Mystère
en bord de Loire.
En
ces temps très lointain de notre premier millénaire, il y avait
encore sur les bords du fleuve Liger elfes, lutins, gnomes, druides,
birettes et sorcières qui allaient et venaient parmi les hommes du
pays. On pouvait même croiser quelques trolls quand des oies
sauvages venaient à passer par chez nous. Les croyances d'alors
laissaient la place à la magie, aux mystères de dame nature et aux
forces obscures de notre mère la Terre.
Les
gens avaient encore la souvenance des traditions Carnutes, il restait
par ici, braves païens pour honorer les forces telluriques,
ressentir les effets de la Vouivre et commander au ciel, aux eaux et
aux vents. Rien n'était impossible à qui avait des yeux et un cœur
pour regarder au-delà du visible.
Sur
les bords de notre Loire, en un lieu dit du Fer à cheval à deux
enjambées d'Ouvroir Les Champs, un magnifique et vénérable chêne
qui avait poussé en bord du fleuve, la chose est si rare, qu'il
devient objet de grande dévotion. Ses branches recouvraient une
boucle réputée, un coude d'eau aux vertus bénéfiques. Il y avait
là, disait-on grande et sombre fosse qui cachait bien des trésors.
Personne n'était jamais revenu de ces profondeurs secrètes et bien
rares étaient encore ceux qui osaient à leur dépens tenter de s'y
aventurer.
Puis
vint un temps qui se voulait éclairé. Les hommes porteurs d'une
nouvelle croyance imposaient leur foi et repoussaient toutes les
vieilles simagrées. Leurs yeux étaient tournés vers le ciel, ce
n'est pas la meilleure manière d'honorer une rivière. Ils avaient
une foi étrange qui voulait faire table rase de toutes celles du
passé. Les petits êtres fabuleux disparurent progressivement des
berges et des varennes, seul leur souvenir hantait les fables qu'on
se disait à la veillée.
Un
homme de ce Dieu unique voyait en notre chêne un danger potentiel.
Il repérait de temps à autre des rites discrets, des offrandes
impies au pied d'un arbre qui lui faisait ombrage. Il avait esprit
retors et force colossale, c'est armé d'une hache qu'il abattit cet
ennemi de la vraie foi. Croyant amadouer les gens qu'il avait
vraisemblablement offensés, il commanda au charpentier du coin d'en
faire une scute ; grande bateau de commerce et autres pratiques dont
il ferait cadeau à toute la communauté villageoise.
Le
charpentier eut bien grands soucis à mener à terme son entreprise.
Il eut chagrin et tourment tant il brisa ses outils, usa trop vite le
fil de ses lames et eut souvent grand tracas et nombreuses maladies à
lui tourner les sangs. S'il s'obstina, c'est qu'il n'avait pas le
choix, il avait besoin d'argent et le moine lui avait promis une
bourse bien pleine pour paiement de sa peine. Sa mégère avait beau
le supplier de cesser ce travail qui avait le mauvais œil, le pauvre
bonhomme ne pouvait reculer.
Finalement,
à bout de forces, aux limites de sa santé, épuisé et abargé,
notre charpentier livra une embarcation si gracieuse que le moine lui
même en fut tout ébaubi. Elle trouva naturellement sa place dans le
grand trou d'eau là où autrefois elle faisait douce ombrelle aux
beaux comme aux mauvais jours avec son magnifique feuillage.
C'est
alors que le cours des choses habituelles fut chamboulé par des
grimaces du destin, par d'étranges tours de la Loire et des forces
occultes. La belle scute, c'est ainsi que l'on nommait alors ce genre
de bateau, n'en faisait qu'à sa proue. Elle refusait obstinément de
sortir de l'anse dans laquelle elle baignait, agrippée à son
arrivel à n'en pouvoir partir.
On
fit appel à un « governeor », nom que l'on donnait jadis à celui
qui gouvernait aux destinées d'un bateau. Marinier réputé, homme
de grande expérience, il tourna en tout sens, vira, tournicota mais
jamais ne pu se sortir de la passe. Il y avait grand tourbillon,
courant contraire et mystérieuse force qui piégeaient la scute en
ce fer à cheval de malheur ! L'homme parti exaspéré, il se savait
ridiculisé par cette magie liquide !
Une
nourrice qui avait l'habitude de donner le sein à tous les gnas du
pays à l'ombre de notre défunt chêne pensa qu'elle avait une
relation particulière avec cet arbre. Elle avait souvent manié la
bourde, elle avait grande force dans les pognes et ne rebutait jamais
à l'effort physique. Elle mit du cœur à l'ouvrage, le bateau
restait comme collé, aspiré par les entrailles de ce trou d'eau.
Jamais elle ne put sortir de cette boucle. Elle aussi abandonna la
partie.
On
murmurait dans tout le pays. Les gens retrouvaient leurs vieilles
croyances, ils évoquaient des forces mystérieuses qui remontaient
de la nuit des temps celtiques. Le moine devinant là une mauvaise
affaire pour son petit commerce, prit le bateau par les cornes. Il
vint sur la grande barque muni d'un crucifix, d'une gousse d'ail et
de formules exorcistes. Si la foi soulève des montagnes, elle ne fut
d'aucun secours pour déplacer l'embarcation. Il jura et certains
même prétendirent que le bon père blasphéma son patron des cieux
avant de quitter les lieux, la tête basse et autre chose encore que
je m'interdis de nommer ici !
Quand
on a un souci de taille, une énigme insoluble, dans le pays de Loire
on fait appel à une pucelle. L'habitude restera longtemps encore
dans les environs. La demoiselle armée de sa fleur et de toute sa
naïveté, s'escrima de toutes ses forces pour faire sauter le
bouchon. La barque resta sourde à ses coups de reins, elle restait
immobile, ne bougeait pas d'un pouce en ce lit qu'elle ne voulait pas
quitter …
Un
petit gamin moqué de tous dans la région, un berlaudiot , un gentil
, une pauvret, un bredin comme on dit en bord de Loire, vient un
jour, sans rien dire à personne. Celui que tous nommaient ici du
terrible surnom de Gland, ne voyait le mal nul part et n'avait peur
de rien. Il monta sur ce maudit bateau que plus personne ne voulait
embarquer. Sans aucun effort, ce simplet se fit écouter des flots et
s'ensauva de ce piège d'eau et de courant.
La
scute fut alors très utile aux gens du pays. Elle accomplit bien des
miracles quand les eaux s'encoléraient., que la Loire montrait les
dents et mordait les berges, dévorait les levées. Elle allait au
secours des fermes isolées, elle fit tant et si bien que les païens
oublièrent les sortilèges et se tournèrent définitivement vers le
moine revenu en grâce par le truchement de ce cadeau si précieux.
De
cette histoire, il se fit une habitude pour les gars de la marine.
Les matelots portèrent un temps un petit gland au sommet de leur
calot. Petit à petit, on en oublia l'origine, le gland disparu pour
devenir pompon auquel des vierges et des bien moins chastes
continuent d'accorder des vertus magiques.
Quant
à nos mariniers de Loire, ne croyant en rien toutes ses menteries,
ils se sont toujours satisfaits de leur biau chapeau de feutre avec
lequel, il faut bien le reconnaître, ils ont l'air moins nigaud que
leurs autres collègues !
Glandement
leur.
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