jeudi 16 août 2018

Nos panthéons intérieurs.


À nos chers disparus.



Nul n'est besoin de Panthéon, cimetière, monument, stèle funéraire ou bien fête estampillée chrysanthèmes ou sorcières pour porter en soi nos chers disparus. Nous sommes un maillon d'une longue chaîne ; non pas la petite chaînette familiale mais la grande et lourde chaîne de l'Humanité. Nous savons qu'un jour viendra où nos traces s'effaceront à leur tour ; que nous entrions dans le monde des esprits, des spectres ou bien de l'évanescence.

Qu'importe cet instant final. Point ne serait besoin de redouter cet inéluctable épilogue d'une existence débutée à la naissance si nos chers législateurs avaient un tant soit peu d'empathie et de dignité pour affronter la fin de vie autrement qu'en se mettant honteusement au service d'une partie du corps médical tournée uniquement vers le profit et la survie à tout prix. Le droit de finir son parcours sans souffrance et sans acharnement devrait être inscrit dans le marbre de la loi. Mais il faudrait avoir du courage : ce qui manque singulièrement à ceux qui nous gouvernent.

Mais tel n'est pas le propos du jour. Il n'est question ici que d'honorer ceux qui sont partis, qui ont quitté cette vallée de larmes et de bonheur. Ils peuplent notre mémoire, reviennent régulièrement à la surface des choses, sortent des limbes pour éveiller un souvenir, éclairer un instant, illuminer une pensée. Nous n'avons pas besoin de nous recueillir devant une plaque de marbre froide, austère et impersonnelle pour réussir ce prodige de la résurrection.

Nos vies sont faites de ces réminiscences merveilleuses, de ces images fugaces qui font ressurgir un de nos chers disparus. Un bruit, une odeur, un lieu, une anecdote et voilà la machine à remonter le temps qui se met en branle. Un sourire au coin des lèvres ou bien une larme qui perle un peu plus haut, vous êtes en relation avec celui ou celle qui nous a quittés.

Ce sont souvent des proches, des très proches. Parents, enfants ou grands-parents ne cessent de vous accompagner dans votre parcours de vie. Ils sont guide, référence, conseil posthume, regret éternel. Chacun apporte sa pierre à cette existence que vous poursuivez sans leur présence mais jamais sans eux. Ils vous construisent, vous façonnent, vous placent dans la lignée. Ils sont vôtres à jamais ; ils font partie intégrante de vous.

Il y a encore les amis, les compagnons de cœur qui ont laissé une trace indélébile. Ceux-là reviennent souvent ; ils vous font ressentir le poids de leur absence, la difficulté de vous passer de leur confiance. Vous les sentez vous prendre la main quand les temps sont délicats. Ils demeurent à vos côtés. Curieusement, ils ne sont pas tous là : la mort a fait une curieuse sélection ; elle vous réserve bien des surprises. Celui que vous pensiez indispensable s'efface progressivement de votre mémoire alors que cet autre, plus distant, plus lointain, demeure si proche désormais.

Il y a les jalons de l'existence ; ces personnages qui ont façonné votre personnalité à un moment ou à un autre ; maître d'école, médecin, prêtre, éducateur, voisin, bénévole d'une association, peu importe quels ils sont : ils vous ont laissé une ligne de conduite, offert une leçon de vie, montré un chemin, donné la main. Ils ne savaient sans doute pas à quel point ils vous ont été nécessaires. Ceux-là reviennent épisodiquement, ils surgissent du néant pour apporter à nouveau leur précieux message.

Il y a les plus illustres : poètes, peintres, philosophes, musiciens, romanciers, grands personnages emblématiques qui ont peuplé votre imaginaire, qui ont distillé une parcelle de culture, des convictions, des représentations qui vous ont construit. Leur évocation est plus diffuse ; elle n'en est pas moins source de réconfort, d'émotion et de réflexion. Qui ne dispose pas de tels disparus doit vivre une existence bien morose.

Il y a encore les compagnons de l'imaginaire. Ces inconnus dont l'histoire vous a impressionné, vous a placé à jamais en empathie. Les morts d'une grande guerre, les victimes d'une catastrophe, les suppliciés des tragédies de l'histoire, les anonymes des atrocités humaines … Leur représentation surgit au hasard d'une visite, d'une image, d'un fait d'actualité, d'une date. Un voile traverse votre esprit ; vous convoquez leur mémoire pour avoir la force de vous opposer, de vous dresser à votre tour contre ce qui, un jour, les a mis à mort. Là encore, point n'est besoin de gerbes, de discours, d'injonctions commémoratives pour qu'ils soient à vos côtés. Si tel était, hélas, le cas, dites-vous bien que cette mémoire n'en serait que dérisoire, à l'image des simagrées que font nos chers représentants.

Il y a encore bien des défunts qui accompagnent votre destinée. Ils sont l'immense cohorte des petits, des simples, des gens de peu qui n'ont laissé aucun nom de rue, aucun ouvrage célèbre, aucune œuvre d'art mais qui ont vécu, qui ont souffert et qui ont apporté un petit maillon à cette grande chaîne que vous prolongez à votre tour. Point n'est besoin de Dieu, de prières, de cierges, de saints et de prophètes pour qu'ils soient dans votre esprit. Si vous ne vous sentez pas appartenir à cette immense fraternité qui transcende les époques, les origines, les couleurs, les religions, les philosophies, prenez garde de ne pas rejoindre bien vite les rangs des barbares et des monstres.

Nos chers disparus furent tous des hommes et des femmes de bien. Ils ont fait ce qu'ils pouvaient pour que l'Humanité avance à petits pas. Si vous les honorez, vous pensez tendrement à eux ; vous êtes de ceux qui souhaitent que se perpétue l'aventure de la vie sur cette planète et nulle part ailleurs. Le Paradis et l'Enfer sont des foutaises ; la vie éternelle est dans nos mémoires et c'est à nous de la prolonger en pensées.

Éternellement leur.



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