La cabane au fond du jardin
Je
me souviens, c’était à l’écart d’une cour de ferme, d’une
étrange cabane tout au fond du jardin. Elle m'effrayait, elle était
obscure, menaçante, inquiétante. Peuplée d'une nuée de mouches,
elle nous accueillait d’un bourdonnement étrange. L'enfant que
j’étais alors redoutait par-dessus tout ce moment où il fallait
prendre son courage à deux mains et quelques pages du journal local,
pour aller vider ses entrailles.
Pour
mon malheur, les aléas de la vie et des problèmes médicaux firent
que j'étais particulièrement assidu en ce lieu d'aisance, comme
disent ceux qui n'en avaient pas aussi peur que moi. Je redoutais ce
tête à tête avec ce trou béant. Quand je soulevais le couvercle
qui l'obstruait, j'avais toujours la crainte d'y voir surgir un
monstre ce qui sans doute arriva plus d’une fois tant le
traumatisme demeure bien des années plus tard.
Ce
n'est certes pas là que je pris ce que beaucoup prennent pour une
détestable habitude qui les prive parfois d’un passage rapide, de
lire sur le Saint-siège. Pourtant, c'est là que se fit l'essentiel
de ma culture tant j'étais un fidèle adepte de la posture savante.
Mais revenons à nos tinettes d'alors, celles qui peuplèrent mes
vacances avunculaires.
La
petite cabane était naturellement fort loin de la maison
d'habitation. Il fallait grande nécessité pour faire tout ce chemin
quand la météo n'était pas propice ou bien que la nuit enveloppait
la cour de ferme de ses mystères et de ses nombreux bruits
incertains. Il en fallait du courage pour affronter seul ce long
chemin d'angoisse. Il n'était pourtant pas envisageable de se faire
accompagner …
Que
j'eusse alors aimé souffrir d'une constipation chronique. Mais tel
n'était pas mon cas, mes voyages incessants ne me permirent jamais
de m'accoutumer à la sévérité des lieux. Je revois encore la
porte que je n'ouvrais jamais sans un haut le cœur par anticipation.
J'ai toujours en mémoire ce crochet ou s'empalaient des carrés de
papier journal soigneusement découpés.
C'était
un temps où l'on ne gâchait pas, où rien ne devait se perdre. Le
tas de fumier n'était pas loin, histoire sans doute de mêler hommes
et bêtes dans la même impérieuse nécessité organique. C'était
surtout là que finissait immanquablement le résultat de toutes nos
visites intestines pour engraisser par la suite notre mère, la terre
nourricière...
Plus
tard, bien plus tard, j'ai connu une joyeuse bande d'écologistes
anarcho-utopistes. Ils avaient installé sur un monticule, bien en
évidence devant la porte d'entrée de leur communauté, une tinette
magnifique toute de bâches transparentes entourée. Il fallait ainsi
démontrer son refus des normes bourgeoises et son désir de
participer à la grande chaîne naturelle… Je m’y employai plus
que les autres, avec une impudeur qui me sidère à posteriori !
Chez
mes oncles et tantes, la pudeur et la discrétion avaient leur place.
La tinette était toujours à l'écart, bien opaque, bien close. Un
crochet solide en barrait l'entrée quand un occupant y faisait son
ouvrage. Nul ne se vantait de ce qu'il allait faire bien que chacun
pût deviner ses intentions.
Je
me souviens encore d'une tinette plus pittoresque quoique sans doute
moins soucieuse de la nature. Elle était, comme ses consœurs, tout
au fond de la prairie. Il fallait même pour celle-ci parcourir plus
de deux cents mètres qui, la nuit, semblaient interminables. Elle
était bien à l'abri d'un magnifique saule pleureur dont les
branches allaient caresser les eaux du Loir.
Si
la configuration extérieure de ce local secret était analogue à
ceux que je fréquentais par ailleurs, il y avait une différence de
taille dans la destination du dépôt intime que nous y faisions. Le
trou plus béant ici que chez mes autres oncles, allait directement
dans les eaux de la rivière. Naturellement, le créateur de cette
magnifique installation avec tout à l'égout sauvage avait pris la
sage précaution de placer cet édicule en aval de sa propriété.
La
chose ne devait pas nous choquer, nous qui installions un peu plus
bas des balances pour récolter des écrevisses grasses à souhait et
goûteuses comme ce n’est pas permis. Nous en faisions fréquemment
des ventrées qui à leur tour, alimentaient le cycle intestinal qui
constituait alors une chaîne sans fin. Nous ignorions alors que
l’écrevisse de chez nous allait disparaître au profit de son
homologue américaine ce qui n’est certes pas de notre
responsabilité.
J'avoue
même, bien des années plus tard, un certain plaisir auditif au
petit bruit étouffé qu'accompagnait à chaque fois la libération
de mes entrailles. C'est peut-être là que j'ai établi cette
relation si intime avec les rivières. Que l'on veuille bien me
pardonner ce récit personnel, évocation d'un temps pas si lointain
où personne ne pensait alors fréquenter un lieu, qui bien des
années plus tard, serait du dernier chic sous le nom plus glorieux
de toilettes sèches.
C'est
pourtant avec quelques larmes aux yeux que je repense à toutes ces
tinettes glorieuses qui accompagnèrent mes vacances d'alors. Voilà
sans doute un billet qui ne restera pas dans les annales et pourtant
je suis certain que beaucoup encore ont ce doux souvenir en tête.
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