mardi 19 mai 2020

La Jonque chinoise


Le cadeau empoisonné




Un empereur chinois voulut offrir à son vassal, Duc D’Orléans une magnifique jonque. Pour montrer sa puissance et en imposer, le souverain ne recula devant aucune dépense. Rien ne serait assez précieux pour ce cadeau qui devait sceller une amitié éternelle. Les essences choisies étaient les plus précieuses, de celles qui habituellement sont réservées à la marqueterie. Pour les voiles et les cordages, il exigea une qualité unique, un tissage fin et solide issu des meilleures fibres de bambou. La coque quant à elle fut incrustée de dorures représentant des dragons. Tout était en point parfait à l’exception peut-être de sa capacité à naviguer sur une rivière.



Lorsque l’offrande fut prête, l’Empereur la fit expédier dans la lointaine France en empruntant des routes maritimes complexes. La jonque fit un périlleux voyage qui s’acheva finalement à bon port dans la cité johannique. Quelle merveille que ce présent ! Le Duc se rengorgea devant ce présage qu’il présentait radieux pour ses ambitions futures tandis que sa cour se pâmait devant la magnificence de la chose.

Le Duc, homme prudent demanda qu’on dépose la jonque sur le canal plutôt que de l’exposer aux turbulences de la Loire. Pour qu’il puisse en jouir, chaque jour, la jonque effectuait le trajet Combleux, Pont aux Moines tandis que Duc, admiratif, par prudence, chevauchait sur le chemin de halage afin de jouir du spectacle.


À ses sujets dont certains osaient lui demander pourquoi il ne s'embarquait jamais sur l’embarcation, il répondait toujours qu’elle était si belle qu'il voulait simplement la contempler ! C’est de la rive qu’il jouissait pleinement de ses courbes majestueuses et de sa ligne gracile.

Un caprice de puissant qui aurait pu durer fort longtemps si l’Empereur n’avait mandaté un ambassadeur dans la ville pour s’enquérir de ce qu’était devenu son impérial cadeau. Le Duc pris au piège pour ne point blesser son illustre visiteur n’avait d’autre recours que de naviguer sur la jonque. 

 

Il fit quérir son fidèle Capitaine, un homme en qui il avait toute confiance, non pas de prendre l’habituel circuit mais de plonger dans la Loire en prenant le maule : l’écluse à Combleux qui se jette dans la rivière. Embarquèrent ce jour-là tous ceux qui comptent dans la cité, les gens d’importance, les notables et les courtisans sans oublier le plénipotentiaire chinois.

Jamais on n’avait vu aussi bel étalage de toilettes et de vanités sur un bateau ligérien depuis l’arrivée de la Pompadour à bord d’une galère en juillet 1760. Chacun s’efforçant d’étaler sa richesse en se couvrant de bijoux et de parures toutes plus luxueuses et lourdes les unes que les autres.



Le saut de la Loire fut ponctué d’exclamations parmi les passagers de la jonque. Le Capitaine faisait le beau, trop content de prouver à tous qu’il était le meilleur marinier de la place. C’est ainsi qu’il perdit de vue l’essentiel et que la jonque devint rapidement ingouvernable. Emportée par le courant violent, alourdie par ses passagers, rendue plus instable qu’elle n’était déjà, l’embarcation alla se fracasser contre le début du duit. Ce fut le naufrage…

Il est inutile de vous décrire la panique à bord. Chacun ne pensait plus qu’à sauver sa vie sans se soucier de celle de ses voisins. On se piétinait, on se bousculait, on s’étripait dans un désordre et une férocité indescriptibles. Pourtant, rien n’y fit : ceux qui purent sortir de la trop luxueuse cabine furent incapables de nager dans les flots agités de la Loire. Leurs tenues extravagantes les envoyèrent par le fond et personne pas même le Duc et l’ambassadeur n'échappèrent au sort funeste. Seul le Capitaine réussit à regagner la rive, lui qui s’était empresser de quitter le navire le premier.



Sur la rive, les serviteurs et les sujets assistèrent impuissants au drame qui se déroula si vite que nul n’aurait pu intervenir de toute façon. La cité fut en deuil, le tocsin retentit dans tout le duché. Il fallut envoyer une délégation en Chine pour prévenir l’Empereur du sort de son ambassadeur et de la fin tragique de son cadeau. On désigna un petit groupe de personnages importants, des gens qui avaient été remarqués pour leurs divers talents afin d’accompagner le Capitaine, seul survivant jusqu’en Chine..

Le voyage fut long et chargé de lourdes menaces pour ceux qui étaient porteurs d’une si mauvaise nouvelle. Comment transmettre ce terrible message à l’Empereur ? Chacun d’y aller de sa suggestion qui, à chaque fois, était repoussée par les autres. Tous mesuraient le risque d’être considérés comme des oiseaux de mauvaise augure.



Ils avaient raison d’être inquiets. L’Empereur eut une réaction à l’image de sa puissance. Il fit saisir sur le champ les envoyés du malheur et leur fit couper la langue n’en voulant plus rien entendre. Quant au Capitaine, responsable du drame, il subit sort plus épouvantable encore. Il eut les honneurs du plus épouvantable supplice qui soit, celui des huit couteaux. Nous nous garderons bien de vous en donner les détails.

Ainsi se termina le triste épisode de la jonque chinoise. Si ceci n’est qu’une farce, il conviendrait néanmoins de se méfier de tout ce qui nous vient de Chine, à pied, en avion et même en bateau.

Prémonitoirement vôtre.



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