dimanche 3 mars 2019

Pensées intestines

La cabane au fond du jardin 

 


 



Je me souviens, c’était à l’écart d’une cour de ferme, d’une étrange cabane tout au fond du jardin. Elle m'effrayait, elle était obscure, menaçante, inquiétante. Peuplée d'une nuée de mouches, elle nous accueillait d’un bourdonnement étrange. L'enfant que j’étais alors redoutait par-dessus tout ce moment où il fallait prendre son courage à deux mains et quelques pages du journal local, pour aller vider ses entrailles. 
 
Pour mon malheur, les aléas de la vie et des problèmes médicaux firent que j'étais particulièrement assidu en ce lieu d'aisance, comme disent ceux qui n'en avaient pas aussi peur que moi. Je redoutais ce tête à tête avec ce trou béant. Quand je soulevais le couvercle qui l'obstruait, j'avais toujours la crainte d'y voir surgir un monstre ce qui sans doute arriva plus d’une fois tant le traumatisme demeure bien des années plus tard.

Ce n'est certes pas là que je pris ce que beaucoup prennent pour une détestable habitude qui les prive parfois d’un passage rapide, de lire sur le Saint-siège. Pourtant, c'est là que se fit l'essentiel de ma culture tant j'étais un fidèle adepte de la posture savante. Mais revenons à nos tinettes d'alors, celles qui peuplèrent mes vacances avunculaires. 
 
La petite cabane était naturellement fort loin de la maison d'habitation. Il fallait grande nécessité pour faire tout ce chemin quand la météo n'était pas propice ou bien que la nuit enveloppait la cour de ferme de ses mystères et de ses nombreux bruits incertains. Il en fallait du courage pour affronter seul ce long chemin d'angoisse. Il n'était pourtant pas envisageable de se faire accompagner … 
 
Que j'eusse alors aimé souffrir d'une constipation chronique. Mais tel n'était pas mon cas, mes voyages incessants ne me permirent jamais de m'accoutumer à la sévérité des lieux. Je revois encore la porte que je n'ouvrais jamais sans un haut le cœur par anticipation. J'ai toujours en mémoire ce crochet ou s'empalaient des carrés de papier journal soigneusement découpés. 
 
C'était un temps où l'on ne gâchait pas, où rien ne devait se perdre. Le tas de fumier n'était pas loin, histoire sans doute de mêler hommes et bêtes dans la même impérieuse nécessité organique. C'était surtout là que finissait immanquablement le résultat de toutes nos visites intestines pour engraisser par la suite notre mère, la terre nourricière...

Plus tard, bien plus tard, j'ai connu une joyeuse bande d'écologistes anarcho-utopistes. Ils avaient installé sur un monticule, bien en évidence devant la porte d'entrée de leur communauté, une tinette magnifique toute de bâches transparentes entourée. Il fallait ainsi démontrer son refus des normes bourgeoises et son désir de participer à la grande chaîne naturelle… Je m’y employai plus que les autres, avec une impudeur qui me sidère à posteriori ! 
 
Chez mes oncles et tantes, la pudeur et la discrétion avaient leur place. La tinette était toujours à l'écart, bien opaque, bien close. Un crochet solide en barrait l'entrée quand un occupant y faisait son ouvrage. Nul ne se vantait de ce qu'il allait faire bien que chacun pût deviner ses intentions. 
 
Je me souviens encore d'une tinette plus pittoresque quoique sans doute moins soucieuse de la nature. Elle était, comme ses consœurs, tout au fond de la prairie. Il fallait même pour celle-ci parcourir plus de deux cents mètres qui, la nuit, semblaient interminables. Elle était bien à l'abri d'un magnifique saule pleureur dont les branches allaient caresser les eaux du Loir.
Si la configuration extérieure de ce local secret était analogue à ceux que je fréquentais par ailleurs, il y avait une différence de taille dans la destination du dépôt intime que nous y faisions. Le trou plus béant ici que chez mes autres oncles, allait directement dans les eaux de la rivière. Naturellement, le créateur de cette magnifique installation avec tout à l'égout sauvage avait pris la sage précaution de placer cet édicule en aval de sa propriété.

La chose ne devait pas nous choquer, nous qui installions un peu plus bas des balances pour récolter des écrevisses grasses à souhait et goûteuses comme ce n’est pas permis. Nous en faisions fréquemment des ventrées qui à leur tour, alimentaient le cycle intestinal qui constituait alors une chaîne sans fin. Nous ignorions alors que l’écrevisse de chez nous allait disparaître au profit de son homologue américaine ce qui n’est certes pas de notre responsabilité.

J'avoue même, bien des années plus tard, un certain plaisir auditif au petit bruit étouffé qu'accompagnait à chaque fois la libération de mes entrailles. C'est peut-être là que j'ai établi cette relation si intime avec les rivières. Que l'on veuille bien me pardonner ce récit personnel, évocation d'un temps pas si lointain où personne ne pensait alors fréquenter un lieu, qui bien des années plus tard, serait du dernier chic sous le nom plus glorieux de toilettes sèches. 
 
C'est pourtant avec quelques larmes aux yeux que je repense à toutes ces tinettes glorieuses qui accompagnèrent mes vacances d'alors. Voilà sans doute un billet qui ne restera pas dans les annales et pourtant je suis certain que beaucoup encore ont ce doux souvenir en tête. 
 
Nostalgiquement vôtre. 


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...