samedi 14 septembre 2019

Les trois filles du marchand.



Au nom de la rose …



Il était une fois, il y a quelque temps de cela, un marchand heureux, entouré d'une femme aimante et de leurs trois filles : Aima, Léa et Clara. Ses affaires allaient bon train au fil de l'eau, il faut dire qu'il vivait en Orléans, ville fort prospère en cette époque. Il venait d'emporter un très beau marché ; il devait porter par la Loire une grosse cargaison de céréales de Beauce.

La charge demande beaucoup de travail, le risque est grand de l'échauffement et de la perte de la marchandise mais si tout se passe bien, le voyage enrichit son homme. Dans le cas contraire, la faillite est assurée. L'homme avait confiance en sa bonne étoile et pour plus de sûreté, il avait décidé d'être du voyage pour veiller à ce que ces marauds de mariniers fassent convenablement leur travail.

Avant de partir, certain de sa bonne fortune, il demanda à ses filles ce qu'elles souhaitaient qu'il leur rapporte de Nantes, belle et grande ville qui était en commerce avec les Amériques et l'Afrique , en mesure de satisfaire aux exigences des filles les plus difficiles. Aima, l'aînée qui était fort coquette , réclama un boubou venu d'Afrique. Léa, plus classique demanda une chemise en coton, cette nouvelle étoffe qui venait d'Amérique . Quant à Clara, la plus jeune, elle prétendit ne rien vouloir d'autre que le retour de son père. Qu'il lui apporte une fleur, suffirait à son bonheur ...

Le voyage se passa sans encombre et la vente du grain fut des plus profitable. Le marchand avait eu le nez creux d'arriver en pays nantais alors qu'il y avait pénurie de blé. Les prix, sont dans ce cas-là à la hauteur du besoin et l'homme d'affaire remplit sa bourse bien plus sûrement que les voituriers d'eau, ses employés. Satisfait des ses affaires, il négocia un chargement d'ardoises pour le retour de ses chalands et laissa son équipage se charger de la remonte, plus lente et plus pénible.

C'est alors qu'il se soucia d'acheter ce que ses deux aînées lui avaient mandé. Quant à la fleur , il en en trouverait bien une sur le chemin. Il acheta un cheval pour rentrer au plus vite car le retour par la Loire est souvent bien plus long , périlleux, incertain, d'une durée imprévisible, à cause des aléas de la navigation et des humeurs du vent . Sa présence sur le bateau n'était plus nécessaire d'autant qu'un chargement d'ardoise ne nécessite guère de surveillance.

Sur la route du retour, ayant pris un chemin de traverse, à l'écart de la piste habituelle, il tomba sur une gentilhommière qui semblait inoccupée. La végétation avait envahi les allées, des animaux couraient sur les pelouses. Le marchand était curieux et, harassé par une longue chevauchée, il décida de pousser plus avant et se permit d'entrer dans la demeure …

Dans le salon, à sa grande surprise, une table était dressée. Elle proposait des victuailles alléchantes auxquelles le gourmands succomba d'autant plus aisément que personne ne donnait signe de vie. Après s'être gavé, il explora la belle maison et s'enhardit tant et si bien qu'il se coucha dans une chambre qui lui tendait les bras. Il passa une excellente nuit et ne fut pas autrement surpris de trouver, au petit matin, dans la salle à manger un petit déjeuner qui paraissait avoir été servi en son honneur.

La demeure restait étrangement vide malgré ce prodige d'une table qui se dressait et se desservait mystérieusement. Mais un riche marchand ne s'encombre pas de tels détails, habitué qu'il est, d'être servi pour son bon plaisir. Il déjeuna de bon cœur et décida de partir, Orléans n'étant pas si loin, il y serait avant la nuit.

En quittant les jardins, il se rappela la requête de sa plus jeune fille. Il coupait donc une magnifique rose quand soudain, des taillis, surgit un renard qui se mit à crier : « Voleur ! Tu as été nourri comme il convient à un Prince et pour me remercier de mon hospitalité, tu t'en vas en me volant une fleur ! » Et tandis que la renard tempêtait en glapissant, une nuée de corneilles s'en vint assaillir le pauvre marchand.

Quand il s'agit d'échapper à une menace, même les plus fiers peuvent se faire humbles et repentants. Le marchand, tout en se protégeant des oiseaux, se pencha vers le renard et lui demanda pardon pour l'offense faite. «  Je n'ai pas voulu me montrer grossier. C'est ma jeune fille qui m'avait mandé une fleur, je ne pensais pas agir mal en prenant cette rose, d'autant que jusqu'alors, vous vous étiez montré d'une rare générosité ! »

D'un mot, le renard mit fin à l'attaque des oiseaux noirs et déclara au marchand. « Soit, je te donne cette fleur mais en échange, tu m'offriras l'une de tes filles. C'est le prix à payer ou bien j'appelle à nouveau les corneilles qui te tailleront en pièce. » Le marchand, pris au piège, accepta ce marché étrange et s'en retourna fort penaud et l'esprit tourmenté en Orléans.

À son retour, ses filles lui firent la fête. Aima adora son boubou, Léa sa chemise tandis que Clara était ravie de trouver son cher père. Mais le bonhomme avait une mine que les demoiselles ne lui connaissaient pas. Il finit par avouer le marché conclu avec l'étrange renard croisé en chemin.

Aima s'emporta. « Ce n'est pas de ma faute, j'ai réclamé un boubou, je n'ai rien à voir avec cette affreuse fleur ! » Léa fit de même : «  Je t'ai demandé une chemise, il n'y a aucune raison que je paie pour cette maudite rose. » Clara, toujours discrète et calme ne dit rien mais le soir même, à son père elle fit part de son intention de respecter sa curieuse promesse.


C'est ainsi que Clara s'en fut ! Ses deux sœurs,étaient ravies de la voir partir mais son père , inconsolable de perdre ainsi celle qu'il préférait, était en proie au plus grand des désespoirs . Elle trouva aisément la demeure mystérieuse où elle fut reçue comme une princesse par le renard et tous les animaux du domaine. Traitée comme une reine, elle avait tout ce qu'elle souhaitait. Pourtant, la vie était bien triste avec pour seuls compagnons, des animaux.

Le renard était certes fort prévenant avec elle, mais comment se faire à cette étrange compagnie quand on est une jeune fille , si choyée qu'on puisse l'être ?. Chaque soir, elle devait accepter la présence dans sa couche de l'animal qui se contentait de se blottir à ses pieds. Elle semblait apparemment s'être résignée assez vite à cette vie voluptueuse et fastueuse.

Le temps passant , elle fut bientôt prise d'une nostalgie diffuse : sa famille lui manquait. Elle se résolut à demander au renard l'autorisation de s'en aller à Orléans passer quelques jours parmi les siens. « Je reviendrai, mon cher renard avant les trois jours. Je vous en donne ma parole ! »

Il en fut fait ainsi mais avant son départ , le renard lui remit une rose. « Si la rose se flétrit c'est que je suis malade, si elle perd ses pétales, c'est que je serai mort et qu'il ne sera plus nécessaire pour vous de revenir ici. Gardez-là bien auprès de vous, ma tendre Clara et prenez ainsi de mes nouvelles. Je n'aime pas vous savoir loin de moi. »

Clara s'en retourna chez elle. Elle fut reçue froidement pas ses sœurs qui s'étaient bien habituées à son départ. Heureusement ses parents lui montrèrent, tout au contraire, une affection débordante. Manifestement, elle leur avait beaucoup manqué. Elle passa auprès deux jours merveilleux, se moquant des airs pincés de ses aînées si jalouses !

Elle regardait souvent sa rose qui ne semblait pas changer d'aspect. C'est seulement au matin du troisième jour que la fleur se ternit, que sa teinte se fit moins vive. Clara , alarmée , partit sur le champ rejoindre sa prison dorée. Elle s'était prise d'affection pour ce renard mystérieux. Elle voulait le savoir en bonne santé !

Quand elle arriva dans la demeure, le renard était fort mal en point, le poil terne et le museau brûlant. «  Je me suis langui de vous ma chère princesse. Je n'imaginais pas à quel point vous m'étiez devenue indispensable. Je me meurs loin de vous ... » lui murmura le pauvre animal d'une voix presque inaudible.

Clara en fut émue aux larmes, se penchant sur son geôlier si aimable, elle lui déposa un tendre baiser sur la truffe. C'est alors, comme dans les contes de fées, qu'il se produisit un miracle. L'animal se transforma immédiatement en un beau jeune homme, un Prince pris au piège d'un maléfice. Une sorcière l'avait ainsi condamné à vivre dans la peau d'un renard jusqu'à ce qu'une fille l'embrasse sur le museau.

Depuis, Clara vit effectivement comme une princesse auprès de son Prince charmant. Elle a fait venir ses parents auprès d'elle. Les corneilles se sont transformées en serviteurs discrets et efficaces. Quant à ses deux sœurs, elles ont préféré un mariage incertain au déplaisir de profiter de la fortune de cette sœur trop aimable.

Le marchand, fort de cette aubaine miraculeuse décida d'abandonner le commerce fluvial. Il céda son affaire et ses bateaux à ses hommes d'équipage. C'est ainsi que naquit la première coopérative batelière. De cette expérience, il ne reste pas grand chose dans les livres d'histoire. Le miracle ne toucha que Clara et ses parents et bien peu de mariniers en profitèrent ,

De cette histoire, il faut retenir que la modestie des envies est peut-être la meilleure manière de provoquer le destin. Mais je ne suis pas certain que tous les marchands aient ainsi le respect de la parole donnée. Si le bonhomme n'avait rien dit à sa fille, il ne se serait sans doute jamais rien passé. Quant à ceux qui ne croient pas aux sortilèges et aux fées, qu'ils restent dans ce monde matérialiste et triste. Je préfère m'évader dans le pays des fables ; il y fait si bon rêver ensemble ! 
 
Rêveusement leur.

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