Sa
fille bien-aimée.
Il
était un temps où les humains croyaient encore aux forces
surnaturelles. Ils n'avaient pas besoin de lever les yeux au ciel
pour espérer un miracle ou le réconfort. Ils trouvaient dans la
nature des pouvoirs supérieurs qu'il suffisait de savoir découvrir.
Hélas, certains en abusaient de manière déraisonnable quand
d'autres en usaient avec modération. Finalement, rien n'a vraiment
changé.
Conan
était du nombre des gens de bien. Pèlerin des bords de l'eau, il
arpentait rivières et ruisseaux, marchant toujours le cœur en joie,
du pas certain de ceux qui n'ont d'autre but que d'aller droit devant
eux à la rencontre d'un destin qui ne peut que leur sourire. C'est
du moins ainsi qu'il envisageait le lendemain.
Conan
était connu des cœurs purs comme le marcheur au bâton magique à
propos duquel circulaient bien des légendes . Cet objet mystérieux
ne le quittait jamais. Bâton à paroles lors des veillées quand il
obtenait, partout où il la demandait, l'hospitalité, contre de
belles histoires qu'il dévidait avec un bonheur sans pareil. C'était
également un sceptre sacré, tant redouté, que rares étaient ceux
qui s'aventuraient à le lui disputer.
Laissons
notre marcheur suivre son chemin. Nous le retrouverons sans doute au
fil de notre histoire, comment pourrait-il en aller autrement ?
Nous le croiserons certainement en bord de Loire ou d'un affluent
allant à icelle, là où il se passe toujours quelque chose quand on
aime à croire les histoires et que le désir en est sincère. Pour
l'heure, ce sont d'autres personnages qui attirent notre attention.
Il
s'appelait Bithurix, il était d'Avaricum, la plus belle cité des
Celtes. Il cherchait à s'établir à l'embouchure, sur les rives de
ce magnifique Caris (le Cher) pour y dresser un moulin à eau. Il
était accompagné de sa fierté : sa fille, Diane, une belle
sauvageonne, au visage d'ange, aux yeux de braise. Il fallait choisir
un emplacement en vue d'y établir un bateau à double pont, armé
d'une roue entraînée par les flots pour animer un dispositif savant
afin d'écraser le précieux grain.
C'est
au cours de cette recherche d'un lieu sûr que Bithurix vit son rêve
s'effondrer, sa vie tourner au drame. Diane, toujours prompte à
courir dans les bois, fut attaquée par un solitaire : un vieux
sanglier qui la chargea sans raison. La jeune fille, violemment
percutée, en heurtant la tête sur un rocher, malgré l'absence de
blessure apparente, avait manifestement quitté la vie .
Bithurix
en larmes, fou de douleur et de désespoir, portait sa chère
fille dans les bras. Il marchait comme un dément, à la recherche de
je ne sais quel miracle quand il croisa, après trois jours d'errance
et de folie, le bon Conan et son bâton. Le sage comprit
immédiatement le désarroi du pauvre homme ; il lui posa la
main sur l'épaule et lui parla d'une voie douce.
« Mon
ami, j'ai le pouvoir de vous venir en aide. J'ai avec moi mon bâton
magique, cadeau que me fit Merlin en des temps anciens. Il suffit que
je pose sa pointe effilée sur le cœur d'un agresseur pour qu'il
soit foudroyé dans l'instant. Par contre, à celui qui est parti
dans le royaume des défunts, il peut redonner vie par l'imposition
de sa partie la plus épaisse sur le front. Il a aussi d'autres
vertus que je ne garde que pour moi ! »
Bithurix,
que sa douleur paternelle avait privé de raison, s'empara du bâton
et, d'un coup d'estoc aussi soudain que traître, tua le marcheur
vénérable avec son propre secret. Sans perdre une minute, il
appliqua l'autre extrémité sur le front de sa fille qui ne tarda
pas à rouvrir les yeux. Diane se réveillait d'une longue nuit ;
elle s'étira, se releva et tituba un peu. En reprenant ses esprits
elle interrogea son père pour savoir qui était ce vieillard gisant
à ses pieds.
Bithurix,
prit alors conscience de son infamie, confessa son forfait et
rapporta les propos du vieil homme qu'il avait honteusement trompé
malgré la bonté de celui-ci. Diane, folle de rage contre ce père
indigne , s'empara du bâton pour redonner la vie à son sauveur,
accomplissant ce même geste salvateur qui lui avait permis de
revenir du pays des gisants.
Conan
revint à lui. Il ne parut pas surpris de l'aventure. Il avoua à la
jeune fille que ce n'était pas la première fois qu'il lui advenait
pareille mésaventure. L'envie de posséder un talisman est souvent
trop forte pour que les hommes soient en mesure de se contenter de
bénéficier de ses bienfaits. Le désir de faire le mal est souvent
plus grand que celui de faire le bien. Mais toujours, les rescapés
le ramenaient à la vie, ayant appris, durant leur voyage, la vanité
de nos désirs terrestres.
Diane
écoutait le vénérable vieillard. Elle buvait ses paroles tandis
que Bithurix, le rouge au front, ne savait ni où se mettre ni que
dire pour justifier son indigne comportement. Il se força cependant
à balbutier quelques mots de contrition, embrassa une dernière fois
sa fille bien-aimée, et s'en fut sans demander son reste. Jamais on
ne le revit et il est fort probable qu'il se fit ermite pour expier
sa folie.
Conan
était au bout de sa vie, las de tant de méchanceté parmi les
hommes, il déclara vouloir confier ses secret à la belle Diane car
le bâton en possédait encore d'autres. Celui qui glisserait sa main
dans le cordon disposerait alors de toutes les richesses spirituelles
qu'il pourrait désirer. Quant à celui chargé d'un trop lourd
fardeau dans l'existence, il lui suffirait de porter le bâton sur
ses épaules pour soulager ses peines et ses difficultés.
Bien
sûr, reconnut Conan, tout cela ne valait que si le bénéficiaire
potentiel de ces bienfaits avait le cœur pur et ne cherchait pas les
richesses illusoires de ce monde. Sinon, le retour de bâton serait
foudroyant et, de lui-même, l'objet sacré viendrait pointer
l'hypocrite ou le menteur pour l'envoyer définitivement vers un
monde sans richesse.
« C'est
à ton tour, ma petite, de prendre le relais. Je suis trop las de
cette responsabilité. Je te devine assez forte pour ne pas te
laisser corrompre par les sourires enjôleurs, les grimaces
trompeuses et les courbettes fallacieuses. Tu sauras du premier
regard discerner la sincérité de la fourberie. Éloigne-toi des
rivières : les hommes n'y sont pas tous aussi convenables
qu'ils veulent bien le laisser croire … »
Conan
confia son bâton et s'en alla sans se retourner. Son pas se fit
alors plus lourd. Son dos se voûtait à vue d'œil. Diane comprit
qu'il fallait qu'elle s'éloigne par pudeur. Elle choisit la
profondeur des forêts de son cher Berry et ce n'est que dans le
secret des futaies qu'elle accorda les bienfaits de son bâton
magique. Elle vécut de la chasse et de la cueillette.
Les
rivières étaient devenues le refuge des marchands, des aventuriers
peu scrupuleux et de tous ceux qui cherchaient à vivre du commerce
et de la tromperie. C'est dans la profondeur des bois, dans le
contact avec la nature que se trouvaient encore, en ces temps
lointains, les rares humains droits .
Il
est possible qu'il en existe encore. Ils sont à l'écart des villes
et des concentrations humaines. C'est dans l'isolement de nos grands
espaces vides, qu'il est encore possible de trouver des gens allant
par les sentiers, un bâton à la main, en suivant leur propre
chemin. Il est peut-être parmi ceux-là, un héritier de la belle
Diane. La bâton magique continue d'aller sur les routes, à l'écart
des cupides et des insipides. Vous n'avez qu'à ouvrir vos oreilles
et votre cœur pour reconnaître le prolongateur de Conan et de Diane
la chasseresse.
Magiquement
leur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire