dimanche 10 mai 2020

Un mauvais pas

Prenez soin des autres ! 


Il était une fois un humble marinier qui par étourderie ou malchance connut un malencontreux désagrément. Alors qu’il était en plein déchargement sur un quai étroit et pentu, qu’il roulait un tonneau sur une cale abrupte et mal pavée, l’homme fit un écart et tomba dans une crevasse qu’une coulée de terrain avait provoquée là. Gaston était là, au fond d’un trou pas trop profond, fort heureusement, à geindre, ayant sans doute un membre cassé.

Le voiturier fut le premier à venir à sa rencontre. L’homme était de méchante humeur. Il est vrai que la chute du pauvre matelot avait entraîné la perte d’un muid de vinaigre. Il devrait rendre compte auprès du marchand de ce dommage. Il s’adressa vertement à Gaston, le tança pour sa maladresse et lui affirma que le prix de la marchandise perdue serait retiré de ses gages. Puis, courroucé, l’avisé patron laissa le blessé à ses lamentations et partit pour la taverne voisine.

Un garde champêtre prit son relais. Le fonctionnaire vint faire remarquer à notre ami Gaston qu’une pancarte mettait en garde les passants contre l’instabilité du terrain en ce lieu. Il avait donc agi bien à la légère en poussant un tonneau en cet endroit. Il ne devait s’en prendre qu’à lui même, serrer la mâchoire et cesser d’importuner par ses plaintes tous ceux qui, prudemment, passaient à distance de là en évitant l’endroit. Puis l’homme partit sans autre forme de procès.

Une commère descendit prudemment les marches, elle allait laver du linge dans la rivière avec sa caisse à savon. La dame, la langue bien pendue comme il se doit dans sa corporation, lui tint un petit moment le crachoir. « Vous voilà bien dans de beaux draps mon brave homme. Vous avez dû vous faire grand mal en tombant dans ce trou béant. Le plus grave encore c’est l’état de votre pantalon et de votre chemise. Vous êtes maculé de boue et de sang. Votre femme aura bien du mal à récurer tout ça et je gage que vous ne prendrez même pas la peine de mettre à tremper vos vêtements pour lui faciliter la tâche ! Vous êtes bien tous les mêmes... » Sur ces propos peu amènes, la laveuse le salua et poursuivit sa route pour avec sa brouette de linge sale.

C’est alors qu’une troupe de chenapans se présenta à lui. Les écoliers rentraient de la communale. Ils avaient l’humeur badine de ceux qui en ont terminé d’une corvée. Il saisirent l’aubaine qui se présenta à eux pour s’offrir un tour pendable. Le plus déluré des drôles déclara à la cantonade, que l’air sentait le vinaigre et qu’il convenait de rincer à grande eau l’endroit. Sitôt dit, sitôt fait, un suiveur alla remplir un saut dans la Loire voisine et le jeta sur la tête du pauvre Gaston. Les gredins s’enfuirent, riant aux éclats de leur vilaine action.

Une vieille bigote sortant de la messe passa par là. Elle était encore confite en dévotion, jouant du chapelet pour égrainer de nouvelles prières quand elle entendit les plaintes du blessé. Elle s’approcha de son piège et lui tint ce langage : « Je vous reconnais mauvais diable. C’est vous qui tout à l’heure blasphémiez à qui mieux mieux, redoublant de jurons et de grossièretés tandis que vous déchargiez le chaland. Le bon dieu vous a puni et je ne peux que m’en féliciter. Mais rassurez-vous, je suis bonne chrétienne, je ne manquerai pas de prier pour votre guérison. » Et la vieille de s’en retourner chez elle avec la satisfaction du devoir accompli.

Un pêcheur rentrant chez lui après que le soleil se fut couché passa non loin de Gaston qui était toujours là, à geindre au fond de son trou. L’homme avait fait belles prises et se dépêchait vers sa masure pour préparer sa friture. Il s’arrêta non loin du blessé pour lui faire remarquer que la nuit allait bientôt tomber et qu’il convenait de ne pas rester là. Puis, reprenant tout son attirail, le pêcheur s’en alla vers sa demeure.

Gaston était là à se demander s’il n’allait pas passer la nuit en souffrance et en frissons, désolé du comportement de tout ces gens aveugles à sa détresse, quand Archimède, un pauvre hère qui passait par là, s’approcha de la béance d’où venaient des lamentations. Il ne demanda rien à Gaston, ni son nom ni même ce qui pouvait expliquer sa présence au fond de ce trou. L’homme en guenilles lui tendit la main et le tira de là. Puis, voyant le vilain angle que faisait sa jambe, il le chargea sur son dos pour le porter jusqu’au presbytère. Il toqua à la porte du curé qui leur ouvrit.

Le berger des âmes soigna tant bien que mal le marinier et proposa un repas au vagabond et au blessé après avoir ouï leur histoire. Ce récit provoqua la colère du curé qui félicita chaleureusement Archimède d’avoir agi ainsi en bon samaritain. Le trimard après le souper partit sans demander son reste, n’ayant ni laisser-passer ni attestation de déplacement dûment validée par la maréchaussée, il préféra prendre la poudre d’escampette.

Le dimanche suivant, en chaire, le prêche tonna très fort avant que de retomber sur des fidèles qui avaient tout oublié de la charité chrétienne. « Je vous entends, vous les moutons égarés ! Vous suivez de mauvais bergers qui vous conduisent une fois encore sur les routes du Malin. Vous sous saluez en prononçant cette formule absurde que vous répétez sottement en boucle : Prends soin de toi ! Avez vous oublié le merveilleux message évangélique ? Vous avez abandonné un homme blessé dans l’indifférence de votre suffisance confite. En sortant de cette église, vous ferez pénitence. N’oubliez plus jamais qu’il convient de dire : Prends soin des autres ! pour vivre dans une société fraternelle et non dans l’empire de l’égoïsme ».

Gaston se remit fort heureusement mais garda toujours un léger boitement de l’aventure. Il prit l’habitude dans les tavernes où il s’arrêtait de laisser désormais à l’aubergiste un sou pour qu’il offre à boire au premier chemineux qui passerait en espérant que l’inconnu qui l’avait tiré de ce mauvais pas serait celui-là. Quant à Archimède, il poursuivit son chemin à l’écart des grandes routes, agissant toujours selon sa conscience en dépit du mépris dont il héritait souvent.


Charitablement sien

Photographies de Pirate de Loire


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