jeudi 28 mars 2019

Le puits qui parle de Trôo


« Tracum » à en perdre la voix


Trôo est une commune qui domine la magnifique vallée du Loir. Qui n’a jamais flâné le long de cette rivière dolente, ne peut savoir à quel point est magnifique cet écrin au nord du fleuve royal . Le village est connu pour ses maisons troglodytiques sur un coteau creusé de tous parts ; d’où son nom issu du latin populaire tracum de traugum : trou .

Si les Celtes qui ont toujours été des hommes de goût s’y établirent , élevant en ce lieu un oppidum à l'abri d'une motte et installant leurs demeures dans les grottes, trouvèrent l’endroit à leur convenance, il en fut autrement pour ceux qui leur succédèrent. Quand les envahisseur romains arrivèrent, ceux que l’on prétend fous -mais certainement pas « trou »- fuirent au plus vite ce territoire percé d’une multitude de souterrains.

C’est à Sougé que les Latins portèrent leurs pénates et édifièrent un camp retranché de plain-pied, laissant l’ancienne cité florissante devenir un trou durant leur domination. Ce furent les évêques chrétiens qui redonnèrent à Trôo vie et importance. On y éleva des murailles, un château et une collégiale dédiée à Saint Martin ou vivaient sept chanoines, ainsi qu’une église vouée à Saint Mandé.

Toujours est-il que le nombre des chanoines fut sans doute à l’origine d’une prédestination de la commune pour y abriter une légende merveilleuse. C’est à l’ombre du donjon que naquit la commère qui, bergère elle aussi, n’en fut pas célèbre par les voix qu’elle entendait mais bien par celle dont elle usait avec une inlassable faconde, sa manière de ne jamais cesser de parler. Dame Pipelette devant l’Éternel, elle jacassait du matin au soir et certaines mauvaises langues affirmaient qu’elle déblatérait encore durant son sommeil.

Pour son plus grand malheur, son mari n’était pas sourd. Cette infirmité eût évité bien des désagréments à ce pauvre homme qui devait subir, de manière ininterrompue, le flot des paroles de la bavarde impénitente. Le mari s’arrachait les cheveux, maudissait le jour de son mariage, tentait vainement de fuir la conversation de celle qui avait toujours quelque chose à dire. Bref, sa vie était devenue un enfer.

C’est donc tout naturellement, qu’un soir, il pria Satan de venir quérir celle qu'il ne pouvait plus supporter. Son amour d’antan s’était fracassé sur ce défaut qui était tare et devenait véritable calvaire pour ceux qui avaient à supporter le flot incessant de la commère. Le pauvre homme aspirait au silence ; il fit proposition malhonnête au diable, lui offrant sa femme sans aucune contrepartie.

Le Diable, voyant là l’occasion de se saisir d’une âme à peu de frais, se précipita sur-le-champ pour venir réclamer celle qu’on lui avait promis. Le mari, trop heureux de la voir ainsi piailler loin de chez lui, la vit partir sans le moindre regret. La mégère, pour autant, n'interrompit aucunement son verbiage. Que ce fût le Diable en personne qui lui prêtait une oreille ne faisait qu’accentuer sa furieuse faconde.

Le Diable toutefois, en bien moins de temps qu’il n’avait fallu au mari pour en venir à pareil expédient, comprit bien vite qu’il avait été l’objet d’un marché de dupes. Jamais en enfer, il n’avait croisé pareil moulin à paroles. Il n’imaginait pas pouvoir supporter le torrent verbal de la femme ad vitam aeternam. Tout Diable qu’il était, il avait parfois besoin de quiétude et qu’on lui fiche la paix !

Satan n’y alla pas par quatre chemins : il laissa tomber celle dont il venait d’hériter. Il se trouve, pour le malheur de la dame ou la postérité de la cité, qu’elle vivait à deux pas d’un puits, dit de Jacob, qui fournissait le château en une eau claire et saine. Le puits , creusé dans la roche, avait nécessité un conduit de 45 mètres et c’est précisément là que la femme chut après avoir été bannie par le Diable en personne.

La chute fut terrible. La pauvre femme, pourtant, ne perdit pas cette vie qui, l’instant d’avant, était vouée aux flammes de l’enfer. C’est, en effet, dans les eaux noires et froides de ce puits, qu’elle allait vivre désormais son éternité en solitaire. Le choc lui fit perdre, certes, l’usage de la parole mais il lui demeurait pourtant une étrange capacité. Si son bavardage incessant s'était tari, elle était restée cependant capable de répéter les sons parvenus jusqu’à elle par la cavité du puits.

Si vous vous penchez encore aujourd’hui, à la margelle de ce puits, s’il vous vient la curieuse idée de parler aux entrailles de la terre, votre voix vous reviendra, étrangement caverneuse, sous la forme d’un écho qui vous glacera les sangs. On prétend que c’est le puits qui parle ; on a oublié, au cours des siècles, que c’est la pauvre commère, punie par le Diable à cause de sa langue trop bien pendue .

Ayez donc une pensée émue pour celle qui se morfond au fond de son puits. Si, par hasard, vous venait l’envie de lui raconter cette histoire, je ne doute pas un seul instant que la dame finirait par retrouver la raison. Mais gardez-vous bien de lui tendre une main : la babillarde retrouverait dans l’instant ce défaut qui l’a conduite là. Sachez garder votre langue et ne tirez pas d’eau de ce puits. La commère bavarde pourrait en profiter pour vous tirer l’oreille ! 
 
Caquetantement sien 

Un village à visiter
https://troo.fr/
 
 

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