Notre
terrain de jeu.
Alors
que depuis quelques années le pont ferroviaire de mon village
d’en-France est fermé à la circulation, barré afin que nul, y
compris à pied ne l’emprunte, des travaux vont être entrepris
pour en faire une voie douce, ouverte aux cyclistes et aux piétons.
J’apprends ainsi que celui qui fut jadis mon terrain de jeu est
attaqué par la rouille. Si rien n’est fait, le brave ouvrage
risque de tomber comme son voisin suspendu le fit, lui sous l’effet
du gel, à plus ou moins brève échéance.
Cette
petite page d’actualité me ramène bien des années en arrière.
Nous étions en culottes courtes, nous étions sans doute intrépides
pour oser ce qui était formellement interdit. Chaque fois que nous
le pouvions, nous nous rendions autour de 17 heures, il me semble, au
rendez-vous du convoi de marchandises.
Nous
étions fébriles. Nous devions nous dissimuler au regard des
adultes, passer sur le rebord de la première pile et nous glisser
dans une petite cavité se situant sous les rails. Nous avions ainsi
une vue imprenable sur le monstre d’acier qui allait surgir et dont
on entendait déjà le sifflement au loin, pour annoncer son arrivée
aux habitants de Saint Père-sur-Loire.
C’était
le signal pour nous du grand tremblement, de la belle vibration qui
nous forçait à nous boucher les oreilles. Tout l’ouvrage se
mettait à vaciller, un vrai cataclysme sismique, c’est du moins le
film que nous nous faisions, explorateurs de l’impossible,
aventuriers ou bien résistants préparant un attentat à l’explosif.
L’époque était aux films de guerre, nous jouions presque pour de
vrai l’épisode du déraillement.
Pour
joindre le réel au rêve, nous avions toujours dans la poche
quelques pétards pour déclencher notre forfait au passage du
convoi. Si je deviens sourd aujourd’hui, je n’ai pas besoin de
chercher plus loin l’origine de cette récompense différée pour
l’ensemble de notre œuvre. En fait, la Micheline et ses wagons
faisaient un tel vacarme que je crois bien que personne ne s’aperçut
jamais de ce que nous faisions réellement.
La
plateforme du pont était également le lieu de nos essais de
lance-pierres, frondes et autres propulseurs. Nous avions devant nous
un vaste espace dégagé qui ne demandait qu’à mesurer l’évolution
de nos prouesses balistiques. À ce petit jeu, c’était toujours
Jean-Michel, le fils du garagiste qui emportait la mise.
Il
nous fallait alors reprendre des forces. C’est de nouveau dans
notre cachette que nous nous restaurions. Allez savoir pourquoi, en
cet endroit uniquement, c’était les berlingots de lait concentré
que nous dégustions avec délectation. C’était sans doute fort
peu diététique mais nous étions de ces enfants qui ne faisaient
que courir la campagne et les bords de Loire, l’obésité ne nous
menaçait guère.
Je
ne sais si certains de mes camarades usèrent de la cachette pour
quelques rendez-vous fripons. J’en doute tant la place n’était
guère romantique alors qu’un petit bois nous tendait ses aiguilles
et ses mousses en peu en aval de là. Le pont resta pour nous un lieu
où seuls les garçons se retrouvaient.
Les
années ont passé, il reste à jamais ce souvenir qui je vous livre
ici. Il eut son heure de gloire quand le 16 janvier 1985 les câbles
du pont routier cédèrent. Après quelques aménagements, le pont
ferroviaire servit de voie de secours à sens alterné. Bientôt ce
seront des cyclistes qui le franchiront. Nuls pétards, furent-ils
mouillés, ne viendront célébrer cette transformation radicale qui
sonne le glas de tout espoir de voir revivre la gare de mon village.
Le temps n’est plus à ce genre de chose sans doute en dépit des
promesses de développement durable si loin du rail.
Chemindeferrement
vôtre.
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