À
nos chers disparus.
Nul n'est
besoin de Panthéon, cimetière, monument, stèle funéraire ou bien
fête estampillée chrysanthèmes ou sorcières pour porter en soi
nos chers disparus. Nous sommes un maillon d'une longue chaîne ;
non pas la petite chaînette familiale mais la grande et lourde
chaîne de l'Humanité. Nous savons qu'un jour viendra où nos traces
s'effaceront à leur tour ; que nous entrions dans le monde des
esprits, des spectres ou bien de l'évanescence.
Qu'importe cet
instant final. Point ne serait besoin de redouter cet inéluctable
épilogue d'une existence débutée à la naissance si nos chers
législateurs avaient un tant soit peu d'empathie et de dignité pour
affronter la fin de vie autrement qu'en se mettant honteusement au
service d'une partie du corps médical tournée uniquement vers le
profit et la survie à tout prix. Le droit de finir son parcours sans
souffrance et sans acharnement devrait être inscrit dans le marbre
de la loi. Mais il faudrait avoir du courage : ce qui manque
singulièrement à ceux qui nous gouvernent.
Mais tel n'est
pas le propos du jour. Il n'est question ici que d'honorer ceux qui
sont partis, qui ont quitté cette vallée de larmes et de bonheur.
Ils peuplent notre mémoire, reviennent régulièrement à la surface
des choses, sortent des limbes pour éveiller un souvenir, éclairer
un instant, illuminer une pensée. Nous n'avons pas besoin de nous
recueillir devant une plaque de marbre froide, austère et
impersonnelle pour réussir ce prodige de la résurrection.
Nos vies sont
faites de ces réminiscences merveilleuses, de ces images fugaces qui
font ressurgir un de nos chers disparus. Un bruit, une odeur, un
lieu, une anecdote et voilà la machine à remonter le temps qui se
met en branle. Un sourire au coin des lèvres ou bien une larme qui
perle un peu plus haut, vous êtes en relation avec celui ou celle
qui nous a quittés.
Ce sont
souvent des proches, des très proches. Parents, enfants ou
grands-parents ne cessent de vous accompagner dans votre parcours de
vie. Ils sont guide, référence, conseil posthume, regret éternel.
Chacun apporte sa pierre à cette existence que vous poursuivez sans
leur présence mais jamais sans eux. Ils vous construisent, vous
façonnent, vous placent dans la lignée. Ils sont vôtres à
jamais ; ils font partie intégrante de vous.
Il y a encore
les amis, les compagnons de cœur qui ont laissé une trace
indélébile. Ceux-là reviennent souvent ; ils vous font
ressentir le poids de leur absence, la difficulté de vous passer de
leur confiance. Vous les sentez vous prendre la main quand les temps
sont délicats. Ils demeurent à vos côtés. Curieusement, ils ne
sont pas tous là : la mort a fait une curieuse sélection ;
elle vous réserve bien des surprises. Celui que vous pensiez
indispensable s'efface progressivement de votre mémoire alors que
cet autre, plus distant, plus lointain, demeure si proche désormais.
Il y a les
jalons de l'existence ; ces personnages qui ont façonné votre
personnalité à un moment ou à un autre ; maître d'école,
médecin, prêtre, éducateur, voisin, bénévole d'une association,
peu importe quels ils sont : ils vous ont laissé une ligne de
conduite, offert une leçon de vie, montré un chemin, donné la
main. Ils ne savaient sans doute pas à quel point ils vous ont été
nécessaires. Ceux-là reviennent épisodiquement, ils surgissent du
néant pour apporter à nouveau leur précieux message.
Il y a les
plus illustres : poètes, peintres, philosophes, musiciens,
romanciers, grands personnages emblématiques qui ont peuplé votre
imaginaire, qui ont distillé une parcelle de culture, des
convictions, des représentations qui vous ont construit. Leur
évocation est plus diffuse ; elle n'en est pas moins source de
réconfort, d'émotion et de réflexion. Qui ne dispose pas de tels
disparus doit vivre une existence bien morose.
Il y a encore
les compagnons de l'imaginaire. Ces inconnus dont l'histoire vous a
impressionné, vous a placé à jamais en empathie. Les morts d'une
grande guerre, les victimes d'une catastrophe, les suppliciés des
tragédies de l'histoire, les anonymes des atrocités humaines …
Leur représentation surgit au hasard d'une visite, d'une image, d'un
fait d'actualité, d'une date. Un voile traverse votre esprit ;
vous convoquez leur mémoire pour avoir la force de vous opposer, de
vous dresser à votre tour contre ce qui, un jour, les a mis à mort.
Là encore, point n'est besoin de gerbes, de discours, d'injonctions
commémoratives pour qu'ils soient à vos côtés. Si tel était,
hélas, le cas, dites-vous bien que cette mémoire n'en serait que
dérisoire, à l'image des simagrées que font nos chers
représentants.
Il y a encore
bien des défunts qui accompagnent votre destinée. Ils sont
l'immense cohorte des petits, des simples, des gens de peu qui n'ont
laissé aucun nom de rue, aucun ouvrage célèbre, aucune œuvre
d'art mais qui ont vécu, qui ont souffert et qui ont apporté un
petit maillon à cette grande chaîne que vous prolongez à votre
tour. Point n'est besoin de Dieu, de prières, de cierges, de saints
et de prophètes pour qu'ils soient dans votre esprit. Si vous ne
vous sentez pas appartenir à cette immense fraternité qui
transcende les époques, les origines, les couleurs, les religions,
les philosophies, prenez garde de ne pas rejoindre bien vite les
rangs des barbares et des monstres.
Nos chers
disparus furent tous des hommes et des femmes de bien. Ils ont fait
ce qu'ils pouvaient pour que l'Humanité avance à petits pas. Si
vous les honorez, vous pensez tendrement à eux ; vous êtes de
ceux qui souhaitent que se perpétue l'aventure de la vie sur cette
planète et nulle part ailleurs. Le Paradis et l'Enfer sont des
foutaises ; la vie éternelle est dans nos mémoires et c'est à
nous de la prolonger en pensées.
Éternellement
leur.
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