Piliers
de barre
Quand
le vent d'Ouest, qu'on dit Galarne ou bien galerne, suivant ses
inclinaisons, se lève sur les rives de ma si belle fille Liger,
qu'il apporte enfin cette eau qui manquait tant dans notre rivière,
à l'heure où s'ouvrent presque dans le même temps la Coupe du
Monde de Rugby et le Festival de Loire, il est possible de troquer à
votre guise une casquette à visière d'entraîneur pour un grand
chapeau de feutre neutre de notre marine fluviale.
Si,
sur le terrain, le vent d'où qu'il souffle, rend fou les joueurs qui
se prétendent déménageurs de piano et leur ballon qui n'est pas
tout à fait rond, sur l'eau, il ravit les amoureux de la grande
voile carrée, les gabiers indomptables, gaziers infréquentables.
Chacun y perd la direction à suivre et le cap à tenir pour garder
la tête hors de l'eau. Sur l'onde sauvage, il permet d'abandonner
ces maudits moteurs, valets d'une modernité discutable.
Au
rugby, celui qui l'a dans le dos sait qu'il va souquer ferme pour
atteindre le port avec une bonne avance. L'ailier, poussé par la
rafale, met les bouts pour aller pointer à dame mais le buteur y
perd son latin pour maîtriser une trajectoire incertaine. Le vent
devient tourbillonnant avec les tribunes tandis que sur nos rives, il
reste à peu près docile pour remonter le courant.
Sur
l'eau, il nous pousse sans effort, la grande voile carrée toute
gonflée de son importance, permet de remonter ce fleuve qu'on
prétend royal en se moquant d'un courant impétueux. Par
le guirde, chacun admire le paysage en se concentrant sur la
manœuvre. C'est un luxe que ne peuvent
s'offrir les sportifs sur la pelouse : le voyage en
ovalie est de plus en plus incertain, les chocs redoutables et les
plaquages terrifiants.
A
la mi-temps, celui qui l'avait dans le nez espère tenir sa revanche.
Il faudra changer de stratégie, refaire le handicap et aller de
l'avant après avoir baissé la tête sous les coups de boutoir d'un
adversaire gonflé à bloc, tandis qu'au bout de la course, le marin
d'eau douce devra affaler la voile et s'en remettre à l'onde pour
retourner au port. Donner quelques coups de bourde, bloquée dans les
arronçoirs, de peur de faire des bêtises et finir par s'ensabler.
Garder la route et jouir du silence d'une descente poussée par la
rivière, regarder les hérons cendrés et tout là-haut le balbuzard
qui plane.
À
la reprise, le vent pousse l'attaque mais la défense s'arc-boute sur
sa ligne. Il faut franchir le barrage, ouvrir les vannes pour refaire
ce retard. Chaque point compte et le vent fait parfois déjouer celui
qui en abuse. La stratégie d'occupation est parfois désastreuse :
il faut savoir porter le ballon tout autant que le danger dans le
camp adverse. Les marins préfèrent naviguer en toute sécurité ;
ils sont moins hardis que les chevaliers des crampons et à la nuit
tombante, restent à quai, évitant ainsi les chandelles que le vent
finit par éteindre.
Au
retour au port, si le vent souffle toujours autant, l'envie d'une
nouvelle virée prend les mariniers toujours entre deux bordées. La
vitesse les grise toute comme cette petite rasade de notre bonne
vieille poire d'Olivet, à moins qu'ils ne préfèrent faire sauter
des bouchons., chers aussi à nos rugbymen. Les aigrettes garzettes
leur font de douces œillades ! Ils rejoignent dans ce geste
ancestral du coude qui se lève les sportifs et leur troisième
mi-temps.
À la fin du match, le vent a choisi son vainqueur. Les perdants se
font souffler dans les bronches par un capitaine, seul maître à
bord après l'odieux entraîneur ! Les gagnants sont ceux qui ont
maîtrisé les sautes d'humeur de ce capricieux zéphyr. Ils se
griseront de bons coups à boire et rentreront chez eux avec un joli
brin de vent dans les voiles à moins qu'ils ne bichent le cul de la
bouteille d'Or.
Quand
la voile est affalée, que les bouts sont roulés, que le mât est
abaissé, le batelier jette l'ancre et s'en retourne à terre. C'est
à regret qu'il abandonne le fleuve et son beau bateau de bois. Il
rêve déjà à la prochaine sortie quand le grand vent d'ouest
soufflera de nouveau sur le Val de Loire, là où la Loire est la
plus belle.
Je
ne saurai jamais ce qui est le plus grisant : une victoire dans
ce beau jeu d'Ovalie ou une sortie, vent portant, avec les gars de
marine fluviale. Partout, le long de la Loire, les fûtreaux, les
chalands, les toues et les plates
refont partie du décor ligérien. Il manque quelques mâts dressés
avec de belles traverses, sur les prairies du bord de l'eau, pour que
tous ces ports accueillent aussi des équipes de Rugby. Un batelier
est un pilier potentiel, de barre ou de rugby si le grand vent
d'ouest l'a rendu un peu fou et de bar à n'en point douter, foi de
grosse bedaine !
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