En
eaux troubles …
Né
sous une étoile incertaine, le canal d'Orléans semblait être la
chasse gardée du duc éponyme. Il allait connaître bien des
déboires lors de la période la plus trouble de l'histoire de
France. Il y avait de quoi perdre la tête ; ce qui ne manqua
pas d'arriver à quelques protagonistes de l'affaire. Essayons tant
bien que mal de démêler cet incroyable écheveau …
Si
en 1689 la partie du canal qui allait de Grignon - là où une belle
va prochainement se jeter à l’eau pour réactiver cette histoire -
à la Loire jusqu'à Combleux – la perle de l’orléanais- avait
été convenablement achevée, il fallait refaire bien des ouvrages
du canal de Mahieu. Ce fut encore la justice qui s'essaya à
clarifier des problèmes de propriété et de responsabilité d'une
remarquable opacité. Le Duc finit par plonger dans sa cassette, à
contre-cœur, on peut s'en douter.
Les
administrateurs du moment, les sieurs Lambert et Richemond finirent
par obtenir gain de cause et le canal put enfin relier la Loire à la
Seine par le Loing en 1692, au prix de vingt années de coups fourrés
et de procédures complexes. Cependant, le Duc restait dans l'affaire
ce qui la maintenait dans les eaux troubles de l'abus de pouvoir,
d'autant qu'il devint Régent de France …
Sa
nouvelle position ne fit qu'accroître ses prétentions et sa
gourmandise. On ne peut se refaire ! Le canal d'Orléans était, à
n'en point douter, une affaire remarquablement rentable, juteuse si
l'on peut juger ainsi cette voie vineuse. Le bon Duc mit en place un
receveur général pour engranger les bénéfices et six receveurs
particuliers qui maillèrent le trajet à Combleux, Pont aux Moines,
Fay aux Loges, Grignon, Buges et Cepoy. Difficile d'échapper à la
coupe réglée de ce bon Prince. Il n'y a pas que les petits
ruisseaux qui font les rivières de diamants !
Pour
asseoir encore plus son autorité, le Duc obtint, pourquoi s'en
gêner, le pouvoir de justice sur son canal. Un état dans l'état
avec la mainmise sur toutes les dimensions prévalant à la gestion
et à la régulation d'une affaire qui était une source formidable
de revenus. En 1788, le canal dégagea 546 248 livres de bénéfice,
ce qui n'empêcha nullement ce Prince dispendieux d'être en
faillite. Le canal fut saisi par les nombreux créanciers de ce bon
Philippe- Égalité, qui avait le don sans pareil de se mettre tout
le monde à dos.
La
Terreur trancha dans le vif et, en avril 1793, pendant que des têtes
tombaient dans le panier d'osier, le canal allait dans l'escarcelle
de l'Etat qui, ne sachant trop quoi en faire, le confia à des
gestionnaires peu motivés par la tâche. Bien vite, le canal tomba à
l'abandon : roseaux et vase prenant le dessus et les travaux
d'entretien étant sans cesse repoussés à des temps meilleurs.
C'est
sous le Directoire que notre pauvre canal retrouva un peu d'ordre. La
gabegie n'avait que trop duré ; Paris avait grand besoin de
cette voie d'eau vitale. Un système d'affermage fut mis en place.
Hélas, cette procédure faisait bien mieux la fortune de celui qui
en avait la charge que celle d'un canal qui avait toujours mauvaise
mine.
Les
Bourbons, revenus en grâce, les Orléans récupérèrent leurs biens
le 5 décembre 1814. Il y avait urgence pour sauver le canal, ce que
sentit Louis XVIII, qui en dépit de l'esprit de famille et de caste,
confia les intérêts du canal à une compagnie dont ses enfants,
étaient, par un malencontreux concours de circonstances, les
principaux actionnaires. Comme c'est ballot !
Fort
heureusement Louis-Napoléon mit fin à la grivèlerie des
Bourbons-Orléans en renvoyant tout ce joli monde dans les cordes. Le
Tribunal de la Seine lui donna un petit coup de main et le canal
connut enfin une période faste et sereine. De 1814 à 1860, il
fonctionna sous la direction avisée du Comte Hulot d'Orsay. Les
hypothèques levées sur sa propriété, il allait enfin tomber dans
le domaine de l'état en 1860.
Nous
laissons-là ses eaux stagnantes, devenues inutiles aujourd'hui,
abandonnées aux algues et aux seuls pêcheurs. Il avait connu bien
des troubles ; il allait en connaître d'autres. Nous y
reviendrons une autre fois si le cœur vous en dit. La paix n'a
jamais niché sur ce pauvre canal.
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