Le tailleur de pierres d'Apremont
Il était une fois, à Apremont, un tailleur de pierres. Faute d'imagination nous le prénommerons Pierre ! Il était d'une rare dextérité. Il travaillait si vite et si bien qu'il nourrissait de grands rêves de gloire. Hélas pour lui, sa besogne sur le bord de l'Allier était des plus ingrates. Il travaillait à la va-vite pour des constructions qu'il ne voyait jamais. Il taillait sa pierre pour lui donner grossièrement la forme demandée avant que la pièce ne prît le chemin du chantier en empruntant la Loire.
En ce temps-là, les hommes avaient encore de la raison et cherchaient à rendre plus légères les cargaisons. La pierre, matériau lourd s'il en est, était pré-taillée avant que d'être livrée pour les finitions. Notre Pierre exerçait ses talents à cette besogne pratique mais si peu enthousiasmante. Ainsi allégée, la pierre pouvait descendre la Loire jusqu'à une cathédrale ou bien un château. Le transport était encore une activité dont on usait avec parcimonie ...
Pierre rêvait d'aller à son tour sur les hauteurs de ces édifices pour fignoler son ouvrage et y mettre enfin sa signature de maçon. Il aimait trop son art pour se contenter de sa tâche, il rêvait de majestueux chantiers, de chimères et de statues magnifiques. Il restait dans sa carrière à se morfondre et à maudire le sort qui l'avait fait naître au pied d'une modeste carrière.
Un beau jour, pourtant, l'occasion se présenta de quitter son trou et d'aller à la conquête de la renommée. Une commande venait d'arriver du chantier de la cathédrale d'Orléans. Non seulement, on réclamait des pierres mais il était stipulé que le chantier manquait cruellement de compagnons qualifiés. Pierre allait saisir sa chance et partir à l'aventure sur les flots de la belle dame Liger.
Hélas pour lui, la bonne fortune vint à manquer au chaland qui emportait cargaison et passagers. La Loire était haute et piégeuse. Au détour d'une boucle, un gros rocher saillait que le capitaine ne connaissait pas. Le flanc du bateau se déchira et bien vite la gabarre sombra corps et biens. Pierre, qui avait toujours eu des pierres dans ses poches n'avait, pour cette bonne raison, jamais appris à nager. Il allait périr entre Saint Benoît et Châteauneuf quand une belle fée vint à son secours. C'était notre Ondine, vous vous en seriez doutés !
Elle le tira de ce fort mauvais pas et le hissa à terre. Les fées en ce temps-là avaient plus d'un tour dans leur sac. Ondine n'avait que faire d'un seul service, il fallait qu'elle montrât toute l'étendue de ses pouvoirs. La fée sur la berge, pour réconforter Pierre qui avait cru sa dernière heure sonnée, lui proposa en sus d'exaucer l'un de ses vœux.
Pierre n'avait qu'une idée en tête, sculpter la pierre sur les tours de cette Cathédrale pour laquelle, depuis si longtemps, il n'avait de cesse de dégrossir de magnifiques pierres. Son tour allait venir de laisser sa signature pour l'éternité : un pentangle au centre duquel une flèche se brisait. Il demanda ce que dame Ondine sur-le-champ lui octroya. Pierre, par magie, se retrouva dans l'instant à l'œuvre, un burin dans une main et un marteau dans l'autre.
Mais on ne se retrouve pas ainsi à tutoyer les cieux quand jusqu'alors on travaillait dans la carrière. Pierre fut vite pris de vertige, il perdit l'équilibre et son rêve se transforma en un court et désastreux plongeon vers le sol. Quand il arriva à quelques mètres du parvis, sa vie était en sursis. Heureusement pour lui, Ondine était venue contrôler les conséquences de sa faveur. De nos jours, les fées n'ont pas pareil sens du service ; nous ne pouvons que le déplorer.
C'est dans les bras d'Ondine que Pierre finit sa chute libre. À demi-évanoui, il remercia la bonne dame et, devançant sa proposition, lui réclama immédiatement un autre vœu. On s'habitue bien vite aux miracles ; l'humain est ainsi fait que rien ne le surprend quand c'est en sa faveur que s'exprime le hasard ou la bonne fortune.
Ayant retenu la leçon du vertige, il réclama de se retrouver dans les ateliers d'un sculpteur de renom. Il travaillait pour le roi, il y avait belles et grandes statues à tailler à la gloire du Prince et de ses exploits. Pierre se mit à nouveau à l'ouvrage, avec vigueur et talent. Il fit même tant et tant que son travail fut remarqué par sa majesté en personne. Mais bien vite, les louanges tournèrent à la tempête. Pierre, artiste scrupuleux, avait laissé un petit relief là où le roi avait vilaine verrue. Immédiatement mis aux arrêts, il se retrouva bien vite sous la hache du bourreau pour crime de lèse-majesté.
Une fois encore, Ondine intervint. Pierre, il faut l'avouer, ne s'était pas tourmenté. Il attendait ce miracle avec la foi des grands naïfs et des crédules. Il se permit même une petite réflexion à sa bienfaitrice trouvant qu'elle avait quelque peu tardé. Ondine, bonne fée, ne lui en tint pas rigueur. Cependant, elle lui glissa à l'oreille qu'il serait temps de se fixer, qu'elle avait d'autres clients sur la Loire et qu'elle aimerait bien vite retourner dans sa rivière.
Pierre, bien attrapé par ses rêves de gloire, avait compris la leçon. Il lui demanda sagement de revenir en son village où femme et enfants devaient se languir de lui. Tailleur de pierres dans sa carrière il était, tailleur de pierres il resterait désormais. Ondine, ravie de n'avoir plus à surveiller cet étrange quémandeur, l'envoya bien vite à ses chers cailloux. Elle retrouva aussitôt les fonds mystérieux de la Loire et Pierre ses braves compagnons d'antan.
Il faut se contenter de son état quand celui-ci est heureux. À trop désirer la gloire, Pierre avait tutoyé les cimes et découvert leurs abysses. Il revint de cette aventure, convaincu que la grandeur n'a que faire des illusoires espoirs. Depuis, il taille ses pierres avec un plaisir incomparable et se jure de ne plus jamais envier les plus renommés que lui. Être prophète en son pays est déjà bien assez. Il est fort prétentieux de se vouloir plus que ce qu'on a obtenu de son seul talent. User d'artifice ou bien de diablerie pour gravir les échelons finit toujours par vous jouer des tours pendables !
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