lundi 13 mai 2024

La belle ritournelle que voilà

 

Un refrain





Ritournelle ou bien rengaine, il revenait sans cesse dans les chansons qui nous ont laissé une trace profonde en mémoire. Il est alors cette petite bouée qui permet de s'accrocher à un flot de paroles dont les moins attentifs finissaient par perdre le fil. C'est ainsi que par le cœur ou pour le chœur, il constituait une étape, une escale bienveillante pour continuer le chemin.


Bien des refrains nous trottent encore dans la tête sans que nous puissions les prolonger par des couplets qui au fil du temps se sont estompés, effacés ou bien perdus dans les abysses de nos mémoires. Pourtant, rien que par leur merveilleux truchement, des images reviennent à la surface, des moments agréables, des personnes aimées.


Le refrain, fidèle à son étymologie, fait réfraction dans la pensée. Par sa seule évocation, par son retour à la surface, il dévie la lumière présente pour nous plonger dans le passé. Il est porteur de bien plus d'images et de sens que les modestes mots qu'il met en musique. C'est un retour en arrière, l'abolition du temps qui passe. En cela, il fait un bien fou.


Il a aussi le privilège d'être un marqueur générationnel ou social. Les refrains qui sont partagés vous situent dans une histoire, une forme de caste musicale, de clan s'ils échappent aux succès que les radios d'alors matraquaient sans modération. Même cela du reste, en dépit de l'ironie que nous pouvons placer en eux, sont évocateurs et bienfaisants.


Le refrain est en voie de disparition. La nouvelle chanson française semble ne pas avoir l'oreille à ce leitmotiv qui revient de temps à autre à moins de choisir un mot ou une strophe pour la faire tourner en boucle à l'infini. C'est alors la forme caricaturale du refrain, celle qui renvoie à une autre valeur et au dégoût ou à la répugnance.

Pourtant, rien de plus agréable il me semble que d'écrire une chanson quand justement, c'est le refrain qui vous vient à l'esprit, qui donne le tempo et le point de départ d'une suite de couplets qui vont se faire un malin plaisir à l'éclairer plus encore. Pour ma part, c'est ainsi que sont nés les quelques textes que je qualifierais sans honte de populaires même si leur diffusion resta largement confidentielle.


Je risque le ridicule de vous citer des refrains qui ne sont jamais arrivés jusqu'à vos oreilles, mais qu'importe, ce sera l'occasion de vous les donner à découvrir grâce à ceux qui les ont mis en musique avant de me faire le cadeau de les interpréter. Le premier d'entre eux fut celui-ci qui continue de naviguer dans quelques mémoires ligériennes…


« J'ai posé ma guitare sur le fil de l'eau

J'en ai fait une gabarre qui emporte les mots. »


C'est du reste la seule chanson qui eut droit à une radio nationale. Pour un coup d'essai ce fut un coup de maître tout autant qu'un coup de rame dans l'eau.


Mes refrains d'alors se firent un malin plaisir à se faire interrogatifs. Ils formèrent ainsi une petite série que j'ai cru bon interrompre pour qu'on ne se pose pas trop de questions sur mon compte.

Où vas-tu marinier

En si bel équipage ?

Où vas-tu naviguer

Loin de ce beau rivage ?


Celui-ci fut alors complété par la plume de celui qui allait en faire une tout autre version puisque la chanson doit rester un corps vivant qui mue parfois au fil du temps. Le refrain prit alors de la bouteille et une forme plus élaborée.


Où vas-tu marinier

En si bel équipage ?

Où vas-tu naviguer

Loin de ce beau rivage ?

Toi qui as mariné

Depuis ton plus jeune âge

Rêvais à d'autres quais

Pour poser tes amarres



Un autre refrain n'a pas transformé son apparence quand il a changé de bouche. C'est donc qu'il se laissait boire sans difficulté et que nous pouvons trinquer sans difficulté avec une autre mélodie.


Que bois-tu Chalandier ?

Ton verre est tout vidé

Quel est ce doux délice

Qui te met en supplice ?


Certes la littérature ne s'en trouvera pas bouleversée et cette chanson à boire n'eut jamais le privilège de vous saouler sur les ondes. Qu'importe, quand le vin est tiré, il faut le boire !


Restons dans un domaine qui ne connaît ni la modération ni la tempérance avec un refrain qui ne cassa peut-être pas trois pattes à un canard pour la simple raison que j'évitais soigneusement de la chanter.


Tout en sifflant une bouteille

J'imagine des merveilles

Tout en vidant une chopine

Je taquine ses copines

Tout en trinquant à ta santé

Je déguste à pleine lampées

Ce nectar magnifique

Tout droit sorti d'une barrique



Après cette tournée je pris bien garde de ne pas multiplier les rimes me contentant pour les couplets de rimer avec bouchon et délice pour assouvir mon vice avec mes compagnons.


Enfin, je clos cet immodeste billet en reprenant le refrain qui me vint spontanément à l'esprit en voyant des carcasses de navires, abandonnées dans un aber.


C'est le cimetière

De nos vieux bateaux

Un petit coin de terre

Mouillé de bien peu d'eau

Une décharge honteuse

Épaves oubliées

La mort insidieuse

Des navires échoués





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