C'est
pas du gâteau !
Il
était une fois une histoire qui, pour une fois, abandonne un temps
le cours de notre Loire. Elle se déroule à quelques kilomètres de
notre rivière, entre Beauce et Gâtinais dans une cité qu'on
nommait alors Petuar, « Le carrefour des quatre chemins ».
Pithiviers, puisque c'est ainsi que nous appelons aujourd'hui cette
fière cité des Carnutes, était la place centrale du commerce du
froment.
Les
plaines à l'entour fournissaient les précieuses céréales
qu'enviaient nos amis Romains. C'est naturellement la Loire qui
allait favoriser ce commerce fluvial florissant durant près de deux
millénaires. Un vaste convoi de charrois s'organisa de Petuar à
Cenabum puis de Pithiviers à Orléans et ne s'arrêta qu'avec le
creusement du canal en 1492 en faisant un crochet par Montargis. Mais
ceci est une autre histoire, ne nous perdons pas en cours de route.
En
ce temps très lointain ; exactement en l'an 89 de notre ère, une
bande de chauffeurs dévastait déjà les campagnes. Des brigands
sans foi ni loi qui brûlaient la plante des pieds des paysans pour
obtenir d'eux le secret de la cachette de leur maigre trésor. Les
malandrins prenaient l'expression « faire du blé » au
pied de la lettre et pensaient que nos pauvres laboureurs avaient
amassé une fortune. Ils se trompaient de quelque deux mille ans,
nous n'étions bien loin des gros céréaliers spéculateurs ….
Lors
de l'une de ces hideuses razzias, un couple, que les monstres avaient
torturé dans leur étable entre un âne et un bœuf, ne survécut
pas à leur traitement. Les voleurs penauds et Gros-Jean partirent
sans argent mais flanqués d'un bébé dont ils ne savaient que
faire. C'est par un surprenant remords ou un reliquat d'humanité
qu'ils n'avaient pas osé le trucider. L'enfant, encore dans les
langes, avait au cou un petit pendentif sur lequel était gravé son
prénom. Elle s'appelait Laure, et sans elle, l'histoire eût été
tout autre.
Les
ravisseurs malgré eux étaient bien marris de cet encombrant butin.
Ils s'en débarrassèrent bien vite en laissant la petite sur le quai
à Cenabum dans des balles de chanvre qui attendaient d'être
embarquées. C'était au petit matin de ce mois de décembre 89 et
ils estimèrent que l'enfant ne resterait pas bien longtemps en si
fâcheuse posture.
Ils
connaissaient sans doute le bon cœur des marins d'eau douce car
c'est par eux que l'enfant fut recueillie et embarqua sur l'un de ces
bateaux qui faisaient commerce sur la rivière. Elle fut choyée
autant que possible malgré le manque de confort du rafiot, surtout
pour un bébé. Bien vite, les mariniers se soucièrent de lui
trouver une bonne famille pour grandir en paix. C'est à Nivernum que
l'enfant et les ballots de chanvre furent débarqués.
La
petite grandit, entourée de l'affection d'une famille d'aubergistes
qui s'occupèrent d'elle sans lui demander d'aller chercher l'eau au
puits en pleine nuit. Ils ne sont pas tous ainsi que nous les peignit
Victor. Cela faisait juste juste dix ans qu'elle vivait là quand de
curieux voyageurs arrivèrent à Nivernum. Ils avaient une vêture
curieuse, faite de longues robes et de turbans et venaient d'un pays
si lointain que le soleil s'y lève; ils disaient être à la
recherche d'une enfant née dans le grenier de la Gaule.
Le
ciel était couvert en cet hiver 99 et, depuis fort longtemps, en
remontant la rivière Liger, ils avaient perdu de vue l'étoile qui
leur servait de guide. C'est à ces petits détails que vous pourrez
constater que mon histoire est bien plus crédible que la fable qu'on
nous sert depuis trop longtemps. Mais revenons à nos curieux
visiteurs que les gens de Loire, toujours prompts à moquer
l'étranger, appelèrent bien vite : « Les trois faux mages ! »
Comment
eurent-ils vent qu'une enfant abandonnée avait trouvé une famille
d'accueil en l'Auberge « Le Blé de Thélem »? nul ne
le saura jamais. Les nouvelles circulent plus vite sur une rivière
que partout ailleurs. Elles sont portées par le vent et le courant,
les marins et les poissons migrateurs, les laveuses et les oiseaux de
passage.
Les
trois faux mages, puisque c'est ainsi que nous les nommerons pour
respecter l'usage local, arrivèrent en l'auberge et s'enquirent de
l'histoire de la petite qui filait la quenouille près du feu.
D'abord méfiant et un peu interloqué par ces curieux visiteurs qui
se remarquaient aisément parmi la pratique habituelle de son
établissement, l'aubergiste se montra particulièrement vague. Les
étrangers sortirent alors une sacoche remplie d'une curieuse
poudre blanche qu'ils appelaient t« Kaolin ».et
prononcèrent ces paroles étranges : « Gardez précieusement
ce minéral , brave homme, plus tard, votre ville sera célèbre
grâce à cette poudre … ! »
Ils
étaient si sérieux, si certains de leur prophétie, que l'homme
conserva précieusement ce don. Par la suite, il passa de main en
main dans cette famille c'est ainsi qu'un beau jour naquit la célèbre
porcelaine de Nevers. On ignore souvent le pourquoi des grands
évènements; vous avez la chance de comprendre enfin ce secret, mais
gardez- le pour vous, je vous en prie.
Retournons en l'an de grâce 99 où le tavernier demanda aux trois
mystérieux voyageurs ce qui les amenait là. Ceux-ci déclarèrent
qu'avertis de l'existence de la petite Laure, ils voulaient récupérer
son collier et le porter au lieu-même de sa naissance afin de
réaliser une prophétie que de curieux comparses prétendaient avoir
accomplie un siècle plus tôt. Ils ne manqueraient pas,
promettaient-ils, de rapporter le précieux bijou et de donner à la
petite fille, en guise de remerciement, de quoi lui assurer des
lendemains heureux.
Ces
curieux visiteurs, venus de si loin,que jamais en bord de Loire on
n'avait vu des humains aux yeux si étroits et à la teinte si
étrange , inspirèrent cependant confiance à l'aubergiste qui
demanda à sa fille adoptive de céder à leur requête. La petite ,
aussi peu méfiante, ne se fit pas prier et confia son précieux
souvenir sans crainte ni angoisse.
Les
hommes partirent et allèrent par la Loire d'abord puis par le chemin
jusqu'à la ville de Petuar. Ils cherchèrent l'étable où avait eu
lieu le massacre des pauvres parents de la petite et y rassemblèrent
les gens du voisinage,Prononçant des paroles énigmatiques, ils
tinrent un rituel qui laissa pantois plus d'un témoin.
Voici
ce qu'ils déclarèrent solennellement aux gens de ce pays : «
Nous vous rapportons le collier de Laure, la fille de vos voisins
lâchement trucidés ici il y a dix ans, qui témoigne qu'elle est
heureuse et en bonne santé. Nous vous confions ce calendrier de l'an
100 pour que vous sachiez à partir de ce jour, compter le temps qui
passe et célébriez chaque année notre visite, le premier dimanche
de l'année nouvelle,. Nous vous confions encore une mire ;
construction
en charpente, de forme géométrique, définissant l'aplomb d'un
repère géodésique, que l'on vise de loin pour prendre une
direction.
C'est
depuis ce jour lointain que l'on put voir, au milieu de la plaine, en
cette bonne ville, un repère qui s'élançait haut dans le ciel. De
nos jours encore,en approchant de Pithiviers, vous verrez une flèche
fière et majestueuse qui se dresse au milieu d'un paysage plat. Il
se dit que ce repère géodésique particulier est l'endroit exact où
eut lieu cette mystérieuse aventure. Mais qui peut savoir démêler
le vrai du faux dans les légendes ?
Revenons
dans notre étable. Cela faisait vraiment beaucoup de choses à
digérer pour ces humbles manants. Ils étaient déjà incrédule
devant la magnificence et l'étrangeté des habits des trois faux
mages. Ils étaient éberlués par des propos auxquels, il faut bien
l'avouer, ils ne comprenaient goutte . Ils se souvenaient vaguement
de cette famille et de cette horrible histoire mais pour le reste,
ils n'en savaient que penser.
Voyant
que leur auditoire était perplexe, l'un des trois faux mages avoua
alors le but exact de sa visite. « Nous désirons que naisse
une tradition pour célébrer nos devanciers, les rois mages de
Bethléem. Vous avez dans votre beau pays, le froment à foison. Nous
vous apportons encore des plants d'amandiers. Pithiviers sera célèbre
pour une pâtisserie qui portera son nom. Elle deviendra le symbole
de notre existence et chacun de par le monde, mangera la galette aux
trois faux mages. »
Laure,
l'an cent et la mire, nous avions ici les ingrédient d'une belle
légende. Ajoutons -y un délicieuse pâtisserie qui se fit
feuilletée au XVIII° siècle à l'initiative d'un certain
« Feuillet » et vous avez la fève sur le gâteau et le
point de départ d'une tradition qui dépassa largement le cadre de
notre
région.
Si
vous avez gobé mon histoire, c'est que je suis sans nul doute, un
vil affabulateur. Pourtant, il y a en toute fable une parcelle de
vérité. N'ayez pas honte de passer sous la table afin de désigner
celui qui aura la part suivante. Vous aurez au moins appris l'origine
de la galette des rois et vous rendrez désormais au Pithiviers ce
qui lui revient de droit.
Pâtissièrement
vôtre.
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