Il
suffit de réfléchir
Il
était une fois en bord de Loire, Bélénos, un jeune homme d’une
beauté si extraordinaire qu’il passait son temps à vouloir
s’admirer sur/dans les reflets de la rivière. Mais si la chose est
aisée sur un étang ou une eau stagnante, elle n’est jamais facile
quand l’eau court et s’agite au gré des variations infinies de
son cours. Son image était toujours déformée, imparfaite, marquée
de rides et des remous.
Bélénos
ne parvenait pas à croire ceux et celles surtout qui vantaient sans
cesse la finesse de ses traits, la délicatesse de son visage, la
grâce infinie qui se dégageait de toute sa personne. Il voulait
s’en rendre compte par lui-même et jurait ses grands Dieux que
s’il en avait le pouvoir, il figerait à jamais les eaux de la
Loire afin de pouvoir s’y mirer tranquillement.
Ce
que Dieu veut, il l'obtient et dans l’instant suivant, les eaux
furent prises par un froid terrible et se transformèrent en glace.
Hélas, la Loire n’est ni une mare ni même un lac, l'embâcle
s’accompagne de mouvements désordonnées, qui accumulent les blocs
de glace, constituant des monticules qui s’enchevêtrent dans le
plus grand chaos. Nulle image n’y peut se réfléchir. Bélénos en
était pour ses frais.
Il
se désolait quand un rossignol voletant au dessus de lui, lui siffla
un air joyeux. C’était encore une époque où les hommes
comprenaient la langue des oiseaux. Le joyeux animal lui chantait :
« Puisque tu es si beau, charmant Bélénos, tu n’as qu’à
admirer les yeux d’un animal capable de refléter parfaitement ta
magnificence ». L’idée était excellente, il lui fallait
trouver créature à son image, la plus parfaite possible.
C’est
sans hésiter un seul instant qu’il se précipita dans les bois. Il
avait pensé que personne n’égalait la grâce de la biche, dont
les yeux étaient des diamants étincelants. C’est en la regardant
de près qu’il pourrait s’admirer tout à loisir. Hélas, séduire
une biche quand on ne sait pas bramer, n’est pas à la portée du
premier venu, fut-il un Dieu Celte, précurseur d'Apollon. Sa quête
s’avéra inutile, l’animal était aussi farouche qu’élégant.
Jamais il n’eut le loisir de regarder une biche dans le blanc de
son œil.
Il
retint la leçon. Il convenait d’aller quérir un animal
domestique. L’homme avait entendu parler des vaches de l’Aubrac.
La route était longue pour aller jusque là mais l’enjeu en valait
la chandelle, il partit cap au sud pour atteindre sa destination. Sur
sa longue route, il entendit bien des propos flatteurs, les dames se
pâmaient à sa vue. Pourtant, loin de se convaincre qu’il était
le plus beau spécimen de la création, Bélénos, voulait s’en
rendre compte par lui-même.
Il
fut déçu. La vache de l’Aubrac a certes des yeux splendides, mais
son regard reste bovin, on ne peut changer sa destinée. Bélénos en
éprouva un profond dépit. Tant de chemin pour rien ! Il convenait
d’ailleurs de ne pas s’éterniser, un taureau, portant déjà des
cornes, trépignait dangereusement du pied. La bête semblait ne pas
vouloir partager sa belle qu’il couvait d’un regard jaloux. Notre
Narcisse de pacotille se sauva précipitamment.
Quand
il retrouva son souffle, il était revenu à son point de départ. La
Loire avait arrêté sa fuite. La peur avait été si grande de
perdre la face devant un mâle en colère que Bélénos avait couru
ainsi sept jours et sept nuits sans interruption. Il était en nage,
un bon bain lui remettrait les idées en place. Il se dévêtit
totalement, provoquant alentour des sifflements d’admiration, des
exclamations et mêmes quelques évanouissements. Il aurait pu se
satisfaire de ces marques sincères d’admiration, mais c’était
plus fort que lui, il voulait apprécier de visu l’extraordinaire
beauté dont la providence l’avait gratifié.
Totalement
nu, comme au premier jour de la création, il plongea dans la
rivière. C’est au fond d’une passe profonde qu’il trouva ce
qu’il cherchait depuis si longtemps. Une carpe miroir dormait
paisiblement là. Bélénos put alors se mirer tout à loisir, se
regarder sous toutes les coutures si cette curieuse expression peut
encore avoir un sens dans la plus parfaite nudité qui était le
sienne.
Il
s’admira tant et si bien qu’il eut enfin la révélation tout
autant que la confirmation qu’il était bien la plus parfaite
créature de l’univers. Il n’en revenait pas, voulant prolonger
indéfiniment ce spectacle si plaisant à son orgueil. Il tournait
tout autour de la carpe miroir, jouissant pleinement de son image.
Cela dura longtemps, très longtemps, trop longtemps. Bélénos en
oublia de respirer et finit par se noyer, enivré qu’il était de
sa propre image.
Quant
à la carpe, elle se réveilla et assista aux derniers instants de
Bélénos. Ce qu’elle vit alors, personne n’en saura jamais rien.
Elle resta définitivement muette à ce propos. Vous pouvez bien
essayer de la faire parler, elle a le cuir dur et ne symbolise pas le
courage et la persévérance pour rien.
Admirablement
sien.
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