vendredi 31 mai 2024

Le coche d'eau prend la mouche !

 

Un colis peu recommandable.





En cette année 1725, qui voulait voyager l'esprit tranquille dans un confort acceptable prenait les voies navigables. Il y avait sur notre Loire grand trafic de coches d'eau qui proposaient leur service pour des passagers fortunés quand des embarcations au confort plus sommaire satisfaisaient aux besoins du commun. Des toues cabanées faisaient souvent le voyage au gré des fluctuations de notre rivière.


Un noble seigneur de Roanne : Le Duc Louis d'Aubusson de La Feuillade avait le projet de se rendre à Versailles présenter ses hommages à notre bon roi. L'homme détestait les poussières de la route. Il décréta de suivre le cours de la rivière jusqu'à Combleux pour terminer son voyage par le canal d'Orléans. Il avait quelques visites de courtoisie à faire en chemin, ce qui l'avait décidé à emprunter ce chemin des écoliers et des mariniers moins pressés.


Il contacta un facteur naval, Jean de Roanne, homme à la solide réputation sur lequel, il avait ouï dire que l'on pouvait se fier. Ses coches étaient quant à elles d'un confort remarquable et permettaient à un voyageur unique de bénéficier de tous les agréments qu'on pouvait espérer à l'époque. Le seigneur cependant était fort pingre, il mena négociation serrée pour obtenir un prix acceptable. Il poussa même le vice à réclamer au Roi, une lettre de cachet pour échapper aux nombreux péages qui se dressaient sur ce parcours.


Le bon marinier aurait du être alerté par toutes ces simagrées indignes d'un seigneur à la bourse si pleine. Mais, ayant conclu le marché en crachant par terre, il n'était plus temps de se dédire. Les gens de Loire en ce temps là n'avaient qu'une parole et se faisaient un honneur de toujours la tenir. C'est donc flanqué de cet unique voyageur (une des nombreuses conditions de ce drôle de seigneur) qu'il embarqua un beau jour d'avril.


Jean et ses deux hommes d'équipage ignoraient alors qu'ils partaient pour la descente la plus désagréable qui leur fut donnée de vivre. Bien vite, le Duc se montra chafouin et délicat , exigeant de ne pas être secoué, réclamant sans cesse que l'on lui serve à boire, qu'on déplace un coussin ou bien que fasse halte pour des besoins que d'habitude les gens ordinaires faisaient en route, dans la rivière, sans plus de manière.

La première journée s'achevait et jamais Jean n'avait eu à subir autant de caprices d'un passager qui croyait que son titre et son argent lui permettaient toutes les fantaisies. La nuit se passa tant bien que mal, le Duc refusant de partager avec quiconque la vaste cabane qu'il s'octroya pour son seul usage. Au petit matin, il exigea encore qu'on le conduisit dans une auberge pour faire ses ablutions et prendre un déjeuner qui n'avait rien de petit. L'équipage dut même trouver chaise à porteur afin que ce noble personnage n'usa pas ses souliers vernis.


Le pire était à venir. Ils n'avaient pas si tôt appareillé qu'un orage d'une violence inouïe vint sévir au-dessus de leurs têtes. Le visiteur du Roi leur refusa l'abri et réclama par dessus le marché que l'embarcation ne se mit pas à couvert. Il voulait, prétendit-il, jouir de ce spectacle tonitruant, au milieu de la rivière. C'est trempé comme des soupes et furieux contre leur maudit passager que l'équipage accosta en fin de soirée à Nevers.

 

Le bonhomme avait invitation à souper et à dormir chez un autre de son état. Jean et ses compagnons en profitèrent pour passer la nuit au chaud mais se gardèrent bien d'user de la cabane du ci-devant. Ils demandèrent asile à des collègues qui écoutèrent effarés le récit de ces deux premiers jours de descente. Nul, n'avait jusqu'alors transporté plus détestable personnage !


Le lendemain, c'est fort tard dans la matinée que ce curieux voyageur se fit conduire au pied de sa coche d'eau. On l'attendait de pied ferme depuis quelques heures mais quelle ne fut pas la surprise de Jean de l'entendre immédiatement réclamer qu'on fut à Sancerre pour le dîner du soir. Il n'était pas question de lui expliquer qu'il les avait mis en retard, le Duc n'est pas homme à s'encombrer d'explications. Il commande et chacun doit se plier à son bon-vouloir …


Jean et ses hommes utilisèrent des trésors d'ingéniosité pour remplir leur mission. Jamais ils n'avaient usé de la bourde avec tant de vigueur en allant ainsi au fil du courant. Fort heureusement pour eux, nulle entrave et nul incident ne vinrent se mettre sur le chemin et comme il l'avait exigé, le Duc put boire tout son saoul de ce bon vin de Sancerre dans une Taverne de Saint Satur.


Qu'on soit noble ou bien roturier, l'abus de boisson, fut-ce un bon vin de chez nous, provoque bien des débordements et de grandes nausées. Il fallut veiller le Duc toute la nuit afin qu'il ne passe pas cul par dessus tête et finisse par se dégriser dans notre Loire. Après la journée qu'ils avaient passée, nos mariniers auraient voulu dormir un peu et voilà que leur étrange passager ne leur en laissa pas la possibilité.


Au petit matin, ils étaient exténués quand le bonhomme, ne se rappelant plus de rien était à tambouriner qu'on leva l'ancre au plus vite. Jean serrait des poings, ses hommes crachaient furieusement en jetant à ce malotrus en bas de soie des regards tords. C'est sans lui dire un mot qu'il le menèrent à Gien, où une fois encore, des gens d'importance, attendaient sa venue.


Ils profitèrent de cette nuit de repos pour souffler un peu. Jamais de mémoire de marine on avait vu Jean de Roanne et son équipage ne pas venir lever la chopine avec les collègues. Pourtant ce soir-là, tous trois restèrent sur le pont et dormirent du sommeil de ceux qui n'en pouvaient plus. Ce dont furent peuplés leurs rêves fut si terrible que je m'interdis ici de vous décrire par le menu, les tortures qu'ils firent subir en songe à leur monstre en culottes et dentelles.


Au soleil levant quand il revint accompagné des laquais giennois, ils comprirent aux œillades des valets que leur fardeau s'était montré aussi détestable avec ces gens que sur le bateau. Décidément, il n'y avait rien à espérer d'un tel personnage qui méritait cent fois de finir en enfer. Alors, quand ils arrivèrent à Saint Père sur Loire, Jean fit une halte contre l'avis du seigneur. Il mit bien vite pied à terre pour aller demander une petite faveur à Saint Nicolas, patron des mariniers. La requête était fort peu chrétienne, c'est pourquoi, nous la garderons secrète.


Le voyage se poursuivit. Les caprices de l'odieux passager ne cessèrent jamais. Sa morgue n'avait d'égale que son incommensurable orgueil. Son égoïsme était au niveau de sa stupidité. Le calvaire de l'équipage n'avait que trop duré. Ils avaient tous grande hâte de confier ce fardeau à des gueules noires du canal. On se montre parfois mesquin y compris chez les mariniers !


C'est au pont de Jargeau que Saint Nicolas leur vint en aide. Le seuil à franchir est depuis toujours réputé délicat. Le Duc en avait eu vent et se croyant plus malin que ces pauvres gueux précautionneux, en dépit de leurs multiples recommandations ou bien était-ce d'en avoir trop entendu, avait souhaité sortir de son palais sur l'eau pour assister au spectacle debout sur la proue.


Jean de Roanne avait eu alors un sourire malicieux en lui disant qu'il était bien le seul maître à bord et que, puisque tel était son bon plaisir, il n'avait qu'à bien se tenir pour jouir du spectacle. Ce qui devait advenir advint. Le bateau fit une embardée et le seigneur se retrouva dans les flots tumultueux. Il eut beau se démener, appeler à l'aide et dire des mots grossiers, personne sur le bateau ne bougea le petit doigt.


L'homme disparut dans les profondeurs de la Loire. Jamais on ne retrouva son corps et nul ne songea jamais à inquiéter Jean et son équipage. Le Duc avait sur la rivière, une réputation établie et tous les gens de Loire trouvèrent plaisant que le diable obtint ainsi l'âme que la ville lui devait depuis qu'il avait livré ce magnifique pont de pierre.


La rivière finit toujours par engloutir celui qui ne la respecte pas tout en méprisant les ligériens qui la servent. Le Duc, pour noble qu'il était, paya de sa vie la règle intangible des seigneurs sur l'eau. Il serait souhaitable que d'autres qui se pensent aussi importants que ce méchant homme retiennent la leçon, ou bien une fois encore, la Loire saura les mettre à la raison !



jeudi 30 mai 2024

Le vinaigre d'Orléans.

La vérité enfin révélée.




On ne prête qu'aux riches, l'usage vaut pour les hommes comme pour les rivières. La Loire, notre grand et dernier fleuve sauvage n'échappe pas à cette terrible loi. Il se voit décerner bien des défauts et attribuer bon nombre de forfaits qui ne sont pas de son fait. Oyez donc la mesquinerie des hommes, toujours prompts à se défausser pour ne pas rendre compte de leurs propres turpitudes.


Il en va ainsi pour notre bon et célèbre vinaigre d'Orléans. Les livres d'histoire, l'office du tourisme, la rumeur et même les notables du pays aiment à raconter une belle sornette pour plaire aux voyageurs, aux rêveurs et aux discoureurs. La fable est si parfaite qu'elle passe pour véridique. Je devine bien aux nez pincés et aux regards tords de ceux qui connaissent la légende que je n'ai nul espoir de vous en faire changer d'avis.


Pourtant je ne serais pas vrai marinier si je venais ici vous tenir grosse menterie. Si nous naviguons sur des bateaux à fond plat, c'est que nous avons la profondeur au fond du cœur. Jamais, je n'accepterai que l'on puisse montrer du doigt notre Loire. L'histoire a beau être belle, elle est pure invention de vilains traines lattes, arcandiers notoires, marins restés à quais, fripons et gredins de trop basses lignées.


Je devine à votre étonnement que je vous embrouille avec mes propos liminaires, que je n'avance pas assez vite en besogne et que vous allez bientôt perdre patience. Il est grand temps de vous rafraîchir la souvenance pour peu qu'il se trouve ici encore pauvre diable à ne pas savoir le mensonge qu'on nous sert trompeusement pour vrai.


Le vinaigre d'Orléans serait, voudrait-on vous faire croire, un don du soleil et des caprices de la Loire. Pour le soleil, je veux bien qu'on lui accorde un petit rôle ! Quant à la Loire, elle n'est certes pas capricieuse, tenez-le vous pour dit une bonne fois pour toute, mais encore, elle n'a en jamais, au grand jamais trempé dans cette lamentable affaire.


Des esprits peu avisés prétendent donc, nous finissons par y arriver, que le grand commerce de vin qui avait lieu sur le fleuve, avait pour plaque tournante la place d'Orléans. D'amont ou bien d'aval, nos chaland débordaient de barriques qui s'en allaient trouver gosiers à leur convenance. De Bourgogne ou d'Anjou, des vins de Cléry ou bien du Forez, des côtes Roannaises et des vins du Berry se donnaient le mot ou bien le pot pour venir parler métier sur les quais d'ici.


Là, il faut admettre que la chose est vraie et que jamais on ne vit plus belle collection de barriques ou de muids, se serrer les foudres en si bonne compagnie. Mais, nos menteurs à touristes affirment que parfois, la joyeuse troupe avinée perdait toute contenance quand les eaux de la Loire venaient à manquer. Pour peu que le soleil se mit de la partie , alors les vins de tous les coins de France tournaient d'œil en notre bon pays.


De qui se moque-t-on à nos servir cette fable ? Les marchands de vin sont gens avisés bien plus qu'avinés. Ils connaissaient le métier et ne se seraient jamais hasardés à livrer leur précieux breuvage en période de basses eaux. Nous étions en une époque où le commerce n'allait pas à flux tendu, les commerçants et les clients savaient encore prendre leurs précautions, ne se laissaient jamais surprendre par une rupture de stock.



Personne dans tout le pays n'aurait eu la folie de livrer du vin au moment ou menaçait l'étiage. Même les buveurs de Bacou avaient encore assez de tête pour ne pas commettre pareil hérésie. Si quelque chose devait tourner, ce n'était certainement pas le vin en barrique ! Le grand exode des fûts ne se faisait pas en été, la chose est avérée et pourtant la fable continue de tailler sa route sur cette stupidité …


Laissons-là ce triste mensonge. Nous savons, nous la pitoyable vérité. Nous vous la livrerons si vous nous baillez quelques verres à boire avant que le vin ne réclame sa mère.


Le secret que depuis des lustres, les gens d'Orléans cherchent à ne pas dévoiler, explique qu'ils avaient quelques forfaits sur la conscience et pratique inavouable qu'il fallait garder dans les brouillards de la Loire. Je ne sais, maintenant que vous m'avez payé à boire, si je dois, briser le pacte de silence que depuis toujours, les orléanais ont scellé.


Je me suis trop avancé, le vin est tiré, il me faudra le boire. Ne m'en gardez pas rigueur, la vérité est moins belle que la légende. C'est souvent le cas, il ne faut pas s'en étonner ! Il y avait en ce temps là sur le quai du Châtelet, du Poids du Roy et du Fort Alleume une troupe de malandrins qui imposait sa loi par de vilains expédients.


S'inspirant des pratiques qui ont toujours porté leurs fruits, ils imposaient une dime à tout le trafic qui passait dans leur zone d'influence. Personne n'échappait au racket de ces vilains. Chaque tonneau se voyait prélevé d'un seau, une taxe au vin affrété, la célèbre TVA qui, plus tard, donna bien des idées à d'autres bandits de la même espèce.


L'affaire était rondement menée. Les fûts décalottés, les seaux plongeaient bien vite dans les barriques et s'en allaient plus promptement encore se réfugier dans quelques caves secrètes de la basse ville. Les lascars n'étaient pas très avisés en matière d'œnologie. Ils ne se préoccupaient pas de provenance des fûts ponctionnés. Il y avait dans leur caverne un joli mélange de crus et de qualités, de vins de garde ou de soif, de piquettes comme de breuvages de fort bonne tenue.


Ils n'en avaient cure, ils avaient une gourmandise telle que beaucoup de seaux n'arrivaient pas pleins dans leur repère. Ils mettaient ce qui restait, en vrac, dans de grandes cuves qu'ils n'arrivaient pas à vider. Quand les convoyages venaient à cesser à l'approche de l'été, ils avaient toujours immense réserve pour passer la soif des grandes chaleurs..


Et c'est là que le soleil fit son effet un été plus chaud que les autres affirment les uns, quand d'autres prétendent qu'un des chalands brigandé était un transport de vinaigre de Dijon. Toujours est-il que dans les immenses foudres, se fit une jolie alchimie. Tout le vin tourna et devint tellement vinaigre que même ces bandits ne pouvaient plus y tremper les lèvres.


Un homme avisé trouva alors l'occasion de se lancer dans un nouveau négoce. Il acheta le stock pour un poignée de cerises et de là est né le célèbre vinaigre Des Seaux ! Le quartier s'en fit même une spécialité et le sieur adopta cet étrange patronyme pour continuer un commerce qui semblait profitable.


Voilà, vous savez tout. Orléans doit sa réputation à une bande de brigands. Des maraudeurs des quais qui ne valaient pas tripette. La fable éclipsa la peu glorieuse réalité. Si vous préférez oublier ce que vous venez d'entendre, je ne vous en tiendrai nullement rigueur. Buvons un verre et taisons ce qui ne doit pas être répété.


 



mercredi 29 mai 2024

Ils font bien plus de rêves Que d'voyages en bateau !

 

Les Traîneux d'Grève





Ils sont Traîneux de grève

Vont tout au bord de l'eau

Ils font bien plus de rêves

Que d'voyages en bateau

Ont le regard rêveur

Dès le petit matin

Ils ne sont pas pêcheurs

Simplement baladins.


Embarquez avec eux

Pour un curieux voyage

Ce ne sont que des gueux

Partis sans un bagage

Ils vous enchanteront

Le temps d'une ballade

De contes et chansons

Dits à la cantonade



Ils sont Traîneux de grève

Vont tout au bord de l'eau

Ils font bien plus de rêves

Que d'voyages en bateau

Ont le cœur étoilé

Perdu au fond du ciel

Ne sont pas mariniers

Simplement ménestrels


Quand un souffle de vent

Venu de l'Armorique

Leur offre dans l'instant

Des notes de musique

Un doux parfum de sel

Mêlé de gentiane

En deux battements d'aile

Les conduit en Bretagne.

 



Ils sont Traîneux de grève

Vont tout au bord de l'eau

Ils font bien plus de rêves

Que d'voyages en bateau

Ils ont l'âme Verlaine

Égarée dans l'éther

Ne sont pas capitaines

Mais simplement trouvères


Avec un grain de sable

Font surgir une étoile

Pour qu'un lutin aimable

Puisse trouver le Graal

La brume enfin se cache

Dans un rayon de Lune

Et si le ciel se fâche

C'est la faute à Neptune

 



Ils sont Traîneux de grève

Vont tout au bord de l'eau

Ils font bien plus de rêves

Que d'voyages en bateau

Ils ont l'esprit au loin

Dès le coucher du jour

Ils ne sont pas marins

Simplement troubadours.


Deux ou trois mots enchanteurs

Quand la rime se fait riche

Vous prendront par le cœur

Sans qu'il faille être chiche

Vous invitent par la main

Pour découvrir leurs songes

Vers de nouveaux lendemains

Purgés de leurs mensonges

 



Ils sont Traîneux de grève

Vont tout au bord de l'eau

Ils font bien plus de rêves

Que d'voyages en bateau

Ils ont l'espoir au cœur

Gentils idéalistes

Ils ne sont pas menteurs

Simplement des artistes


Au terme de ce voyage

Juste avant de les quitter

En un nouveau naufrage

Vous pouvez les inviter

Autour d'une bouteille

D'un vin de nos régions

Et de quelques merveilles

Simplement par passion


 

mardi 28 mai 2024

Aphorisme du drapeau noir

 

Pirate





Forban, flibustier tout autant que corsaire

Je cours l'Océan en quête d'aventure

Les navires marchands pour unique adversaire

Que je guette tout en haut de la mature



Le butin restera mon objectif ultime

Voleur, truand, pilleur ou encore escumeur

La mort demeure ma compagne intime

Jusqu'à ce qu'elle choisisse de faire mon malheur



Lorsque la mer deviendra mon triste tombeau

Personne dans mon village ne me pleurera

Depuis si longtemps je fus pour eux un fardeau

Mon départ pour tous sera un bon débarras



Depuis le temps qu'on me promettait la corde

Moi le renégat, le gibier de potence

Je fus le sujet d’innombrables discordes

Quand les bonnes gens déploraient mes inconstances



En quittant à jamais ma chère Bretagne

Embarquant pour la lointaine Jamaïque

Je me joignis à mes frères de la castagne

Piteuse troupe aux mœurs archaïques



De ce jour, arborant l'oriflamme noire

Les dés étaient jetés et mon destin scellé

Mon passage engendrait le désespoir

Dans mon sillage des larmes et du sang mêlés



Pour tous ces butins, illusoires richesses

Trésors accumulés sans pouvoir en jouir

J'ai assassiné sans la moindre faiblesse

Contraignant la société à me maudire



Au terme de cet épouvantable chemin

Lucifer m'ouvrira les portes de l'enfer

La damnation pour ce maudit marin

Qui du diable sera le thuriféraire



Puisque le cinéma fait de moi un héro

Ne perdez jamais de vue mes odieux méfaits

Par appât du gain je devins un vil escroc

Et pour l'humanité, un repoussoir parfait



J'ai sabordé ma misérable existence

En embarquant sur c'maudit bateau pirate

Nulle confession n'effacera mes outrances

Lorsque cessera ma sanglante régate


 

lundi 27 mai 2024

Le sacre du travail …


Le cahier de composition.




Nous étions avertis, le trimestre parvenait à sa fin, notre travail allait être validé par la terrible épreuve des Compositions. Chacun, bon élève ou bien cancre patenté, fourbissait ses armes. Les révisions occupaient nos jeudis, l’histoire surtout mais aussi la géographie exigeant de nous des efforts considérables de mémoire. Les autres matières feraient toutes l’objet d’un devoir mené en grande cérémonie sans pour autant réclamer un travail supplémentaire. C’était un temps où l’écolier travaillait vraiment.


Nous savions qu’au terme de cette semaine de souffrance et d’efforts, il y aurait un tableau d’honneur, un classement : quelle horreur et des podiums par matière. La concurrence battait son plein parmi les têtes de classe tandis que les autres cherchaient à tirer leur épingle du jeu. Nous avions été élevés à la carotte : bons points et images et son corollaire naturel : le bonnet d’âne. Nous décarcasser pour battre le petit copain d’un quart de point constituait un objectif inavouable, chacun singeant l’indifférence …


Dans la classe, qui pourtant n’avait jamais été ce modèle de sagesse qu’on veut bien nous laisser croire, cette fois, le silence se faisait. Le maître, en distribuant ces cahiers épais, rendus solennels avec leur double couverture cartonnée, nous faisait entrer dans la dimension sacrée du savoir. Les anciennes unités de mesure s’étalaient là sous nos yeux sans doute pour nous laisser croire aux vertus du progrès.


Bien avant l’insupportable surgissement de l’effaceur, nous allions à la plume sergent major, mener notre numéro d’équilibriste sans fil. Ce cahier était le témoin de nos progrès, l’expression de notre chemin de gloire vers le savoir. Un buvard neuf attestait ce désir de l’institution d’atteindre la perfection ; la rature ou la tache seraient un affront pour l’élève et une injure pour le maître. L’application s’imposait comme une règle d’or, celle qui donnait le droit de réfuter proprement d’une rayure parfaitement rectiligne, les misérables errements de notre part.


Les épreuves commençaient. Nous étions si appliqués que le temps semblait ne plus avoir prise sur nous. Nul nez en l’air, par le moindre regard perdu vers la fenêtre. Les mouches laissaient entendre leur vol dans un espace habituellement propice au chahut et à quelques facéties dès que le maître, perché sur son estrade, nous tournait le dos. Le savoir était sérieux, il y avait du sacré dans ce rituel laïc. Bien sûr, toutes les épreuves n’étaient pas vécues de la même manière. Je me souviens encore de l’angoisse immense qui m’étreignait au moment de la redoutable dictée. Je savais que là, je perdais tout espoir d’accéder à la première place. Ce zéro qui me pendait au nez - il n’y eut en la matière, au cours de ma scolarité, qu’une seule exception avec un formidable 0,5 qui fit exception à la fatalité chronique - me minait le moral tout en me donnant l’envie de faire des miracles dans les autres disciplines.


En dépit des doutes, des faiblesses ou des insuffisances des uns ou des autres, nous nous retrouvions dans la cour de récréation, heureux d’avoir honoré ce moment essentiel de notre trimestre. Nous savions qu’à la fin de la semaine, le directeur en personne viendrait dans notre classe. L’homme, nimbé d’une importance plus grande encore que celle due à nos instituteurs, déroulerait le palmarès des différentes épreuves tout en glissant une remarque parfaitement documentée et personnalisée sur chacun d’entre nous.


Je me souviens toujours d’une appréciation de ce brave monsieur Desnoues. Une fois encore, à cause de cette maudite dictée j’échouais au pied du podium malgré quelques accessits honorables. Le brave homme, le regard grave, me tança vertement, me reprochant sitôt rentré chez moi, d'enfourcher ma bicyclette au lieu d’apprendre les règles d’orthographe. Il décrivit par le menu mon trajet habituel qui pour mon malheur, passait devant les fenêtres de son bureau. Je retins la leçon, n’étant pas réfractaire à l’expérience, je m’empressai de changer d’itinéraire…


Puis le vent de réforme balaya la redoutable tout autant qu’incomparable épreuve des Compositions. La cérémonie annuelle de la remise des prix fut elle aussi emportée comme un fétu de paille après une révolution qui bouleversa l’ancien monde. L’école ne s’en remit jamais, elle entrait dans un immense maelström informe qui finit par engloutir l’excellence de l’enseignement dans les tourbillons d’une modernité sans forme.


Nous n’en avions naturellement pas conscience. C’est en passant à mon tour sur la fameuse estrade qui finit elle aussi par disparaître tandis que les enseignants descendaient de leur piédestal que je me rendis compte que le nivellement par le bas était en marche. Si vous avez besoin d’une preuve, même à l’ENA, l’épreuve de culture générale a été supprimée. Le choix de l’ignorance est sans doute plus utile au pouvoir que celui de l’excellence.



dimanche 26 mai 2024

Rejoins le troquet du port

 

Troquet du Port





Quand tu es triste, copain de bord

Que tu cherches une main tendue

Ne crois pas que tu es perdu

Rejoins le troquet du port


Il y a des gars de passages

Des fidèles accrochés au bar

Des amis, des gens de hasard

Des marins en plein naufrage


D’autres matafs arriveront

Gars du pays ou naufragés

Compagnons de mer en bordée

Du mareyeur au moussaillon


La bière le rhum coulent à flot

Des chopes se vident à ta santé

Des cœurs se lient en amitié.

Fraternité de matelots


« Oh tavernier on veut danser

Fais nous venir des filles à bord

L'accordéon et tes accords

Nous inciteront à les aimer


Par tes chansons du bout du monde

Tu nous embarques avec elles

Ah les gentilles jouvencelles

Que nous suivront dans cette ronde »


En quittant le troquet du Port

Aux premières lueurs du jour

Les yeux rougis de tant d'amour

On se sent encore plus forts !


 Sur le port est notre troquet

Un repère un peu blafard

Qui nous tient lieu de phare

Quand nous sommes encore à quai


Quand souffle le vent du large

Une lanterne bouge encore

C'est celle du troquet du port

Qui t'accompagne dans ton voyage

•••

samedi 25 mai 2024

Mémoire d'un galérien devenu forçat.

 

Les fers aux pieds.






Je n'ai pas tué, tout juste volé le roi pour améliorer l'ordinaire des gueux tout comme moi assujettis à l'odieuse gabelle. Marinier de Loire, je me suis fait prendre une seconde fois, la main dans un sac contenant le faux sel. Les gabelous m'ont arrêté sans ménagement et pour le paiement de ce forfait honteux, je fus envoyé à Marseille, croupir dans les galères.


Ne pensez pas que je suis une exception parmi ces malheureux, victimes d'un pouvoir inhumain et qui viennent mourir pour la plupart avant la fin de leur peine. Bien rares sont les véritables criminels parmi cette bande de loqueteux, réduits à la condition de bête. Huit sur dix de mes compagnons de misère n'ont pas une goutte de sang sur les mains et pourtant, bien peu arriveront au bout du voyage.


Pour éclairer votre lanterne tout en tachant d'effacer la déplorable réputation que l'histoire nous a collé aux basques, je vais m'efforcer de vous narrer ma triste aventure. Ne pensez pas que j'attends de vous compassion ou indulgence, pardon ou regrets. Le temps a effacé nos mémoires, il ne sert à rien de réécrire l'histoire. Il s'agit juste de laisser une trace pour que l'oubli ne nous recouvre plus de son insidieuse gangue d'infamie.


Il advint qu'une première fois je sois surpris par un gabelou avec un tonnelet rempli d'un peu de sel que j'avais dissimulé là avant de franchir le port d'Ingrandes. Je comptais le livrer sur le chemin à des malheureux qui espéraient ainsi se soustraire à l'achat du sel taxé dans le grenier éponyme. Pour prix mon insupportable forfait, une grivèlerie qui mettait l'économie du royaume en péril, je fus marqué au fer rouge de la flétrissure des voleurs, une fleur de lys, emblème du roi.


Devant la cherté de la vie et le besoin impérieux du sel, matière si précieuse pour conserver alors les aliments, je décidai de passer outre le risque encouru et cette fois de me faire trafiquant véritable, usant de nombreuses astuces pour tromper les soldats du roi. J'avais retenu de la première fois, j'usai de tous les stratagèmes possibles pour déjouer la vigilance de ces maudits gabelous. C'est hélas une odieuse trahison, celle d'un client qui en contre partie de ma dénonciation échapperait à sa peine, que je tombai pour la seconde fois.


Je savais le sort qui m'était réservé. Pas de surprise, la justice était aux ordres d'un pouvoir qui réclamait des hommes ou plus exactement des esclaves pour les galères installées à l'arsenal de Marseille. Trois années sur le ban de nage, trois années d'effroi comme en témoignaient les très rares survivants. Je n'avais plus qu'à compter sur ma robuste constitution pour revenir un jour en bord de Loire.


Les chaines aux pieds, je fis le long voyage de mon sullias jusqu'à la Méditerranée, relié par les mêmes fers à mes compagnons de misère. Escortés par des gens d'armes, traités pire que charogne par ceux-là mais aussi par la populace, nous subissions injures et crachats, la honte aux joues et le cœur en révolte contre pareil traitement inhumain. Nous n'étions pourtant pas au bout de ce séjour en enfer que débutions ainsi de la pire des manières. Nous étions en l'an de grâce 1747, au début de l’automne.


L'arsenal militaire de Marseille avait été construit à l’initiative de Colbert. Nous avions marché près de 700 km en de longues étapes. C'est aux portes de l'hiver que nous fîmes notre entrée dans cet univers glauque. Nous avons été répartis sur différents bancs de nage sur notre galère, remplaçant ceux qui n'avaient pas survécu. Un espace terrifiant étroit pour cinq galériens attachés les uns aux autres. Dans cette maudite brancarde de 2, 30 de long et 1,25 de large, nous devions trimer, manger, dormir, déféquer et tenter de survivre avec une ration journalière de deux livres de biscuit, 4 onces de fèves et parfois un peu de vin. Nous avions le sentiment d'être déjà installés dans notre futur cercueil.


Mais ne croyez pas que ce fut la navigation la pire expérience. Au contraire, c'était là la période la moins épouvantable car quoique à l'air, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, nous étions à l'ouvrage et plutôt mieux nourris que lorsque l'inaction nous réduisait à croupir dans l'arsenal où sans protection aucun contre les courants d'air, mes camarades les plus faibles tombaient les uns après les autres, de faiblesse, de maladie, de malnutrition ou de désespoir.


C'est là que je devais survivre si j'en avais la force trois longues années. C'est du moins ce que je pensais quand les circonstances se bousculèrent quelque peu. Jean Philipe, chevalier d'Orléans : le général des galères fut nommé à ce poste de second ordre à l'époque quand il avait tout juste 16 ans. Le jeune homme se prit progressivement de passion pour sa fonction au point que fort de l'influence, le fils du régent obtient de son cousin le roi le maintien de ce corps. Sa mort le 16 juin 1748 va sonner le glas de cette institution obsolète.


À la mort de son vieux cousin, le roi saisit cette opportunité pour dissoudre ce corps d'état bien trop couteux en regard des services rendus. Nous apprenons ainsi que nous allons être rattachés à la marine nationale et qu'il serait question d'un transfert à Brest. Un nouveau voyage qui n'était pas pour nous déplaire en dépit des inconvénients du trajet tant pour nous, rien n'était pire que notre banc de nage et surtout l'inaction à l'Arsenal.


C'est plus tard naturellement que j'appris le détail de ce vaste transfert qui devait me faire découvrir du pays. Le 10 mars 1749, des gabares arrivent dans le port de Brest afin de subir quelques arrangements afin d'acheminer dans la rade de Brest ceux de mon espèce qu'elles iront quérir à Bordeaux. Quant à nous, de Marseille nous rejoindrons Agde par voie maritime sur des Tartanes qui gagneront ensuite le canal du Midi. Là pour rallier nous naviguons sur des flutes jusqu'à Toulouse. Puis, pour naviguer jusqu'à Bordeaux nous descendons la Garonne sur des gabarres. De là, cinq gabares nous emporteront à Brest en une ultime étape de ce grand voyage au frais du roi.


Pour nous, ce fut en dépit des circonstances, une sorte de croisière pour laquelle nous n'avions qu'à supporter une fois encore la promiscuité à laquelle nous étions habitués et les mauvais traitements de nos garde chiourmes qui ne différaient guère de notre quotidien. Nous partons le 24 avril et gagnons Toulouse le 4 mai. Le lendemain nous descendons la Garonne jusqu'à Bordeaux où nous embarquons sur les gabares le 10 mai.


Le 25 mai, à huit heures du soir, L'Esturgeons, la gabare de mer sur laquelle j'étais un passager entravé, toucha la rade de Brest. Le lendemain alors que d'autres navires étaient égarés en mer, mes camarades et moi-même, devenus durant le trajet des forçats, nous mettions les pieds à terre pour découvrir notre nouvelle résidence et un statut différent certes mais toujours fort peu enviable : désormais nous devenions des forçats.


Durant le trajet dix des nôtres avaient perdu la vie et 130 autres malades furent installés directement à l'hôpital. Au bilan final, il faudra dénombrer 76 décès durant cette croisière peu banale. Les survivants abandonnaient la mer pour le port, la rame pour les outils du condamné aux travaux forcés. Pour le reste rien ne changeait, ni notre maigre ration ni notre tenu d'indignité, ni la chaîne.


Pour moi, j'allais quitter cet univers concentrationnaire car j'atteignis sans grands dommages le terme de ma peine. Ce voyage, ces préparatifs, ces nombreux reports, changements, hésitations et contre-temps m'avaient permis de me préserver quelque peu et de voir le temps s'écouler moins péniblement. Je pouvais regagner mes pénates, retrouver les miens et ne plus tenter le diable en jouant les faux-sauniers. À force de traîner les fers aux pieds, je m'étais mis un peu de plomb dans la tête.


Pour évoquer cet épisode de ma vie, je couchais sur le papier ce récit maladroit et ces quelques vers en revendiquant ce statut de forçat en souvenir de ceux de mes camarades qui étaient encore à l'ouvrage là où finit la terre de notre royaume.


Les damnés les fers aux pieds




Les enfants regardent passer les damnés
Pauvres prisonniers en route pour le bagne.
Séparés à jamais de leurs compagnes
Exclus de la vie, ils sont condamnés.


Triste spectacle qui doit servir de leçon

Les gamins leur jettent des pierres

Tandis que les adultes vocifèrent.

La haine se fait insidieux poison !


Pauvres forçats promis à l'enfer

Traînant aux pieds de lourdes chaînes

C'est l'humanité qui se déchaîne

Dans l'insupportable fracas des fers


Leur démarche résonne sur les pavés
Ils avancent vers une destinée amère.
Pour s’en aller bien au-delà des mers,
Vers leur épitaphe déjà gravée.


Le poids de leurs effroyables crimes
Pèsent sur la conscience des bagnards
Jetés très tôt dans de sombres mitards
En Guyane, la société les opprime

*


Embarqués pour la pire des pénitences
Ils renonceront au moindre espoir
De retrouver honneur et gloire
La mort est au bout de la sentence


La rade sera la pire des prisons
Soumettant les forçats à sa règle
Malheur à qui se prend pour un aigle
S'écrasera sans aucune rémission

*


Pour les exclus de notre société
Seul Lucifer leur ouvrira ses bras

Quand pour eux sonnera l'heure du trépas
Bien loin de toute forme de charité


Même la mort ne sera pas délivrance.

Débarrassés de leurs terribles peines

Ils nourriront l'océan qui se déchaîne

Bien loin du pays de leur enfance


Pauvres forçats promis à l'enfer

Traînant aux pieds de lourdes chaînes

C'est l'humanité qui se déchaîne

Dans l'insupportable fracas des fers

vendredi 24 mai 2024

Les pontons pénitentiaires anglais.


Ceux de la Tamise et de Plymouth

 





Nous connaissons tous l’incroyable aventure romanesque de Ambroise Louis Garneray, corsaire, aventurier, romancier, peintre né en 1783 et décédé en 1857. Il navigua sur l’Océan Indien aux côtés de Surcuf et Dutertre, participa à l'abordage victorieux du Kent, l’exploit le plus célèbre du corsaire, en octobre 1800. Il sera ensuite corsaire sur la Belle Poule qui sera prise en mars 1806 par les anglais. Il est conduit au Royaume-Uni et passera huit années suivantes dans l'enfer des pontons en rade à Plymouth. Il a la chance de mettre à profit cet enfermement pour peindre. Il bénéficiera des commandes d’un marchand de tableaux britannique qui lui permirent de survivre dans cet enfer. Nous reviendrons une fois prochaine sur l’incroyable destinée de cet homme d’exception.

Il nous donne le prétexte d’envisager le système pénitentiaire de nos amis anglais. Si la prison était une des réponses pour ceux qui avaient la chance d’échapper à la pendaison, d’autres perspectives s’offraient aux délinquants. Pour répondre à la surpopulation carcérale on envoya d’abord en Amérique du Nord jusqu’à la révolution américaine (1775-1783) petits et grands délinquants. À partir de 1787 l’Australie reçut 160 000 hommes, femmes et enfants qui constituèrent la base de la population blanche.

Mais revenons à notre peintre français. Si Garneray fut emprisonné à Plymouth sur la pointe sud de l’Angleterre, d’autres prisonniers connurent le même sort sur la Tamise. Des épaves de vieux navires de guerre désarmés devinrent les fameux pontons. Simple solution temporaire à l’origine, ces prisons de fortune, véritables enfers, se prolongèrent pendant quatre-vingts longues années. Les premières épaves pénitentiaires furent amarrées sur la Tamise non loin de Woolwich, à l’est de Londres. Le logement des prisonniers sur ces pontons s’avéra particulièrement onéreux pour les finances anglaises. Afin de participer aux frais, les autorités imposèrent des travaux forcés à leurs prisonniers prisonniers qui œuvrèrent grandement au développement commercial de la Tamise.

Les malheureux prisonniers s’occupèrent du dragage du fleuve afin de faciliter le passage des navires commerciaux. Les détenus furent encore mis à l’ouvrage pour l’expansion de l’arsenal de Woolwich et des quais avoisinants. D’autres étayèrent les berges en enfonçant des piliers dans la vase afin de prévenir l’érosion.

Les conditions de vie à bord de ces épaves pénitentiaires étaient effroyables. L’absence d’hygiène favorisait de nombreuses infections. Les malades n’étaient pas soignés et restaient parmi leurs codétenus. Si bien que le typhus, la dysenterie et autres épidémies encore firent des ravages dans leurs rangs. La mortalité avoisinait les 30%. Inutile de vous dire que l’odeur qui émanait de ces cachots flottants était répugnante. Entre 1776 et 1795, 2 000 détenus perdirent la vie dans les prisons de la Tamise.

À partir de 1779 John Howard s’insurgea contre l’utilisation de ces pontons. Il souhaitait des cellules individuelles afin que les prisonniers puissent être mis au travail dans de bonnes conditions. Une première prison, celle de Millbank, fut construite en 1816 après un long combat pour cet homme valeureux et humaniste.

Ambroise Louis Garneray, notre prisonnier français, quant à lui, fut libéré le 18 mai 1814 quand la guerre entre la France et l’Angleterre prit fin. Les pontons ne furent pas pour autant abandonnés totalement. Il fallut attendre 1857 pour voir le dernier ponton en activité disparaître au terme d’un incendie.

jeudi 23 mai 2024

Histoire à lire d'un trait

 Gaston et sa Douce

 




Il était une fois, au temps lointain d'avant la machine à vapeur, un homme, Gaston le Bienheureux qui avait deux passions dans la vie : musarder et admirer. Follement épris de liberté, il aimait tailler la route, marcher sur les chemins de Loire avec sa fidèle compagne, une belle et puissante percheronne, animal de trait et de grand attrait qui répondait au fier nom de La Douce. Il vouait plus grande dévotion encore à cette rivière majestueuse qu'il n'avait de cesse de parcourir dans les deux sens.

Son bonheur était de baguenauder sur les berges, toujours accompagné de sa musette remplie - il ne faut pas se laisser surprendre - de quelques bonnes bouteilles de vin du pays et de quoi casser la croûte si la faim venait à le surprendre. Il avait aussi, de quoi se fabriquer bien vite une ligne pour taquiner le goujon ou alors l’ablette en trouvant sur la berge un scion à sa convenance ou bien tendre une ligne de fond pour tirer une anguille à moins que ce ne fut une carpe, si l'envie d'une bonne sieste lui prenait !

Homme de peu d'inquiétude, amoureux de la nature et de tout ce qui y traîne alentour, il prenait la vie par le bon bout, celui qui ne vous fait jamais de tracas mais ne remplit guère le bas de laine. La Douce, la brave bête, se contentait des herbes sauvages des bords de levées, pour remplir sa grande carcasse. Son maître n'avait pas souvent le sou pour lui offrir un bon seau d'avoine ou bien d'orge et rares étaient les nuits qu'ils ne passaient pas à la belle étoile !


 

Heureusement, en ces temps de grande circulation sur la Loire, notre couple bienheureux trouva de quoi mettre du beurre ou des céréales dans leurs épinards. Lorsque survenait un jour sans vent de galerne, ce zéphyr puissant qui pousse les bateaux à contre-courant, les hommes d'alors mettaient la bricole autour du buste et tiraient leur misère et toute la cargaison. Les bords du fleuve étaient en ce temps-là dégagés de toute végétation pour laisser passer les haleurs et leur grande corde de chanvre.

Gaston, un jour qu'il avait plus faim que les autres fois pensa qu'il pourrait continuer à vivre de ses rêveries en compagnie de La Douce tout en tirant partie de la chose. Il proposa, aux hommes exténués par le halage, quelques heures de répit en attelant le chaland aux reins surpuissants de son cheval de trait. La bonne nouvelle se répand toujours comme une traînée de poudre, en peu de temps, il fut connu le long de la rivière et dès qu'ils le voyaient, les équipages remontaient à bord pour s'offrir quelques verres et un peu de repos tandis que La Douce et Gaston prenaient le relais.

Gaston tira profit de sa petite pratique. Il gagnait quelques sous, vivait au hasard de ses errances et ne rentrait chez lui que lorsque l'occasion finissait par se présenter. Il était devenu le hâleur de la Loire. La Douce assurait bien des convoyages qui sans elle eurent mis plus de temps encore. La remonte se faisait à son pas majestueux à près de cinq kilomètres à l'heure. La bête avait maintenant toute l'herbe qu'elle voulait et même du grain plus qu'elle n'en pouvait manger. Les mariniers s'étaient donné le mot, ils avaient toujours un sac de céréales sur leurs bateaux pour solliciter cette si reposante traction animale.

Bien vite, d'autres gars du pays découvrirent qu'il y avait là, une belle occasion de remplir sa bourse. De partout il y eût sur les rives des attelages qui attendaient le chaland. Bientôt sur les bateaux on réduisit l'équipage ! L'habitude fut prise de supprimer la bricole, ce harnais de forçat qui transformait les mariniers à pieds en galériens du quotidien. Des entrepreneurs virent le jour, tout le halage ne se fit bien plus qu'à la traction chevaline. Sur les berges il y avait désormais une longue ribambelle de crottes, des chapelets odorants qui jonchait tout le parcours !

Gaston et la Douce comprirent opinément que leur petit commerce artisanal avait attiré des plus gourmands, des mieux équipés et des bien plus travailleurs qu'eux. Ils ne s'en offusquèrent guère. Épicurien avant toute chose, le gars Gaston prenait ce qu'il trouvait et encore s'il n'avait rien à faire de mieux. Nonobstant ce que d'aucun aurait vécu comme une injustice, notre homme qui avait plus d'un tour dans son sac à malice, observant tous ces peineux et traîne-misère qui avaient pris sa place, eut une fois encore belle et grande idée !

Sa chère pouliche, jamais plus ne peinerait sous une charge qui pouvait pour les plus grands navires aller jusqu'à quatre-vingt tonnes. Il lui prépara une petite remorque à sa façon qu'il conçut de manière astucieuse. La Douce continua d'aller sur les chemins de Loire mais dès que se présentait belle fiente chevaline, un système astucieux de leviers et de poulies faisait qu'immédiatement le bon fumier de cheval trouvait réceptacle plus convenable. Les marcheurs et les flâneurs y trouvèrent bien plus de confort eux-aussi !

Gaston avait inventé le cheval-crotte, l'idée mit bien du temps à faire d'autres chemins. Ce n'est que bien plus tard, en ce siècle qui précéda l'actuel, que dans nos villes, des plagiaires de Gaston reprirent opportunément son brevet non déposé pour d'autres déjections. Ceci est pratique courante, les grandes inventions restent souvent secrètes et nos vrais génies demeurent dans l'ombre quand de plus opportunistes font fortune à leur place. L'argent on le sait n'ayant pas d'odeur ...

Mais revenons à l'ami Gaston Il récoltait du bon fumier de cheval, le meilleur qui soit et le vendait aux maraîchers du coin. C'est ainsi que grâce à ce petit commerce, les terres de notre Val devinrent bien vite riches et grasses. Souvent les esprits malins prétendent qu'elles le doivent à nos limons de Loire. Que nenni, il me faut, une fois encore, rétablir la vérité vraie en pays de menterie. C'est du bon fumier des chevaux halant nos bateaux de bois qui engraissa toutes nos belles terres du Val.

Gaston et la Douce coulèrent ainsi des jours heureux sans trop se tuer à la tâche. Cette histoire, et c'est injuste, ne resta pas dans les annales, on se demande bien pourquoi !


 


 

À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ?

  Partir À quoi rêvent les bateaux qui restent à quai ? Ces éternels prisonniers de leurs entraves Ils ont pour seules v...