Le cadeau empoisonné
Un
empereur chinois voulut offrir à son vassal, Duc D’Orléans une
magnifique jonque. Pour montrer sa puissance et en imposer, le
souverain ne recula devant aucune dépense. Rien ne serait assez
précieux pour ce cadeau qui devait sceller une amitié éternelle.
Les essences choisies étaient les plus précieuses, de celles qui
habituellement sont réservées
à la marqueterie. Pour les voiles et les cordages, il exigea une
qualité unique, un tissage fin et solide issu des meilleures fibres
de bambou. La coque quant à elle fut incrustée de dorures
représentant des dragons. Tout était en point parfait à
l’exception peut-être de sa capacité à naviguer sur une rivière.
Lorsque
l’offrande fut prête, l’Empereur la fit expédier dans la
lointaine France en empruntant des routes maritimes complexes. La
jonque fit un périlleux voyage qui s’acheva finalement à bon port
dans la cité johannique. Quelle merveille que ce présent ! Le Duc
se rengorgea devant ce présage qu’il présentait radieux pour ses
ambitions futures tandis que sa cour se pâmait devant la
magnificence de la chose.
Le
Duc, homme prudent demanda qu’on dépose la jonque sur le canal
plutôt que de l’exposer aux turbulences de la Loire. Pour qu’il
puisse en jouir, chaque jour, la jonque effectuait le trajet
Combleux, Pont aux Moines tandis que Duc, admiratif, par prudence,
chevauchait sur le chemin de halage afin de jouir du spectacle.
À ses sujets dont certains osaient lui demander pourquoi il ne
s'embarquait jamais sur l’embarcation, il répondait toujours
qu’elle était si belle qu'il voulait simplement la contempler !
C’est de la rive qu’il jouissait pleinement de ses courbes
majestueuses et de sa ligne gracile.
Un
caprice de puissant qui aurait pu durer fort longtemps si l’Empereur
n’avait mandaté un ambassadeur dans la ville pour s’enquérir de
ce qu’était devenu son impérial cadeau. Le Duc pris au piège
pour ne point blesser son illustre visiteur n’avait d’autre
recours que de naviguer sur la jonque.
Il
fit quérir son fidèle Capitaine, un homme en qui il avait toute
confiance, non pas de prendre l’habituel circuit mais de plonger
dans la Loire en prenant le maule : l’écluse à Combleux qui se
jette dans la rivière. Embarquèrent ce jour-là tous ceux qui
comptent dans la cité, les gens d’importance, les notables et les
courtisans sans oublier le plénipotentiaire chinois.
Jamais
on n’avait vu aussi bel étalage de toilettes et de vanités sur un
bateau ligérien depuis l’arrivée de la Pompadour à bord d’une
galère en juillet 1760. Chacun s’efforçant d’étaler sa
richesse en se couvrant de bijoux et de parures toutes plus luxueuses
et lourdes les unes que les autres.
Le
saut de la Loire fut ponctué d’exclamations parmi les passagers de
la jonque. Le Capitaine faisait le beau, trop content de prouver à
tous qu’il était le meilleur marinier de la place. C’est ainsi
qu’il perdit de vue l’essentiel et que la jonque devint
rapidement ingouvernable. Emportée par le courant violent, alourdie
par ses passagers, rendue plus instable qu’elle n’était déjà,
l’embarcation alla se fracasser contre le début du duit. Ce fut le
naufrage…
Il
est inutile de vous décrire la panique à bord. Chacun ne pensait
plus qu’à sauver sa vie sans se soucier de celle de ses voisins.
On se piétinait, on se bousculait, on s’étripait dans un désordre
et une férocité indescriptibles. Pourtant, rien n’y fit :
ceux qui purent sortir de la trop luxueuse cabine furent incapables
de nager dans les flots agités de la Loire. Leurs tenues
extravagantes les envoyèrent par le fond et personne pas même le
Duc et l’ambassadeur n'échappèrent au sort funeste. Seul le
Capitaine réussit à regagner la rive, lui qui s’était empresser
de quitter le navire le premier.
Sur
la rive, les serviteurs et les sujets assistèrent impuissants au
drame qui se déroula si vite que nul n’aurait pu intervenir de
toute façon. La cité fut en deuil, le tocsin retentit dans tout le
duché. Il fallut envoyer une délégation en Chine pour prévenir
l’Empereur du sort de son ambassadeur et de la fin tragique de son
cadeau. On désigna un petit groupe de personnages importants, des
gens qui avaient été remarqués pour leurs divers talents afin
d’accompagner le Capitaine, seul survivant jusqu’en Chine..
Le
voyage fut long et chargé de lourdes menaces pour ceux qui étaient
porteurs d’une si mauvaise nouvelle. Comment transmettre ce
terrible message à l’Empereur ? Chacun d’y aller de sa
suggestion qui, à chaque fois, était repoussée par les autres.
Tous mesuraient le risque d’être considérés comme des oiseaux de
mauvaise augure.
Ils
avaient raison d’être inquiets. L’Empereur eut une réaction à
l’image de sa puissance. Il fit saisir sur le champ les envoyés du
malheur et leur fit couper la langue n’en voulant plus rien
entendre. Quant au Capitaine, responsable du drame, il subit sort
plus épouvantable encore. Il eut les honneurs du plus épouvantable
supplice qui soit, celui des huit couteaux. Nous nous garderons bien
de vous en donner les détails.
Ainsi
se termina le triste épisode de la jonque chinoise. Si ceci n’est
qu’une farce, il conviendrait néanmoins de se méfier de tout ce
qui nous vient de Chine, à pied, en avion et même en bateau.
Prémonitoirement
vôtre.
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