« Tracum »
à en perdre la voix
Trôo
est une commune qui domine la magnifique vallée du Loir. Qui n’a
jamais flâné le long de cette rivière dolente, ne peut savoir à
quel point est magnifique cet écrin au nord du fleuve royal . Le
village est connu pour ses maisons troglodytiques sur un coteau
creusé de tous parts ; d’où son nom issu du latin populaire
tracum de traugum : trou .
Si
les Celtes qui ont toujours été des hommes de goût s’y
établirent , élevant en ce lieu un oppidum à l'abri d'une motte et
installant leurs demeures dans les grottes, trouvèrent l’endroit
à leur convenance, il en fut autrement pour ceux qui leur
succédèrent. Quand les envahisseur romains arrivèrent, ceux que
l’on prétend fous -mais certainement pas « trou »-
fuirent au plus vite ce territoire percé d’une multitude de
souterrains.
C’est
à Sougé que les Latins portèrent leurs pénates et édifièrent
un camp retranché de plain-pied, laissant l’ancienne cité
florissante devenir un trou durant leur domination. Ce furent les
évêques chrétiens qui redonnèrent à Trôo vie et importance. On
y éleva des murailles, un château et une collégiale dédiée à
Saint Martin ou vivaient sept chanoines, ainsi qu’une église vouée
à Saint Mandé.
Toujours
est-il que le nombre des chanoines fut sans doute à l’origine
d’une prédestination de la commune pour y abriter une légende
merveilleuse. C’est à l’ombre du donjon que naquit la commère
qui, bergère elle aussi, n’en fut pas célèbre par les voix
qu’elle entendait mais bien par celle dont elle usait avec une
inlassable faconde, sa manière de ne jamais cesser de parler. Dame
Pipelette devant l’Éternel, elle jacassait du matin au soir et
certaines mauvaises langues affirmaient qu’elle déblatérait
encore durant son sommeil.
Pour
son plus grand malheur, son mari n’était pas sourd. Cette
infirmité eût évité bien des désagréments à ce pauvre homme
qui devait subir, de manière ininterrompue, le flot des paroles de
la bavarde impénitente. Le mari s’arrachait les cheveux,
maudissait le jour de son mariage, tentait vainement de fuir la
conversation de celle qui avait toujours quelque chose à dire. Bref,
sa vie était devenue un enfer.
C’est
donc tout naturellement, qu’un soir, il pria Satan de venir quérir
celle qu'il ne pouvait plus supporter. Son amour d’antan s’était
fracassé sur ce défaut qui était tare et devenait véritable
calvaire pour ceux qui avaient à supporter le flot incessant de la
commère. Le pauvre homme aspirait au silence ; il fit
proposition malhonnête au diable, lui offrant sa femme sans aucune
contrepartie.
Le
Diable, voyant là l’occasion de se saisir d’une âme à peu de
frais, se précipita sur-le-champ pour venir réclamer celle qu’on
lui avait promis. Le mari, trop heureux de la voir ainsi piailler
loin de chez lui, la vit partir sans le moindre regret. La mégère,
pour autant, n'interrompit aucunement son verbiage. Que ce fût le
Diable en personne qui lui prêtait une oreille ne faisait
qu’accentuer sa furieuse faconde.
Le
Diable toutefois, en bien moins de temps qu’il n’avait fallu au
mari pour en venir à pareil expédient, comprit bien vite qu’il
avait été l’objet d’un marché de dupes. Jamais en enfer, il
n’avait croisé pareil moulin à paroles. Il n’imaginait pas
pouvoir supporter le torrent verbal de la femme ad vitam aeternam.
Tout Diable qu’il était, il avait parfois besoin de quiétude et
qu’on lui fiche la paix !
Satan
n’y alla pas par quatre chemins : il laissa tomber celle
dont il venait d’hériter. Il se trouve, pour le malheur de la dame
ou la postérité de la cité, qu’elle vivait à deux pas d’un
puits, dit de Jacob, qui fournissait le château en une eau claire et
saine. Le puits , creusé dans la roche, avait nécessité un conduit
de 45 mètres et c’est précisément là que la femme chut après
avoir été bannie par le Diable en personne.
La
chute fut terrible. La pauvre femme, pourtant, ne perdit pas cette
vie qui, l’instant d’avant, était vouée aux flammes de l’enfer.
C’est, en effet, dans les eaux noires et froides de ce puits,
qu’elle allait vivre désormais son éternité en solitaire. Le
choc lui fit perdre, certes, l’usage de la parole mais il lui
demeurait pourtant une étrange capacité. Si son bavardage
incessant s'était tari, elle était restée cependant capable de
répéter les sons parvenus jusqu’à elle par la cavité du puits.
Si
vous vous penchez encore aujourd’hui, à la margelle de ce puits,
s’il vous vient la curieuse idée de parler aux entrailles de la
terre, votre voix vous reviendra, étrangement caverneuse, sous la
forme d’un écho qui vous glacera les sangs. On prétend que c’est
le puits qui parle ; on a oublié, au cours des siècles, que
c’est la pauvre commère, punie par le Diable à cause de sa langue
trop bien pendue .
Ayez
donc une pensée émue pour celle qui se morfond au fond de son
puits. Si, par hasard, vous venait l’envie de lui raconter cette
histoire, je ne doute pas un seul instant que la dame finirait par
retrouver la raison. Mais gardez-vous bien de lui tendre une main :
la babillarde retrouverait dans l’instant ce défaut qui l’a
conduite là. Sachez garder votre langue et ne tirez pas d’eau de
ce puits. La commère bavarde pourrait en profiter pour vous tirer
l’oreille !
Caquetantement
sien
Un village à visiter
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