeport, elle se doute que la
clandestinité exige pareille cachette. Les humains sont impitoyables
pour les plus faibles, ils ont bien tort pourtant, elle qui leur rend
tellement de services. Le moustique qui les pique, elle en fera son
affaire !
Hélas,
dans le Val de Loire, nombreux sont encore les tenants de l’industrie
« phytomortifère » qui lui préfèrent les redoutables
insecticides qui risquent de la mettre au pain sec. Si ces furieux
n’y prennent garde, elle et ses congénères vont bientôt
disparaître de ce si beau pays, pourtant. En attendant, elle cesse
de se poser des questions et aménage son nid afin qu’il soit le
plus douillet possible.
Elle
tapisse avec amour sa chambre de paille, de plumes, de tiges souples
que son cher mari et elle vont quérir alentour. Il faut bien
admettre qu’elle n’est pas prête à se retrouver sur la paille,
elle a tendance à manquer cruellement dans un Val qui préfère les
cultures maraîchères. Elle devrait faire du foin pour alerter les
agriculteurs sur la nécessité de diversifier leurs productions. La
timidité lui cloue le bec, elle n’ose aller revendiquer !
Elle
a bien tort car voilà que devant son gîte, des hommes équipés de
casques s’agitent, le plus souvent à bord de gros engins. Le vent
porte jusqu’à son refuge, le bruit d’un chantier qui l’intrigue.
Que veulent-il bâtir en ce lieu si paisible ? L’hirondelle reste
dubitative, que se trame-t-il donc au bout de son tunnel ? Quelle
déveine, venir de si loin pour se retrouver précisément là où la
tranquillité n’est plus assurée…
Pourtant,
mon dieu qu’elle l’aime sa petite falaise. La Loire est ici
sauvage, loin des habitations et de la folie des villes. Juste
derrière, à deux coups d’ailes, elle dispose d’un merveilleux
garde-manger, une réserve d’insectes au cœur de la darse de
Sandillon. Quel bonheur ineffable que de survoler cet endroit qui
semble figé avec ses arbres fossilisés et son mystère envoûtant.
Ils sont déraisonnables de vouloir jeter un pont ici.
En
attendant, elle a d’autres chats à fouetter. La loi du sang
s’impose à elle. Une première couvée s’offre à elle. Elle a
pondu 5 petits œufs tout blancs à la mi-mai. Elle était fière,
elle fut la première de sa petite troupe de copines. L’hirondelle
des rivages aime à vivre en colonies plus ou moins importantes. Ici,
la crise du logement limite le nombre de galeries. Encore heureux que
pour l’instant, le préfet ne leur réclame pas de permis de
construire, il en est bien capable ce haut représentant de l’état
qui a décidé de mettre sous sa coupe financière les bords de
Loire.
Durant
deux semaines, quatorze jours et pas un de plus, elle va couver d’une
aile protectrice ses petits œufs qui mesurent 18 millimètres. Les
enfants arrivent, ils vont attendre 19 jours avant que de prendre
leur envol et découvrir à leur tour la magnificence du lieu. Notre
hirondelle, débarrassée des soucis de la couvaison envisage avec
son luron de remettre le couvert car moins de deux mois après leur
premier vol, les petits, ingrats, seront totalement autonomes. Pas de
gros soucis d’éducation dans la famille même s’il faut veiller
à ses maudits moineaux, toujours prompts à venir croquer les
gamins.
Il
reste assez de temps pour envisager une seconde couvée. Le temps est
propice et la région riche malgré les maudits épandages en
insectes volants comme les tilupes (cousins), les syrphes, les
libellules, les mouches, ou les fourmis volantes qui font ses
délices. Après en avoir longuement discuté avec son mâle qui
n’était pas franchement favorable, la nôtre hirondelle se remet à
l’ouvrage. Les nouvelles naissances sont saluées par des feux
d’artifice un peu partout dans le secteur. Quel spectacle, elle se
dit que les humains pour une fois, lui montrent vraiment beaucoup de
considération.
Il
ne faut pourtant pas tarder. Avant la fin septembre, elle devra plier
bagage et retrouver copains et copines pour un vol long-courrier vers
ses quartiers d’hiver. Elle espère revenir dans son trou l’année
prochaine pourvu que les ouvriers lui en laisse la possibilité. Ils
ne se rendent pas compte, mais creuser un tunnel et aménager une
chambre, c’est un travail titanesque et elle et son compagnon ne
disposent pas d’engins comme ces cossards.
À
l’année prochaine petite et charmante hirondelle des rivages si
rien de fâcheux ne t’arrive durant ton long périple. En espérant,
pour favoriser ton retour qu’ici, on préserve cet endroit où tu
as installé ta résidence estivale. J’évoquerai ta légitime
préoccupation aux responsables de cette agitation qui a quelque peu
troublé ton séjour. J’espère de tout cœur qu’ils ne feront
pas un trou dans la rivière. Il y a sûrement moyen de s’arranger,
entre gens raisonnables…
Hirondellement
sien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire