La
mélodie de jouvence.
Il
était une province heureuse se donnant alternativement aux Ducs
d’Aquitaine aux Comtes d’Anjou et de Poitiers. La vie malgré les
vicissitudes de la féodalité s’y déroulait le mieux du monde
dans un climat des plus agréables. Les hommes y étaient solides et
d’humeur égale, un héritage sans doute de leurs lointains
ascendants Néendertaliens. C’est certainement dans cette
ancestrale parenté que nous trouvons les racines de cette histoire
étrange. Prenez donc la peine de l’écouter …
Quatre
villages sont au cœur d’un pays de Cocagne : Courcerac,
Brizambourg, Aumagne et Chaniers. Les habitants auraient de quoi
couler des jours heureux s’il n’avait pas pris fantaisie au
destin de leur jouer un vilain tour. Un chat, une tortue et un merle
blanc sont à l’origine d’une histoire qu'il m’appartient de
vous confier ici, même si le temps et l’effacement progressif de
la mémoire collective rendent délicate sa restitution précise.
Veuillez m’en excuser, le conteur a souvent bien du mal à tirer le
vrai du faux.
Or
donc, un jour qu’il était à la chasse, un habile traqueur réussit
la prouesse de prendre vivant ce fameux merle blanc qui avait
jusqu’alors mis en échec tous les chasseurs du pays. Il était
temps d’ailleurs car un chat géant venant d’Aumagne était à
deux griffes de n’en faire qu’une bouchée. L’homme savait la
valeur immense de cet oiseau merveilleux, il s’empressa de le
porter en son village afin que chacun jouisse des pouvoirs
surnaturels du chant de ce merle.
À Courcerac, à partir de ce jour béni, tous les résidents de la
belle cité se mirent à rajeunir. La camarde ne venait plus y faire
sa moisson de défunts, l’oiseau défiait la mort par la seule
vertu de son joyeux babillement, guérissait les malades et redonnait
jeunesse et vigueur à tous. Une bénédiction pour le village tout
autant qu’un problème épineux.
En
effet, alentour, la nouvelle se répandit et chaque village voisin
voulait bénéficier de ce miraculeux don de la nature. Hélas, à
Courcerac, les habitants ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils
désiraient garder pour eux seuls, les bienfaits du Merle Blanc.
Devant l'insistance de plus en plus pressante des proches cités, à
grands coups de dépenses somptuaires, la ville devint une véritable
citadelle impénétrable tout autant que d’un inflexible égoïsme.
Non
loin de là pourtant à Brizambourg, un jeune homme dont la
réputation d'ingéniosité avait franchi les frontières de la
province, constatant l’affaiblissement physique de ses chers
parents, se mit en quête d’un stratagème pour vaincre la sotte
détermination des gens de Courcerac à ne conserver ce prodigieux
animal que pour leur seul usage.
Le
garçon après avoir observé à distance les défenses prétendument
imprenables de la ville de la jeunesse éternelle, se mit à
échafauder un plan diabolique. Pour vaincre les murailles, il avait
besoin du concours de deux animaux hors du commun dont il avait
appris l’existence. Mais là encore, les deux villages qui les
abritaient se montraient tout aussi inflexibles que celui du Merle.
Il devait agir par la conviction plus que par la roublardise pour
parvenir à ses fins.
Il
se dirigea tout d’abord vers Aumagne dont la plaine fertile était
couverte de blé. Le temps de la moisson était venu, la population
toute entière était à l’ouvrage, n’ayant d’autres ressources
pour moissonner le blé, que de l’arracher à la main. La tâche
était longue et fastidieuse, tandis que le Chat géant que nous
avons déjà croisé, était affecté à la surveillance des récoltes
pour en chasser souris et autres rongeurs.
Notre
aventurier se présenta aimablement à celui qui semblait être le
donneur d’ordre des moissonneurs. Il lui dit son étonnement de les
voir ainsi s’échiner à arracher le blé alors qu’il y avait
moyen plus rapide et efficace de faire cet ouvrage. L’homme
interloqué le mit au défi de lui en apporter la démonstration
tandis que le garçon exigea en contrepartie de pouvoir utiliser les
services de leur chat à des fins personnelles.
L’accord
fut conclu aisément, le félin était fort vieux et n’avait plus
goût à poursuivre les mulots. Il était devenu un poids pour la
communauté paysanne. Le jeune homme confia le secret de la faucille,
cet instrument d’usage facile qui accéléra la moisson. Chacun
trouvant son compte dans cet échange, tout était pour le mieux.
Saluant
les moissonneurs, le garçon poursuivit son chemin, désormais
flanqué du greffier qui traînait la patte. Il lui fallait une autre
complice pour mener à bien son plan malicieux. Ses pas le menèrent
donc vers les rives de la Charente, plus exactement à Chaniers,
village étrange au demeurant où les habitants avaient grand mal à
utiliser leurs barques.
Les
malheureux n’avaient rien trouvé de mieux pour aller de l’avant
que d’utiliser les battoirs des lavandières. Le jeune homme, amusé
de les voir ainsi penchés sur l’eau à s’échiner de la sorte,
leur proposa un conseil contre un service qu’il attendait d’eux.
Une fois encore, on lui demanda quelle allait être la monnaie
d’échange.
L’intrépide
n’attendait rien d’autre que le village lui confie l’énorme
tortue d’eau qui avait élu domicile dans ce village. Un batelier
accepta au nom des siens ce prêt contre un conseil avisé pour
naviguer aisément. Le garçon leur tendit la perche et conseilla à
tous d’allonger le manche des battoirs tout en augmentant leur
surface. C’est ainsi qu’il inventa la rame, ce qui rendit la vie
bien plus facile à Chaniers et sur toute la Charente.
Flanqué
désormais d’un drôle d’équipage : un chat géant au bout de
son âge et une tortue d’eau de taille considérable, le jeune
homme put mener à bien son plan diabolique. Il attendit une nuit
sans lune pour se mettre en action devant les hautes murailles
entourées de larges douves du village de Courcerac.
Face
à ces murailles infranchissables pour un humain, le jeune homme
sollicita les ultimes forces du félin gigantesque. Le chat contre la
promesse de jouir lui aussi des prodiges de l’oiseau, réunit ce
qui lui restait d'énergie pour d’un bond formidable, s’agripper
au chemin de ronde. De là, par la seule vigueur de sa longue queue,
il hissa ses compagnons dans la place après les avoir déposés de
l’autre côté des épais murs.
Notre
intrépide utilisa ensuite la tortue pour lui permettre, en
compagnie du chat, de franchir les douves profondes qui encerclaient
la tour centrale dans laquelle était enfermé le Merle Blanc. Sa
lourde carapace leur offrit une traversée confortable tandis que
ses larges pattes palmées leur permettaient de repousser tous les
pièges redoutables déposés sur les flots.
Ne
restait plus comme ultime obstacle que l’immense tour. Une fois
encore, le Chat fut mis à contribution. Il bondit et perché sur le
faîte du beffroi, tendit à nouveau sa queue. Le garçon put ainsi
sans difficulté s’emparer du Merle Blanc. Hélas, le vieux chat,
exténué, avait laissé ses dernières forces dans ces deux bonds
prodigieux. Il se sentait incapable de reproduire cet exploit pour
les sortir de là.
Le
merle blanc, las d’être enfermé, comprenant qu’il était entre
des mains secourables, se mit à chanter. Immédiatement le chat
retrouva force et vigueur tout autant que jeunesse et souplesse. Sans
la moindre difficulté, le trajet inverse fut réalisé grâce aux
deux associés du garçon.
Arrivé
chez lui, le jeune homme demanda au Merle de chanter pour ses vieux
parents qui dans l’instant, retrouvèrent ce souffle de vie qui
était sur le point de les quitter. À Brizambourg, tous les
habitants célébrèrent l’exploit de leur valeureux concitoyen et
chacun de profiter des prodiges du merle blanc.
Le
jeune homme, pressentant que les siens risquaient d’agir à
l’imitation de ceux de Courcerac, exigea que pour tout
remerciement, il ne fut plus jamais question d’exclusivité.
Chacun, qu’il fut de Courcerac, Brizambourg, Aumagne, Chaniers et
d’ailleurs en Saintonge, devait pouvoir jouir de la cure de
rajeunissement du Merle Blanc. Quant à l’oiseau, nulle cage ne
devait l’entraver.
Il
en fut fait ainsi selon les désir du héros. Dans ce petit coin de
France, la vieillesse fut abolie tant que le Merle blanc put chanter.
Certains en usèrent avec parcimonie, ce qui ne fut hélas pas le cas
de tous. Le Chat par exemple, abusa tant et tant des trilles de
l’oiseau qu’il redevint chaton et termina son existence dans un
sac de jute, jeté dans la Charente en compagnie d’une portée
indésirable.
D’autres,
parmi les habitants des 4 villages usèrent eux aussi sans modération
des chants de l’oiseau prodigieux. Ils furent nombreux à devoir
s’équiper de langes et à se mettre en quête d’une nourrice. La
pénurie fut telle que dans le pays on ne trouva onques nobles
mamelles capables de nourrir tout ce joli monde braillant et
pleurant. C’est ainsi que grande fut l’hécatombe des vieux
nourrissons.
Quant
à notre Merle blanc, on découvrit fort bien trop tard que, sourd
comme un pot, il ne pouvait profiter de son pouvoir magique. C’est
ainsi qu’il mourut de sa belle mort ! Nombreux furent ceux qui ne
le regrettèrent pas, tant son passage avait provoqué querelles et
catastrophes. Le désir de l’éternelle jeunesse avait fait bien
plus de ravages que le cours ordinaire de l’existence. Il n’y
avait plus personne pour assurer les travaux des champs et les
besoins ordinaires d’une communauté. Les écoles étaient pleines
de gamins braillards et nul adulte ne pouvait en assurer la garde.
Seul
le jeune homme, dans son immense sagacité, avait renoncé aux
services de l’oiseau. C’est d’ailleurs lui, qui dans la fin de
son âge, me narra cette étrange histoire. Je viens de la coucher
sur le papier en écoutant au loin un merle babiller. Par bonheur, il
est noir ce qui nous permet de rester de grands enfants sans risquer
de retomber sottement en enfance. Gardons nous bien de suivre
l’exemple du transhumanisme !
Voilà doctrine qui nous conduira dans l’abîme plus sûrement
encore que ce pauvre Merle Blanc
Babillement
vôtre.
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