Le
mot de la fin.
Voilà,
le verdict est tombé : il convient de tuer le temps. La
décision s’impose à nous ; le temps est passé de mode :
il a fait son temps. Il n’y a plus à revenir sur la chose :
« à la vie, à la mort ! » aurait pu hurler le
bourreau, chargé d'abattre son arme d’abattre son arme sur celui
qui avait tant aimé marquer nos existences. Le temps révolu, il n’y
avait plus aucun espoir d’envisager l’avenir, de considérer le
présent et de se souvenir du passé. L'exécution à venir allait
saper les bases de notre société.
Le
temps, pour sa défense, avait présenté de bien pauvres arguments.
Son bilan était si médiocre que les jurés ne prirent pas pour
argent comptant ces arguties passées de mode. Le temps avait bégayé,
avait répété sans cesse les mêmes propos qui avaient fini par
lasser l’assistance. Il revenait toujours au même point, semblant
ne pas parvenir à développer sa pensée.
L’accusation
a été impitoyable. « Le temps s’est fourvoyé, il a
pris ses désirs pour des réalités. Le temps tourne en boucle, son
cycle quotidien manque de ressort, il n’a pas réagi quand les
hommes ont voulu remonter son cours. Le temps s’est étalé, sans
pudeur, sans retenue. Un grain de sable étant venu s'immiscer dans
son immuable répétition ».
Des
experts vinrent témoigner de sa vacuité. « Le temps
dessert les hommes, les force à courir après lui, leur impose des
cadences infernales. Le temps est impitoyable pour ceux qui en
manquent, trop généreux pour ceux qui ne le mesurent pas. Pire que
tout, le temps se monnaie, fixe un barème pour son usage. Il se vend
au plus offrant et se donne à notre dernière heure ! »
Des
témoins de moralité osèrent affirmer que tout est relatif, que le
temps dépend de notre perception, qu’il ne sert à rien de
l’accuser de tous nos maux. Le temps serait ainsi victime de nos
faiblesses. Quand nous prenons plaisir, nous l'abolissons et dans
l’ennui nous l’étirons sans fin.
« C’est
justement le problème avec le temps : il veut toujours avoir le
mot de la fin , rétorqua l’un de ses plus virulents pourfendeurs.
Le temps est fondamentalement mauvais, surtout après ce printemps
pourri et cet été qui s’annonce maussade. Le temps joue sur nos
nerfs et affecte notre moral ». La charge était terrible mais
le pauvre homme s’était trompé de temps ! Il était fait …
« Le
temps n’a jamais fait la pluie et le beau temps lui-même, déclama
l’avocat en une tirade dont il avait le secret. Le temps ne se
mesure pas, il s’égraine, il file entre les doigts. Ne pensez pas
le tuer avant de l’avoir attrapé ; ce serait encore une fois
se jouer d’une illusion éternelle. Le temps est intemporel et
c’est bien ce qui vous met en rage ».
Malgré
le talent de l’orateur le verdict tomba sans appel. Le temps était
révolu ; il fallait le tuer sans autre forme de procès. Le
temps ne pouvait faire appel ; sa dernière heure avait sonné
et la sentence devait s’appliquer dans l’instant. Mais comment
déterminer cet instant en l’absence de collaboration de la
victime ? Le temps n’avait pas l’intention de se laisser
tuer sans abattre sa dernière carte.
Et
voici que le temps abolit l’espace en même temps que lui-même.
Le tribunal disparut dans les limbes ; la fin des temps venait
de s’opérer. Le temps avait réchappé à la folie des hommes qui
en voulant tout plier à leurs désirs venaient de se perdre à tout
jamais. Le temps sortait triomphant, du moins le pensait-il. Mais
bien vite, il déchanta ! Sans les hommes, qui pouvait bien encore
accorder la plus petite importance à son existence ?
Le
temps était de la revue. Il s’était tiré une balle dans le pied.
L’anéantissement de l’humanité fut son coup de grâce. Le temps
avait commis sa plus grande bourde et le glas qui sonnait au loin
annonçait la nuit des temps. Finalement, le temps se suicida dans un
ultime geste de désespoir. Dieu ne vit pas d’un très bon œil ce
coup de poignard dans le dos. Sa créature la plus aboutie venait de
lui faire faux bond.Le jour se leva sur un vide intemporel,
L’enfer
pouvait ouvrir grandes ses portes. Il y avait foule à prétendre se
réchauffer à ses flammes pour l'éternité. Hélas, là aussi,
tout n’était plus que poussière : le temps disparu, plus
rien de ce qui avait été ne pouvait être. Le billet pouvait tirer
à sa fin, le temps était venu de placer un point final à cette
histoire.
Temporellement
vôtre.
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