mercredi 20 novembre 2019

Macération quotidienne

Écrire


Il en est qui, chaque matin, s'en vont arpenter la campagne ou les rues de nos villes, courant après leur jeunesse, la forme et la santé. D’autres qui font des gammes, répétant inlassablement des notes qui deviennent si familières qu’elles sont désormais en symbiose avec leurs doigts. Certains ne peuvent concevoir une seule journée sans faire l’amour ou bien la vaisselle ; chacun a sa petite perversion et moi qui, en ce domaine, suis parfaitement servi, je ne leur tiendrai nulle rigueur.

Votre serviteur en effet , vous avez dû le remarquer à force de parcourir sa prose qui fleurit chaque matin sur la toile, ne peut supporter une journée sans écrire. C’est venu insidieusement, comme toutes les drogues qui s’installent un jour dans votre vie pour la transformer radicalement. On se dit au début que c’est un bonheur, un changement merveilleux qui magnifie l’existence. Puis les effets secondaires apparaissent ; il faut se rendre à l’évidence : il y a toujours un prix à payer aux bonnes choses.

Mais qu’importe. Je ne fume pas, je fais en sorte de boire modérément, en dépit de mes affirmations bachiques, je réduis autant que possible mon appétit insatiable, je me modère en beaucoup de vices mais contre l’écriture, je ne peux rien faire. La manie a envahi ma vie : je ne pense qu’à ce billet quotidien que le Seigneur, dans sa grande générosité, doit m’inspirer s’il ne veut pas que je blasphème son nom. C’est une nécessité, une évidence, un besoin.

Tout cela n’aurait finalement aucune conséquence fâcheuse sur mon entourage et mes relations sociales si je ne m’étais mis en tête de diffuser à la planète entière le fruit douteux de mon assuétude scripturale. J’écris, certes, mais pire que tout, je montre à qui veut bien le lire, le produit de mon insupportable manie.

C’est là que le monde, le mien en tout cas, bascule dans la déraison. Je me donne en spectacle ou en pâture. Au fil des récits, entre les lignes ou bien de manière explicite, apparaissent mes défauts, mes erreurs, mes maladresses, ma face noire. Mes billets sont parsemés de fautes et de taches, de ratures et de lapsus. C’est dans ces creux et ces bosses que se dévoile la face obscure de ce personnage orgueilleux, vaniteux, prétentieux, présomptueux, atrabilaire, impatient, factice …

La liste n’est malheureusement pas exhaustive. L’écriture force le trait, accentue les aspérités, pousse le capuchon trop loin. Les mots prennent leur indépendance, jouent d’un effet miroir pour mettre en lumière ce qu’il conviendrait de taire. Ils se jouent de moi et je me présente à vous, dans le plus simple appareil, sans fard ni protection.

Je suis pris au piège de ce récit journalier, qui, derrière fiction et farce, est un terrible et impitoyable révélateur. Je n’imaginais pas qu’il puisse en être ainsi et je suis parfaitement incapable de mettre un point final à cette aventure, devenue, au fil des années, une confession impudique, un strip-tease indigne. C’est un journal intime qui se donne sans honte à la curiosité de tous.

Ce matin encore, mes doigts sur le clavier ont glissé sur une pente savonneuse. Ils m’ont conduit là où je ne voulais pas aller. J’ai cédé à leur besoin impératif de me livrer pieds et âme liés, sans pouvoir me défendre ni apporter la plus petite nuance. Les mots décident ; les phrases s’enchaînent sans jamais me libérer. Je suis devenu l’otage de ma folie. J’ai besoin d’écrire …

J’ai parfois le sentiment de constituer ainsi une forme d’auto-fiction, une biographie imaginaire d’un prétentieux sans limite. Veuillez me pardonner et, si la chose vous paraît insupportable, ayez alors l’amabilité de détourner le regard et d’oublier ce que vous venez de lire. Je vous prie de m’excuser et surtout ne vous demande pas de me plaindre : écrire est un immense plaisir ! Pour rien au monde, désormais, je ne renoncerais aux délices comme aux tourments de cet étrange narcissisme scriptural.

Confessionnallement mien.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...