jeudi 21 mai 2020

Le merle blanc de Courcérac



La mélodie de jouvence. 

 

Il était une province heureuse se donnant alternativement aux Ducs d’Aquitaine aux Comtes d’Anjou et de Poitiers. La vie malgré les vicissitudes de la féodalité s’y déroulait le mieux du monde dans un climat des plus agréables. Les hommes y étaient solides et d’humeur égale, un héritage sans doute de leurs lointains ascendants Néendertaliens. C’est certainement dans cette ancestrale parenté que nous trouvons les racines de cette histoire étrange. Prenez donc la peine de l’écouter …

Quatre villages sont au cœur d’un pays de Cocagne : Courcerac, Brizambourg, Aumagne et Chaniers. Les habitants auraient de quoi couler des jours heureux s’il n’avait pas pris fantaisie au destin de leur jouer un vilain tour. Un chat, une tortue et un merle blanc sont à l’origine d’une histoire qu'il m’appartient de vous confier ici, même si le temps et l’effacement progressif de la mémoire collective rendent délicate sa restitution précise. Veuillez m’en excuser, le conteur a souvent bien du mal à tirer le vrai du faux.

Or donc, un jour qu’il était à la chasse, un habile traqueur réussit la prouesse de prendre vivant ce fameux merle blanc qui avait jusqu’alors mis en échec tous les chasseurs du pays. Il était temps d’ailleurs car un chat géant venant d’Aumagne était à deux griffes de n’en faire qu’une bouchée. L’homme savait la valeur immense de cet oiseau merveilleux, il s’empressa de le porter en son village afin que chacun jouisse des pouvoirs surnaturels du chant de ce merle.

À Courcerac, à partir de ce jour béni, tous les résidents de la belle cité se mirent à rajeunir. La camarde ne venait plus y faire sa moisson de défunts, l’oiseau défiait la mort par la seule vertu de son joyeux babillement, guérissait les malades et redonnait jeunesse et vigueur à tous. Une bénédiction pour le village tout autant qu’un problème épineux.

En effet, alentour, la nouvelle se répandit et chaque village voisin voulait bénéficier de ce miraculeux don de la nature. Hélas, à Courcerac, les habitants ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils désiraient garder pour eux seuls, les bienfaits du Merle Blanc. Devant l'insistance de plus en plus pressante des proches cités, à grands coups de dépenses somptuaires, la ville devint une véritable citadelle impénétrable tout autant que d’un inflexible égoïsme.

Non loin de là pourtant à Brizambourg, un jeune homme dont la réputation d'ingéniosité avait franchi les frontières de la province, constatant l’affaiblissement physique de ses chers parents, se mit en quête d’un stratagème pour vaincre la sotte détermination des gens de Courcerac à ne conserver ce prodigieux animal que pour leur seul usage.

Le garçon après avoir observé à distance les défenses prétendument imprenables de la ville de la jeunesse éternelle, se mit à échafauder un plan diabolique. Pour vaincre les murailles, il avait besoin du concours de deux animaux hors du commun dont il avait appris l’existence. Mais là encore, les deux villages qui les abritaient se montraient tout aussi inflexibles que celui du Merle. Il devait agir par la conviction plus que par la roublardise pour parvenir à ses fins.

Il se dirigea tout d’abord vers Aumagne dont la plaine fertile était couverte de blé. Le temps de la moisson était venu, la population toute entière était à l’ouvrage, n’ayant d’autres ressources pour moissonner le blé, que de l’arracher à la main. La tâche était longue et fastidieuse, tandis que le Chat géant que nous avons déjà croisé, était affecté à la surveillance des récoltes pour en chasser souris et autres rongeurs.

Notre aventurier se présenta aimablement à celui qui semblait être le donneur d’ordre des moissonneurs. Il lui dit son étonnement de les voir ainsi s’échiner à arracher le blé alors qu’il y avait moyen plus rapide et efficace de faire cet ouvrage. L’homme interloqué le mit au défi de lui en apporter la démonstration tandis que le garçon exigea en contrepartie de pouvoir utiliser les services de leur chat à des fins personnelles.

L’accord fut conclu aisément, le félin était fort vieux et n’avait plus goût à poursuivre les mulots. Il était devenu un poids pour la communauté paysanne. Le jeune homme confia le secret de la faucille, cet instrument d’usage facile qui accéléra la moisson. Chacun trouvant son compte dans cet échange, tout était pour le mieux.

Saluant les moissonneurs, le garçon poursuivit son chemin, désormais flanqué du greffier qui traînait la patte. Il lui fallait une autre complice pour mener à bien son plan malicieux. Ses pas le menèrent donc vers les rives de la Charente, plus exactement à Chaniers, village étrange au demeurant où les habitants avaient grand mal à utiliser leurs barques.

Les malheureux n’avaient rien trouvé de mieux pour aller de l’avant que d’utiliser les battoirs des lavandières. Le jeune homme, amusé de les voir ainsi penchés sur l’eau à s’échiner de la sorte, leur proposa un conseil contre un service qu’il attendait d’eux. Une fois encore, on lui demanda quelle allait être la monnaie d’échange.

L’intrépide n’attendait rien d’autre que le village lui confie l’énorme tortue d’eau qui avait élu domicile dans ce village. Un batelier accepta au nom des siens ce prêt contre un conseil avisé pour naviguer aisément. Le garçon leur tendit la perche et conseilla à tous d’allonger le manche des battoirs tout en augmentant leur surface. C’est ainsi qu’il inventa la rame, ce qui rendit la vie bien plus facile à Chaniers et sur toute la Charente.

Flanqué désormais d’un drôle d’équipage : un chat géant au bout de son âge et une tortue d’eau de taille considérable, le jeune homme put mener à bien son plan diabolique. Il attendit une nuit sans lune pour se mettre en action devant les hautes murailles entourées de larges douves du village de Courcerac.

Face à ces murailles infranchissables pour un humain, le jeune homme sollicita les ultimes forces du félin gigantesque. Le chat contre la promesse de jouir lui aussi des prodiges de l’oiseau, réunit ce qui lui restait d'énergie pour d’un bond formidable, s’agripper au chemin de ronde. De là, par la seule vigueur de sa longue queue, il hissa ses compagnons dans la place après les avoir déposés de l’autre côté des épais murs.

Notre intrépide utilisa ensuite la tortue pour lui permettre, en compagnie du chat, de franchir les douves profondes qui encerclaient la tour centrale dans laquelle était enfermé le Merle Blanc. Sa lourde carapace leur offrit une traversée confortable tandis que ses larges pattes palmées leur permettaient de repousser tous les pièges redoutables déposés sur les flots.

Ne restait plus comme ultime obstacle que l’immense tour. Une fois encore, le Chat fut mis à contribution. Il bondit et perché sur le faîte du beffroi, tendit à nouveau sa queue. Le garçon put ainsi sans difficulté s’emparer du Merle Blanc. Hélas, le vieux chat, exténué, avait laissé ses dernières forces dans ces deux bonds prodigieux. Il se sentait incapable de reproduire cet exploit pour les sortir de là.

Le merle blanc, las d’être enfermé, comprenant qu’il était entre des mains secourables, se mit à chanter. Immédiatement le chat retrouva force et vigueur tout autant que jeunesse et souplesse. Sans la moindre difficulté, le trajet inverse fut réalisé grâce aux deux associés du garçon.

Arrivé chez lui, le jeune homme demanda au Merle de chanter pour ses vieux parents qui dans l’instant, retrouvèrent ce souffle de vie qui était sur le point de les quitter. À Brizambourg, tous les habitants célébrèrent l’exploit de leur valeureux concitoyen et chacun de profiter des prodiges du merle blanc.

Le jeune homme, pressentant que les siens risquaient d’agir à l’imitation de ceux de Courcerac, exigea que pour tout remerciement, il ne fut plus jamais question d’exclusivité. Chacun, qu’il fut de Courcerac, Brizambourg, Aumagne, Chaniers et d’ailleurs en Saintonge, devait pouvoir jouir de la cure de rajeunissement du Merle Blanc. Quant à l’oiseau, nulle cage ne devait l’entraver.

Il en fut fait ainsi selon les désir du héros. Dans ce petit coin de France, la vieillesse fut abolie tant que le Merle blanc put chanter. Certains en usèrent avec parcimonie, ce qui ne fut hélas pas le cas de tous. Le Chat par exemple, abusa tant et tant des trilles de l’oiseau qu’il redevint chaton et termina son existence dans un sac de jute, jeté dans la Charente en compagnie d’une portée indésirable.

D’autres, parmi les habitants des 4 villages usèrent eux aussi sans modération des chants de l’oiseau prodigieux. Ils furent nombreux à devoir s’équiper de langes et à se mettre en quête d’une nourrice. La pénurie fut telle que dans le pays on ne trouva onques nobles mamelles capables de nourrir tout ce joli monde braillant et pleurant. C’est ainsi que grande fut l’hécatombe des vieux nourrissons.

Quant à notre Merle blanc, on découvrit fort bien trop tard que, sourd comme un pot, il ne pouvait profiter de son pouvoir magique. C’est ainsi qu’il mourut de sa belle mort ! Nombreux furent ceux qui ne le regrettèrent pas, tant son passage avait provoqué querelles et catastrophes. Le désir de l’éternelle jeunesse avait fait bien plus de ravages que le cours ordinaire de l’existence. Il n’y avait plus personne pour assurer les travaux des champs et les besoins ordinaires d’une communauté. Les écoles étaient pleines de gamins braillards et nul adulte ne pouvait en assurer la garde.

Seul le jeune homme, dans son immense sagacité, avait renoncé aux services de l’oiseau. C’est d’ailleurs lui, qui dans la fin de son âge, me narra cette étrange histoire. Je viens de la coucher sur le papier en écoutant au loin un merle babiller. Par bonheur, il est noir ce qui nous permet de rester de grands enfants sans risquer de retomber sottement en enfance. Gardons nous bien de suivre l’exemple du transhumanisme ! Voilà doctrine qui nous conduira dans l’abîme plus sûrement encore que ce pauvre Merle Blanc

Babillement vôtre.


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