samedi 30 mars 2019

Bataille navale sur la Moselle.



La loi du plus fort.



La vie sur les canaux n'est pas toujours de tout repos. Cette histoire, pour instructive qu'elle soit, n'en révèle pas moins un regrettable aspect des ravages que fit la course au fret lors du déclin du transport fluvial. Les héros de cette triste aventure étant encore vivants, nous en cacherons les noms pour ne pas ajouter l'humiliation à la honte. C'est un éclusier, témoin de l'algarade et gazette de la rivière, qui voulut bien me la confier…

Nous sommes en 1979 ; la route est en train de porter un coup mortel aux bateliers. Sur l'eau, c'est à qui arrivera le premier pour emporter le prochain marché, se montrer le plus rapide pour gagner la confiance de commanditaires de plus en plus exigeants. C'est la fin de la batellerie familiale ; bien des mariniers sont acculés à la faillite et doivent, la mort dans l'âme faire déchirer leurs péniches (automoteurs).

Pouvez-vous imaginer le drame pour des familles qui sont nées , ont vécu sur ce lieu de vie et de travail, qui s'usaient plus de 18 heures par jour pour un labeur qui ne rapportait pas grand-chose ? La destruction d'une péniche, c'est la perte de l'identité, du passé et du travail, c'est le saut dans l'inconnu du monde des terriens, c'est l'effacement de toute une vie sur l'eau à travers l'Europe.

Alors, quand deux péniches se présentent ce jour-là devant l'écluse, il y a une compétition sans merci pour savoir qui passera le premier. À ma droite, un chaland canadien de 65 mètres piloté par un Belge et chargé de sable et de gravier. À ma gauche, une péniche Hollandaise de 85 mètres, pilotée par un Batave irascible. Le Belge a quelques mètres d'avance, ce qui déplaît forcément à son rival.

À bord du chaland, un jeune mousse. Le garçon a abandonné l'école en cinquième pour se consacrer à une vie d'errance et de rencontres. Plus tard, il réalisera son rêve de gosse en devenant artiste, chantre de la marine, barde des canaux et souffleur de vent. Il est ce jour-là, aux premières loges de la rixe, acteur obéissant et inconscient.

Le plus gros accélère à l'approche de l'écluse. Griller la politesse au bateau prioritaire, c'est gagner de précieuses minutes. La réalité économique transforme les hommes en loups. Tous les coups sont permis et le Hollandais l'entend bien ainsi. Il veut doubler son collègue et se lance pour cela dans une manœuvre hardie.

Le Belge qui ne l'entend pas de cette oreille, demande à son mousse de s'amarrer au navire pressé. Le garçon, avec l'inconscience de l'âge, attrape un énorme filin d'acier et accroche l'embarcation félonne par une bite d'amarrage. La stratégie est osée et le capitaine du chaland n'a pas pris en compte les masses qui vont agir sur le filin.

La tension est telle qu'en quelques secondes, le filin explose sur les tractions contradictoires. Le câble, pourtant gros comme mon bras, se sectionne. C'est un vrai coup de tonnerre qui claque. Le câble libéré passe à quelques centimètres de la tête du jeune garçon. Il a manqué de perdre la tête dans l'aventure.

Fou de colère et sans doute prenant conscience du risque qu'il a fait courir à son équipier, le capitaine belge prend un fusil à deux coups et tire sur l'arrière de la cabine hollandaise. Celle-ci explose sous l'effet des plombs qui fort heureusement ne touchent personne. Les deux bateaux s'arrêtent et le constat fort peu amiable va se dérouler à terre.

Devant l'éclusier médusé et le mousse qui reprend ses esprits, les deux capitaines sanguins en viennent immédiatement aux mains. Je dois à la vérité de dire que ce sont les poings qui entrent en action et qui touchent leurs cibles. L'éclusier vient faire barrage et reçoit sa dose de coups ! Il ne faut jamais se mêler des algarades navales à moins de sombrer dans le ridicule.

Les quatre fers en l'air, l'éclusier constate alors que le calme est revenu sur la berge. Le Hollandais est retourné à sa cabine et le Belge pareillement. Les deux gaillards cependant reviennent avec de nouvelles armes. Inévitablement l a querelle va tourner au carnage,car les capitaines ont les bras lourdement chargés. L'éclusier ferme les yeux, il ne veut pas assister à la mise à mort de l'un des belligérants.

Il a bien tort ! Nos deux lascars sont revenus avec des packs de bière. Fierté nationale mal placée ou défense de la tradition : ce sera un combat sans merci entre bières : la belge contre la hollandaise. Les deux capitaines, le mousse et l'éclusier finiront l'aventure avec la gueule de bois et le mal au crâne. Voilà comme s'achève cette lamentable histoire, il n'y a pas lieu d'en être fier !

Bataillenavalement vôtre.



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