L’amour
en tête de proue.
Il était une fois, une
bretonne égarée au bord d’une rivière qui ne lui disait rien qui
vaille. Elle qui avait grandi sur la pointe extrême de notre pays
sous les coups de vent et les embruns d’une côte sauvage et
féroce, elle trouvait bien palote cette Loire que nous ne cessions
de lui vanter. Elle en riait même, se demandant ce que ces
ligériens, pouvaient bien trouver à un flot sans colère, une eau
douce dénuée de la plus petite vague. C’était sans doute aller
vite en besogne que ce jugement à l’emporte pièce mais
qu’attendre de mieux des gens d’Armorique quand ils défendent
bec et ongles leur cher bout de Terre en dénigrant le reste de la
planète.
Pour bien regarder un lieu,
il faut avoir pour lui les yeux de Chimène. La dame n’avait sans
doute pas ressenti ce coup de cœur qui transforme votre regard et
vous ouvre de nouvelles perspectives. Nous avions beau ramer auprès
d’elle, tenter de lui montrer ce qui était pour nous des coins à
vous couper le souffle, elle comparait immanquablement à cette côte
qui avait été sa nourrice. La cause était d’autant plus perdue
qu’il y avait de la bourrique chez elle !
Puis, pour ne jamais faire
les choses comme les autres, elle se prit de passion pour des petites
barques allant sur un canal désaffecté. Les voies d’eau sont
aussi impénétrables que celles du seigneur. Nous n’aurions jamais
songé que c’est à l’ombre d’un saule majestueux plongeant ses
branches sous le reflet de l’arche d'alliance d’un pont de
pierre, qu’elle se décilla les yeux.
Elle succomba sous le
charme d’une dame de nage qui guidait une rame par le bout du nez.
Il lui fallait sans doute trouver son guide pour se mettre en
mouvement vers la passion ligérienne. Il faut lui consentir qu’elle
ne pouvait trouver endroit plus romantique et que succomber ici avait
de quoi ouvrir une belle et grande histoire. Si au début, elle fit
des ronds dans l’eau, c’était pour envoyer un message à
l’esprit du fleuve qui coulait à deux pas de là. Elle avait l’art
de l’esquive ou bien de la pirouette, ses origines sans doute.
Redescendue à terre, elle
était transformée. Elle avait trouvé une épaule sur laquelle
s’appuyer, un guide pour enfin comprendre ce qui jusqu’alors lui
échappait ou pour le moins, lui semblait quelque peu exagéré. Ce
fut un lever de soleil sur la dame Liger au sortir de ce petit
périple qui la foudroya au milieu d’un pont. « Ainsi donc,
c’était cela qu’ils essayaient tous de m’expliquer et qui se
dérobait à moi ? » se dit la dame, incapable de reprendre son
chemin.
L’exaltation lui vint en
ce petit matin. La nuit blanche, l’amitié, la fête, le Festival,
les rencontres et les confidences jusqu’au bout de la nuit eurent
raison de son obstination précédente. On ne voit vraiment bien
qu’avec le cœur lui aurait soufflé le Petit Prince s’il était
passé par là. C’est à n’en point douter un autre personnage,
doux, rêveur, égaré dans ce monde trop rude qui lui glissa des
mots tendres à l’oreille.
La dame était conquise,
ravie, troublée, emportée à son tour par cette folie qu’elle se
refusait à comprendre. La voilà tête de proue de la Dame Liger,
elle s’est jetée à son cou, lui fit grande et belle déclaration
d’amour. Ce n’est pas qu’elle renonça à aimer sa Bretagne
mais la dame savait désormais qu’il est possible d’avoir
plusieurs passions à condition qu’elles fussent pareillement
sincères.
Voilà, vous savez tout.
Nous n’avons plus qu’à nous retirer sur la pointe des pieds.
Elle se fait sirène et plonge dans les flots. Point n’est besoin
de vagues pour surfer sur un bonheur parfait. Elle est en lévitation
sur un nuage de félicité, ne cherchant pas à comprendre ce mystère
soudain qui bouleverse sa vie. Il suffit parfois de se laisser porter
par les évidences et accepter de suivre son étoile. Bon vent à
elle, elle saura mener sa barque, je n’en doute pas une seconde. Je
la regarde s’éloigner. En bonne bretonne, elle continue de souquer
ferme pour tenir le cap, celui qu’elle avait perdu de vue depuis si
longtemps.
Heureusement sien.
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