vendredi 24 août 2018

Sidonie



Les jours heureux



Une dame de la rue Clémenceau inspira le nom de leur première auto. La voisine n'était pas bien jeune, l'automobile n'avait rien à lui envier. Pourtant quand elle évoque ce passé lointain, la nostalgie se pare des douces teintes d'un bonheur parfait !

D'une marque aujourd'hui disparue, l'automobile Charron trouva naturellement sa place dans la famille de son charron, maréchal ferrand de père. Elle avait gardé sa robe militaire d'une précédente campagne, ses jantes en bois, sa boite à outils extérieure et ses marche-pieds lui conféraient une antériorité lointaine.

Elle devint utilitaire plus souvent que familiale. La vendange, le débardage et même le service à la nation en guerre, rien ne rebutait Sidonie en dépit de son âge. Elle avait bien quelques caprices mécaniques et il fallait le secours d'un mécanicien de talent et d'un cheminot itinérant pour la remettre sur ses rails !

Sidonie se plaisait à leur offrir de la place. Une large banquette à l'avant permettait au père de laisser conduire son jeune fils, assis fièrement à ses côtés. Il avait inventé la conduite accompagnée sans se soucier d'attacher une ceinture de sécurité qui n'existait pas plus que le compteur... À l'arrière, deux strapontins tournaient le dos au pilote et faisaient face aux transportés de l'arrière.

Ils étaient tous tous à l'abri d'une bâche amovible, fort mal commode à dérouler quand la pluie les surprenait. Car Sidonie était, c'était là son plus grand luxe, capitonnée et surtout décapotable ! Bâcher était une aventure qui supposait occasion exceptionnelle. Les œillets refusant souvent d'épouser les pitons de la belle carrosserie.

Pour entraîner le moteur, le père usait de la manivelle, ses deux enfants étaient assis à l'avant pour assurer la manœuvre quand le moteur, après de nombreux essais, acceptait enfin de bien vouloir tousser. Quand le miracle avait lieu, vite il fallait appuyer sur la pédale pour éviter que Sidonie ne cale. Ça fumait à l'arrière, pétaradait à l'avant et le pilote se pressait de sauter rejoindre sa troupe.

Mon interlocutrice se souvient d'un voyage aventure. Sa Grand-Mère disputait la place à une poule vivante et quelques cageots : les bagages et les légumes de leur jardin et le casse-croûte incontournable à toute épopée familiale. La redoutable côte de Bourron les contraignit à descendre, Sidonie suait huile et eau, il fallait prévoir quelques provisions de secours et lui donner un joli coup de main pour franchir l'obstacle et poursuivre sa route. La pluie vint mettre son grain de sel, des serviettes éponges suppléaient une étanchéité illusoire.

Il leur fallait rentrer au jour, la nuit ne s'éclairait pas des ses lampes à acétylène qui participaient du décor beaucoup plus que de l'éclairage. Seul l'avertisseur sonore jouait les cornes de brume et écorchait les oreilles de timbre de crécelle.

C'est en utilitaire que Sidonie se gonflait de son importance. Débarrassée de la banquette arrière, elle recevait les tines, le grand panier, les outils, des parasols, les amis les vendangeurs coincés entre la hotte, les seilles et leurs sabots et les si nécessaires provisions de bouche.. Qui n'a point connu le bonheur des vendanges ignore tout du bonheur de cette fête merveilleuse. Joyeux, ils ramassaient les graines, hurlant « Hotteux, hotteux ! » pour charger le colosse de notre récolte ....

Le repas des vendanges était le plus beau des moments. Les enfants devaient garder têtes couvertes pour éviter les assauts d'un soleil traiteux. Le repas s'étalait sur l'herbe juste à côté de la grosse Sidonie. La mère avait profité du transport des premières corbeilles d'osier, pleines de ce jus écrasé sur place, pour venir aux vignes avec tous les ustensiles. À l'époque, un repas sur l'herbe ne se contentait pas d'assiettes en carton. La vaisselle se devait d'être de la fête pour honorer les vendangeurs. Hareng en sauce tomate, œufs durs et tout ce qui fait un menu laborieux. Le café en thermos et la goutte pour reconstituer force et courage.

Le travail reprenait, on oubliait la sieste. La vendange, bien avant la nuit devait être terminée. Les deux drôles rentraient alors, épuisés, fourbus mais heureux de cette saine fatigue propre à cette bien trop lointaine jeunesse. Ma conteuse entend encore au loin le roulement du fouloir, elle aimerait se retrouver encore sur la banquette de ce bolide qui effrayait son monde à près de 30 à l'heure !

Des larmes plein les yeux, la dame n'est plus avec moi. Je pense qu'elle a traversé les ans lorsque je l'entends murmurer :
«  Maman demande pourtant à papa de ralentir, ça secoue terrible sur le chemin creux de Gien le Vieux. Avec toutes ces cabosses, elle pourrait bien nous faire la petite sœur avant l'heure ! »


Nostalgiquement sienne



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