Légende
des temps anciens
Il
y a si longtemps que nul ne se souvient de ce temps-là, la nature
était le théâtre de bien des mystères. Merlin régnait en maître
sur la Terre et s’amusait fort des choses curieuses qu’il
provoquait au gré de sa fantaisie. C’est ainsi que se créèrent
les légendes qui ne cessent de chanter notre belle Loire et la belle
Bretagne.
Merlin
eut ainsi la curieuse idée de bouleverser l’ordre du monde et fit
en sorte que dans le même temps un saumon remonte la Loire tandis
qu’une anguille se lançait dans sa grande migration. Voilà bien
deux animaux peu à même de se croiser habituellement tant leurs
mœurs et leurs habitats diffèrent. Mais ce que notre gentil mage
veut, finit toujours par se plier à sa fantaisie.
Saumon
pénétra dans l’estuaire pour remonter la rivière jusqu’à sa
source, c’est du moins ce qu’il pensait tandis qu’Anguille se
mit en mouvement de sa lointaine demeure sur les contreforts du
Massif Central- de descendre au fil de l’eau pour gagner l’Océan
selon le rite ancestral qui met en branle ces deux espèces
migratrices.
Qu’ils
furent les seuls de leurs espèces respectives à se lancer dans la
grande migration aurait dû leur mettre la puce à l’ouïe mais ni
l’une ni l’autre n’auraient imaginé être ainsi le jouet de la
fantaisie du grand Merlin. Chacun allant son chemin, celui à
contre-courant pour Saumon qui avait assez de vigueur pour parvenir à
ses fins ; se contentant de suivre les flots pour Anguille qui
devait garder des forces pour un voyage plus long encore dans
l’Océan.
C’est
à mi-chemin de leurs périples respectifs que se fit leur rencontre.
Il se murmure que c’est du côté de Sancerre, là où se trouve
aujourd’hui la belle plage de Saint Thibault qu’ils se croisèrent
entre chien et loup. C’était juste avant la tombée de la nuit, un
soir de pleine Lune rousse. Anguille et Saumon furent surpris de
rencontrer un être si différent de ceux qu’ils avaient l’habitude
de côtoyer.
Entre-eux
se fut dans l’instant le coup de foudre. Merlin n’était pas
innocent dans l’affaire, il ne doit rien à Cupidon en la matière
d’autant qu’il a sur lui le privilège de l’antériorité. Il
dispose également d’un autre atout dans sa manche et plutôt que
de faire flèche de tout bois, se contente
d’user de la métamorphose.
Saumon
devint un beau jeune homme, Anguille une charmante demoiselle et l’un
comme l’autre sortirent des flots pour se retrouver sur la plage.
La Lune éclairait un décor si romantique avec la colline de
Sancerre au loin, la majesté de la rivière en ce lieu et le mystère
du Berry à tout instant. Un grand Sabbat de birettes, lutins et
autres elfes se tenait sur l’autre rive tandis que la plage restait
mystérieusement déserte.
L’homme
et la femme s’assirent sur le sable, écoutant les échos lointains
de la sarabande des sorciers. Ils se prirent tendrement la main. Tous
deux découvrirent leur nouvelle apparence en explorant le corps de
l’autre avec ces étranges nageoires qui leur avaient poussé et
qui permettaient de toucher, caresser, enlacer puis avec la bouche
qui explora chaque parcelle du corps de l’autre. L’émotion
devint palpable, de nouvelles transformations se firent qui
conduisirent nos deux personnages à s’unir sur le sable.
Leurs
ébats furent d’une douceur magnifique. Sur l’autre rive, les
êtres de la nuit cessèrent leur vacarme pour écouter à leur tour
le chant envoûtant de l’amour, des soupirs mêlés de l’homme et
de la femme. Quelques lutins facétieux s’approchèrent pour
admirer au plus près cette danse endiablée, cette fusion de deux
êtres en pâmoison.
Saumon
et Anguille finirent par s’assoupir, épuisés par leur joute
amoureuse. Ils se réveillèrent juste avant la levée du jour. Avant
que de retrouver leurs formes initiales. Ils se réfugièrent tous
deux dans la Vauvoise, ce charmant
affluent de la Loire pour se protéger du courant et renouveler le
plus longtemps possible cette nuit qui les avait enchantés.
C’est
ainsi que des mois durant, quand la nuit se faisait sur la région,
ils redevenaient ces deux amants qui passaient la nuit en plaisirs
divins. Saumon se surprenait pourtant à constater un changement dans
le corps d’Anguille. Petit à petit, la partie de la belle qui se
trouvait au dessus de la délicate caverne qu’il aimait à visiter
de son curieux appendice qui grossissait de lui-même à la vue de la
belle, grossissait lui aussi, s’accordant des rondeurs délicates.
Au
matin, quand ils redevenaient poissons, rien pourtant de cette
transformation ne paraissait. Anguille restait aussi filiforme
qu’autrefois quand elle allait se reposer dans la Vauvoise.
Saumon quant à lui sentait monter une responsabilité nouvelle, il
veillait son sommeil, écartant les rares importuns qui auraient pu
la déranger.
C’est
au terme de neuf mois d’ébats tendres et voluptueux qu’une nuit
de pleine Lune, une fois encore se produisit la grande
transformation. Non pas celle qui faisait d’eux un homme et une
femme fous d’amour, celle-là ils en avaient pris l’habitude et
l’attendait avec impatience et délectation.
Non, cette nuit-là Anguille pour la première fois se refusa
à Saumon, sans colère mais au contraire avec une telle délicatesse
que l’homme comprit que quelque chose de plus grand encore allait
advenir.
Anguille
s’allongea, elle se vida d’un liquide qui ressemblait fort à
celui dans lequel ils vivaient tous deux dans la journée. Elle
sentit son ventre se contracter de plus en plus souvent et son
instinct lui commanda d’écarter les jambes et de s’accroupir sur
le sable. Saumon se fit prévenant, allant chercher dans la Loire de
l’eau pour humidifier le front de sa chère Anguille.
Puis
survint le miracle qu’avait souhaité Merlin. Anguille donna
naissance à une femme à queue de poisson. Deux bras, un corps de
sirène, étonnant mélange entre Saumon et la femme qu’elle était
dans l’instant. Saumon comprit lui aussi instinctivement ce qu’il
devait faire, délivra sa femme de sa belle maîtresse en rompant le
cordon.
Le
matin arriva, Saumon et Anguille savaient que leur union était
arrivée à son terme. Ils reprirent leur chemin respectif laissant
là leur enfant qu’ils confièrent à la garde du petit peuple de
la nuit. La Vouivre, car c’est d’elle qu’il s’agit grandit
sous la bienveillante garde des lutins et des elfes. Puis quand elle
fut assez grande pour nager de ses propres ailes, elle disparut à
jamais dans les profondeurs de la Loire et des eaux souterraines.
Ainsi
naquit la plus belle légende des eaux de nos fontaines, de nos
rivières et des eaux profondes qui sillonnent tout le territoire
ligérien. Saumon et Anguille avaient cessé de vivre au terme de
leur long voyage, allant chacun suivant son destin. Ils avaient été
les objets d’une merveilleuse fantaisie surgie de l’esprit
prolifique de Merlin. Ils pouvaient être fiers de leur enfant, elle
ne cesse de peupler les rêves des amoureux de la Loire et certains
amants aiment à s’unir sur une grève ou bien une plage dans
l’espoir de renouveler cette magnifique histoire.
La
Vouivre cependant restera à jamais unique. Il leur faut se contenter
de jouir l’un de l’autre en écoutant vivre la rivière. C’est
auprès d’elle que les sens sont les plus aiguisés, que le chant
d’amour est le plus intense. Si par hasard, vous veniez à croiser
un couple en amour, prenez bien garde de ne pas déranger leur union,
la Vouivre veille sur eux et verrait d’un très mauvais œil que
vous veniez interrompre leur bonheur.
Amoureusement
leur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire