Écrire
Il en
est qui, chaque matin, s'en vont arpenter la campagne ou les rues de
nos villes, courant après leur jeunesse, la forme et la santé.
D’autres qui font des gammes, répétant inlassablement des notes
qui deviennent si familières qu’elles sont désormais en symbiose
avec leurs doigts. Certains ne peuvent concevoir une seule journée
sans faire l’amour ou bien la vaisselle ; chacun a sa petite
perversion et moi qui, en ce domaine, suis parfaitement servi, je ne
leur tiendrai nulle rigueur.
Votre
serviteur en effet , vous avez dû le remarquer à force de parcourir
sa prose qui fleurit chaque matin sur la toile, ne peut supporter
une journée sans écrire. C’est venu insidieusement, comme toutes
les drogues qui s’installent un jour dans votre vie pour la
transformer radicalement. On se dit au début que c’est un bonheur,
un changement merveilleux qui magnifie l’existence. Puis les effets
secondaires apparaissent ; il faut se rendre à l’évidence :
il y a toujours un prix à payer aux bonnes choses.
Mais
qu’importe. Je ne fume pas, je fais en sorte de boire modérément,
en dépit de mes affirmations bachiques, je réduis autant que
possible mon appétit insatiable, je me modère en beaucoup de vices
mais contre l’écriture, je ne peux rien faire. La manie a envahi
ma vie : je ne pense qu’à ce billet quotidien que le
Seigneur, dans sa grande générosité, doit m’inspirer s’il ne
veut pas que je blasphème son nom. C’est une nécessité, une
évidence, un besoin.
Tout
cela n’aurait finalement aucune conséquence fâcheuse sur mon
entourage et mes relations sociales si je ne m’étais mis en tête
de diffuser à la planète entière le fruit douteux de mon assuétude
scripturale. J’écris, certes, mais pire que tout, je montre à qui
veut bien le lire, le produit de mon insupportable manie.
C’est
là que le monde, le mien en tout cas, bascule dans la déraison. Je
me donne en spectacle ou en pâture. Au fil des récits, entre les
lignes ou bien de manière explicite, apparaissent mes défauts, mes
erreurs, mes maladresses, ma face noire. Mes billets sont parsemés
de fautes et de taches, de ratures et de lapsus. C’est dans ces
creux et ces bosses que se dévoile la face obscure de ce personnage
orgueilleux, vaniteux, prétentieux, présomptueux, atrabilaire,
impatient, factice …
La
liste n’est malheureusement pas exhaustive. L’écriture force le
trait, accentue les aspérités, pousse le capuchon trop loin. Les
mots prennent leur indépendance, jouent d’un effet miroir pour
mettre en lumière ce qu’il conviendrait de taire. Ils se jouent de
moi et je me présente à vous, dans le plus simple appareil, sans
fard ni protection.
Je
suis pris au piège de ce récit journalier, qui, derrière fiction
et farce, est un terrible et impitoyable révélateur. Je n’imaginais
pas qu’il puisse en être ainsi et je suis parfaitement incapable
de mettre un point final à cette aventure, devenue, au fil des
années, une confession impudique, un strip-tease indigne. C’est un
journal intime qui se donne sans honte à la curiosité de tous.
Ce
matin encore, mes doigts sur le clavier ont glissé sur une pente
savonneuse. Ils m’ont conduit là où je ne voulais pas aller. J’ai
cédé à leur besoin impératif de me livrer pieds et âme liés,
sans pouvoir me défendre ni apporter la plus petite nuance. Les mots
décident ; les phrases s’enchaînent sans jamais me libérer.
Je suis devenu l’otage de ma folie. J’ai besoin d’écrire …
J’ai
parfois le sentiment de constituer ainsi une forme d’auto-fiction,
une biographie imaginaire d’un prétentieux sans limite. Veuillez
me pardonner et, si la chose vous paraît insupportable, ayez alors
l’amabilité de détourner le regard et d’oublier ce que vous
venez de lire. Je vous prie de m’excuser et surtout ne vous demande
pas de me plaindre : écrire est un immense plaisir ! Pour rien
au monde, désormais, je ne renoncerais aux délices comme aux
tourments de cet étrange narcissisme scriptural.
Confessionnallement
mien.
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