Inexplosible,
vous croyez ?
Il
était une fois une drôle de machine à vapeur qui aurait pu se
nommer Rosalie. Elle se voyait au loin, avec son panache de fumée
grise. Depuis, les temps ont bien changé, les fumées de nos bords
de Loire sont blanches, elles s'élèvent bien plus haut dans le ciel
et certains voient là un bien vilain pressage, un message qui
n'annonce rien de bon.
Car
l'histoire est en éternel recommencement. L'homme poursuit des
chimères qu'il croit toujours dominer. Puis les épreuves
surviennent, ce qu'il croyait vaincre se retourne contre lui. Un
petit grain de sable – il n'en manque pas par ici- et le bel
ordonnancement s'écroule, les affaires tournent au vinaigre,
l'aventure devient tragédie humaine.
C'est
ainsi que sur notre fleuve, il se vit en une époque pas si
lointaine, l'explosion d'une technologie qui devait, disait-on alors,
assurer la prospérité et la sécurité. Tout commença grâce à un
petit gars de chez nous. Denis Papin construit un digesteur, machine
démoniaque qui va dévorer bien des hommes qui vont y perdre leur
emploi et leur dignité.
La
machine à vapeur, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, commença sa
carrière dans le fond des mines. Il lui fallut un peu de temps pour
remonter à la surface et tenter l'aventure de transporter des gens.
À l'époque, les hommes n'étaient pas pressés, ils allaient à
pied, à cheval ou en bateau pour faire leur chemin. Sur la Loire,
traction à voile et animale se donnaient la main pour remonter le
cours des choses et des flots. Dans l'autre sens, le courant vous
emportait à son rythme lent.
C'est
un homme au nom prédestiné – Tranchevent- qui vint scier les mats
de nos grands voiliers en imposant, sur le fleuve, la première
compagnie de transport de passagers. La Ligne Nantes-Orléans vit
ainsi le jour : nous sommes en 1823, la machine à vapeur
noircit le ciel de nos contrées ligériennes.
Tout
ne se passe pas sans mal. La cocotte minute de l'eau que l'on met en
ébullition prend parfois l'envie d'exploser. Les premières
tragédies font grand bruit. On s'indigne, on déplore, on s'ingénie
à trouver des solutions pour éviter d'autres catastrophes. La plus
grande survient du côté de Saumur, où une machine fait sauter le
bouchon de bien trop de pression. Vingt morts, victimes du progrès
et de la vitesse. Il y en aura beaucoup d'autres par la suite,
ailleurs que sur l'eau.
Vincent
Gache, ingénieur émérite mit alors au point une chaudière à
basse pression. Les risques d'explosion reculaient forcément et il
baptisa sa compagnie « Les inexplosibles ! » pour être
certain du message. Nous sommes en 1837, la communication est à ses
balbutiements. Avec lui, point de risque, la vapeur est domestiquée.
Ce fut alors l'apogée du transport des passagers sur la Loire. En
1842, 582 voyages commerciaux sur le fleuve transportèrent près de
140 000 passagers.
Mais
voilà qu'un autre panache de fumée monte dans le ciel. Il est
sombre, porteur de lourdes menaces. Le train est sur les rails et
c'est notre marine de Loire qui va dérailler pour de bon. Le temps
nécessaire de faire son chemin de fer, et le train mettra à terre
les beaux et grands inexplosibles. Tout alla bien vite, l'espace de
quelques années, une mort au petit feu de la bête humaine.
En
1852, un an après l'arrivée du train à Nantes, le rideau tombait
sur les bateaux à roues. Nous n'étions qu'à l'aube des temps
modernes. Tout devait s'accélérer, tout s'accéléra. Quand il
fallait deux jours en descendant, trois jours à la remonte pour
joindre Orléans à Nantes, le train-train tranquille des eaux fut
chamboulé par la rigueur des horaires ferroviaires.
La
vapeur sur les rails vécut ses années de gloire puis elle aussi
connut le déclin. La fée électricité rangea pour un temps les
volutes de fumée. Puis, ce fut d'autres panaches qui surgirent dans
notre ciel de Loire. Il nous fallait toujours plus d'électricité et
les tenants du Nucléaire vinrent poser sa sourde menace sur nos
rives. Eux aussi pensaient que rien ne pouvait leur arriver. Ils ne
se disent pas inexplosibles mais se croient infaillibles.
Puissions-nous
ne jamais déplorer de les avoir crus. Cette histoire prouve que rien
ici ne dure que la Loire et tout ce qui l'entoure. Jusqu'à présent
du moins, cela est resté vérité vraie. Mais que l'atome se mette
pour de bon en colère et de tout cela, plus rien ne restera.
Profitons encore de ces merveilles, tant qu'elles nous demeurent
offertes et prenons garde à ne pas croire les promesses incertaines
des apprentis sorciers !
Vapeurement
leur.
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