Une
idée à creuser
Il
était une fois une cité qui s’était vue détrônée par la faute
d’un canal. Désormais sur le grand et beau fleuve royal, les
vannes du commerce destiné à la Capitale ne s’ouvraient pas
toutes désormais sur Orléans. Des écluses s’étaient mises en
travers d’un destin jusqu’alors glorieux.
En
Orléans, il fallait creuser une idée afin de domestiquer les flots
le long d'un autre chemin de halage. Des hommes prirent alors des
pioches et leur courage à deux mains pour percer un large sillon
d'Orléans jusqu'à sa forêt éponyme. Les travaux étaient de
taille, ils regardaient au loin pour rejoindre ce Loing qui
conduisait depuis quelques temps bateaux et péniches jusqu'à la
Seine.
La
paix niche dans ceux qui eurent l'ambition de relier les fleuves :
Loire et Seine. Hélas, le temps parfois se joua d’eux. Une autre
invention détrôna le bel ouvrage que des hommes inconstants
laissèrent à l’abandon. Le chemin de fer d’abord, puis
l’autoroute ensuite eurent raison de la voie d’eau qui en dépit
des conventions et des promesses se trouve toujours le bec dans les
flots comme ses amis les canards. Des travaux titanesques
s’imposeraient aujourd’hui afin que le tourisme fluvial puisse à
nouveau rappeler le temps béni du canal d’Orléans.
Tout
commença pourtant de fort belle manière. Nous sommes en 1676 et le
sieur Robert Mahieu, grand bourgeois qui a fait fortune dans le
commerce du bois, homme aux dents longues et affûtées, installé
dans notre belle forêt d'Orléans, demande à son bon Duc,
l'autorisation de construire une voie d'eau à partir de Lorris pour
rejoindre le Loing et ainsi faire commerce avec Paris. L'idée est
bonne, elle est rondement menée et deux ans plus tard, le tronçon
de Vieilles-Maisons à Buges est ouvert. En 1679, notre négociant
voit plus grand et se met à lorgner vers la Loire et la ville
d'Orléans.
Hélas,
le projet est trop ambitieux pour sa bourse, les fonds sont à sec et
l'homme cède le canal au duc d'Orléans. Celui-ci, n'est pas plus
que le roturier, capable de mener à bien la belle idée. Le projet
aiguise de plus grands appétits et un architecte flanqué d'un
financier se jettent à l'eau. En 1692, la grande liaison devient
possible, de la Loire à la Seine en passant par chez nous !
C'est
alors un siècle d'or pour le commerce local. Le canal fonctionne à
plein régime. Les bateaux sillonnent la région, il y a grande
presse dans nos petits ports et grosses animations en fin de soirée.
Les mariniers ont le vent en poupe et le halage humain. C’est à
Combleux qu’ils quittent la Loire pour emprunter le canal. Mais les
mariniers sont ainsi faits qu'il s'établit alors une distinction
entre ceux du fleuve qui se croyaient les seigneurs de l'eau et ceux
du canal qui héritèrent du triste surnom de « Gueule noire ! ».
Cette bataille ne nous concerne pas, laissons-là ces manants à
leurs vaines querelles !
Il
n'est pas certain que cette triste discorde redora la réputation
bien chargée par ailleurs de ces mauvais gars, plus habitués à
lever le coude et le jupon que le niveau de l'eau. Le canal fut
l'occasion de querelles et de jurons, de propos de charretiers et de
gestes déplacés. Les habitants des villages traversés tremblaient
pour l'honneur des dames et les oreilles des enfants. Cependant, tout
semblait baigner pour notre long ruban d'eau au cœur de la forêt.
Pourtant, l'histoire vient mettre son grain de sable dans les
rouages. En 1793, le propriétaire du canal perd la tête, Philippe
Égalité est raccourci par les révolutionnaires et le canal tombe
dans l'escarcelle de l'état naissant. Les années suivantes ne sont
pas un long fleuve tranquille. Le canal change souvent de
propriétaire au gré des différents régimes politiques. Il y a du
mou dans la corde à nœuds !
En
1863, après bien des tourments, la gestion du canal est confiée aux
ponts et chaussées. Hélas, si le bail est fixé à 91 ans,
l'espérance de vie de la navigation fluviale sur la Loire a pris un
sérieux coup dans l'aile. Le transport fluvial est un ami de la
planète, il avait de louables intentions ; peu gourmand en énergie,
il exigeait simplement la force de quelques hommes ou bien de solides
chevaux pour aller porter de lourds chargements au port.
Alors
quand le chemin de fer triomphant fit taire les derniers jurons,
chacun pensa que la paix était revenue au doux pays des loges. Grave
erreur, si les mariniers ne vinrent plus troubler la quiétude des
lieux, on se rendit compte bien vite que la vie, le long du canal
avait perdu tout son charme. Les écluses restèrent muettes et
immobiles; seuls les pêcheurs trouvèrent un intérêt à ce silence
des eaux.
On
fit bien une tentative aussi dispendieuse qu'illusoire en
construisant un prolongement du canal de Combleux à Orléans. De
1908 à 1921, des hommes reprirent la pioche pour creuser une
nouvelle tranchée. Beaucoup même passèrent maîtres dans cet art
terrassier et allèrent quelques années durant exercer leur
compétence en contrée belliqueuse. Cet intermède sinistre qu'on
nomma La grande Guerre retarda la fin des travaux. Celle-ci arriva
bien tard pour avoir une quelconque utilité.
Le
3 juillet 1921, l'inauguration en grande pompe du tronçon
Orléans-Combleux ne changera rien au déclin de notre marine. Le
progrès était passé par là, il était alors sur de bons rails. Le
chemin de fer puis la route raflèrent tout le fret de marchandises.
Le Canal fut une fois encore un gouffre financier qui venait souvent
à manquer d’eau.
D'autres
poursuivront la tradition locale en bouchant puis en débouchant
cette portion qu'on dirait maudite. Le canal se meurt, il a rêvé
d'un renouveau qui se heurte aux écluses qui ne fonctionnent plus.
Quelques-unes sont en état mais il faudrait tant et tant de travaux
et d'argent pour les voir revivre que c'est à désespérer que cela
se fasse un jour.
Il
ne reste que des rêveurs pour emprunter la voie d'eau, vous mener en
bateau sur la belle de Grignon. Ceux-là montent sur leurs grands
chenaux et ont construit une flûte berrichonne avec amour et
patience.Faire résonner le
passé glorieux de notre marine du canal est aussi le projet de nos amis des Chemins de L'eau qui espèrent un jour aller de la Loire à la Seine en passant par la
forêt d’Orléans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire