mardi 3 septembre 2019

La naissance de la Vouivre



Légende des temps anciens




Il y a si longtemps que nul ne se souvient de ce temps-là, la nature était le théâtre de bien des mystères. Merlin régnait en maître sur la Terre et s’amusait fort des choses curieuses qu’il provoquait au gré de sa fantaisie. C’est ainsi que se créèrent les légendes qui ne cessent de chanter notre belle Loire et la belle Bretagne.

Merlin eut ainsi la curieuse idée de bouleverser l’ordre du monde et fit en sorte que dans le même temps un saumon remonte la Loire tandis qu’une anguille se lançait dans sa grande migration. Voilà bien deux animaux peu à même de se croiser habituellement tant leurs mœurs et leurs habitats diffèrent. Mais ce que notre gentil mage veut, finit toujours par se plier à sa fantaisie.

Saumon pénétra dans l’estuaire pour remonter la rivière jusqu’à sa source, c’est du moins ce qu’il pensait tandis qu’Anguille se mit en mouvement de sa lointaine demeure sur les contreforts du Massif Central- de descendre au fil de l’eau pour gagner l’Océan selon le rite ancestral qui met en branle ces deux espèces migratrices.

Qu’ils furent les seuls de leurs espèces respectives à se lancer dans la grande migration aurait dû leur mettre la puce à l’ouïe mais ni l’une ni l’autre n’auraient imaginé être ainsi le jouet de la fantaisie du grand Merlin. Chacun allant son chemin, celui à contre-courant pour Saumon qui avait assez de vigueur pour parvenir à ses fins ; se contentant de suivre les flots pour Anguille qui devait garder des forces pour un voyage plus long encore dans l’Océan.

C’est à mi-chemin de leurs périples respectifs que se fit leur rencontre. Il se murmure que c’est du côté de Sancerre, là où se trouve aujourd’hui la belle plage de Saint Thibault qu’ils se croisèrent entre chien et loup. C’était juste avant la tombée de la nuit, un soir de pleine Lune rousse. Anguille et Saumon furent surpris de rencontrer un être si différent de ceux qu’ils avaient l’habitude de côtoyer.

Entre-eux se fut dans l’instant le coup de foudre. Merlin n’était pas innocent dans l’affaire, il ne doit rien à Cupidon en la matière d’autant qu’il a sur lui le privilège de l’antériorité. Il dispose également d’un autre atout dans sa manche et plutôt que de faire flèche de tout bois, se contente d’user de la métamorphose.

Saumon devint un beau jeune homme, Anguille une charmante demoiselle et l’un comme l’autre sortirent des flots pour se retrouver sur la plage. La Lune éclairait un décor si romantique avec la colline de Sancerre au loin, la majesté de la rivière en ce lieu et le mystère du Berry à tout instant. Un grand Sabbat de birettes, lutins et autres elfes se tenait sur l’autre rive tandis que la plage restait mystérieusement déserte.

L’homme et la femme s’assirent sur le sable, écoutant les échos lointains de la sarabande des sorciers. Ils se prirent tendrement la main. Tous deux découvrirent leur nouvelle apparence en explorant le corps de l’autre avec ces étranges nageoires qui leur avaient poussé et qui permettaient de toucher, caresser, enlacer puis avec la bouche qui explora chaque parcelle du corps de l’autre. L’émotion devint palpable, de nouvelles transformations se firent qui conduisirent nos deux personnages à s’unir sur le sable.

Leurs ébats furent d’une douceur magnifique. Sur l’autre rive, les êtres de la nuit cessèrent leur vacarme pour écouter à leur tour le chant envoûtant de l’amour, des soupirs mêlés de l’homme et de la femme. Quelques lutins facétieux s’approchèrent pour admirer au plus près cette danse endiablée, cette fusion de deux êtres en pâmoison.

Saumon et Anguille finirent par s’assoupir, épuisés par leur joute amoureuse. Ils se réveillèrent juste avant la levée du jour. Avant que de retrouver leurs formes initiales. Ils se réfugièrent tous deux dans la Vauvoise, ce charmant affluent de la Loire pour se protéger du courant et renouveler le plus longtemps possible cette nuit qui les avait enchantés.

C’est ainsi que des mois durant, quand la nuit se faisait sur la région, ils redevenaient ces deux amants qui passaient la nuit en plaisirs divins. Saumon se surprenait pourtant à constater un changement dans le corps d’Anguille. Petit à petit, la partie de la belle qui se trouvait au dessus de la délicate caverne qu’il aimait à visiter de son curieux appendice qui grossissait de lui-même à la vue de la belle, grossissait lui aussi, s’accordant des rondeurs délicates.

Au matin, quand ils redevenaient poissons, rien pourtant de cette transformation ne paraissait. Anguille restait aussi filiforme qu’autrefois quand elle allait se reposer dans la Vauvoise. Saumon quant à lui sentait monter une responsabilité nouvelle, il veillait son sommeil, écartant les rares importuns qui auraient pu la déranger.

C’est au terme de neuf mois d’ébats tendres et voluptueux qu’une nuit de pleine Lune, une fois encore se produisit la grande transformation. Non pas celle qui faisait d’eux un homme et une femme fous d’amour, celle-là ils en avaient pris l’habitude et l’attendait avec impatience et délectation. Non, cette nuit-là Anguille pour la première fois se refusa à Saumon, sans colère mais au contraire avec une telle délicatesse que l’homme comprit que quelque chose de plus grand encore allait advenir.

Anguille s’allongea, elle se vida d’un liquide qui ressemblait fort à celui dans lequel ils vivaient tous deux dans la journée. Elle sentit son ventre se contracter de plus en plus souvent et son instinct lui commanda d’écarter les jambes et de s’accroupir sur le sable. Saumon se fit prévenant, allant chercher dans la Loire de l’eau pour humidifier le front de sa chère Anguille.

Puis survint le miracle qu’avait souhaité Merlin. Anguille donna naissance à une femme à queue de poisson. Deux bras, un corps de sirène, étonnant mélange entre Saumon et la femme qu’elle était dans l’instant. Saumon comprit lui aussi instinctivement ce qu’il devait faire, délivra sa femme de sa belle maîtresse en rompant le cordon.

Le matin arriva, Saumon et Anguille savaient que leur union était arrivée à son terme. Ils reprirent leur chemin respectif laissant là leur enfant qu’ils confièrent à la garde du petit peuple de la nuit. La Vouivre, car c’est d’elle qu’il s’agit grandit sous la bienveillante garde des lutins et des elfes. Puis quand elle fut assez grande pour nager de ses propres ailes, elle disparut à jamais dans les profondeurs de la Loire et des eaux souterraines.

Ainsi naquit la plus belle légende des eaux de nos fontaines, de nos rivières et des eaux profondes qui sillonnent tout le territoire ligérien. Saumon et Anguille avaient cessé de vivre au terme de leur long voyage, allant chacun suivant son destin. Ils avaient été les objets d’une merveilleuse fantaisie surgie de l’esprit prolifique de Merlin. Ils pouvaient être fiers de leur enfant, elle ne cesse de peupler les rêves des amoureux de la Loire et certains amants aiment à s’unir sur une grève ou bien une plage dans l’espoir de renouveler cette magnifique histoire.

La Vouivre cependant restera à jamais unique. Il leur faut se contenter de jouir l’un de l’autre en écoutant vivre la rivière. C’est auprès d’elle que les sens sont les plus aiguisés, que le chant d’amour est le plus intense. Si par hasard, vous veniez à croiser un couple en amour, prenez bien garde de ne pas déranger leur union, la Vouivre veille sur eux et verrait d’un très mauvais œil que vous veniez interrompre leur bonheur.

Amoureusement leur.


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